Je n’écris presque jamais de récit de course. Non pas que je ne vive chacune de ces expériences de vie intensément mais seulement que je considère que des bonnes jambes ne font pas forcément une belle plume.
Cette fois ci, je ressens une certaine envie de prendre le temps de coucher par écrit ce que j’ai vécu pendant cette course en sentier dans Charlevoix.
Mon récit pourrait se résumer simplement dans cette première photo de Sébastien, Florent et moi au ravitaillement des Hautes-Gorges, symbole de la mi-course. Un instant de course qui condense cet instant de vie de quelques 14 h.
Le destin de la course m’a fait croiser Florent après environ 40 km soit à peu près le tiers de la course. On a très rapidement décidé de faire un bout de chemin ensemble même si j’étais persuadé que ça ne prendrait pas long avant de voir filer Florent devant moi sans pouvoir le suivre. Mais le scénario n’a pas vraiment été ce dernier. Plus les kilomètres avançaient, plus notre relation s’est construite autour du sage professeur et de son élève attentif et déterminé.
Sans philosopher longtemps, la course en sentier est une aventure à vivre pour soit. Nos vies nous amènent rarement à avoir 10-15-20 parfois 30 à 50 h pour nous même. Et en allant chercher physiquement et mentalement l’énergie de continuer à avancer jusqu’à une ligne d’arrivée réelle ou fictive. C’est personnellement tout ce qui me pousse, à chaque fois, dans de nouvelles aventures de courses ou de voyages en courant.
Cet Harricana 2017 fut très certainement pour moi la course la plus instructive. Les simples échanges de quelques mots ou de regards entre Florent et moi suffisaient à savoir exactement comment avancer sur les kilomètres devant nous. Et bien au delà de la carrure de Florent dans notre milieu de la course en sentier au Québec, j’ai eu la chance de vivre une belle connexion avec un camarade de course sur plusieurs dizaines de kilomètres.
Tout l’été et depuis ma course dans la boue en Gaspésie au mois de juin, je voulais bien me préparer et être vraiment prêt pour l’UTHC. J’avais vécu tellement de bons moments en tant que bénévoles en 2016, que j’étais persuadé que l’expérience de course serait au moins aussi intense cette année. Sur la ligne de départ, ma tête et mon corps étaient au top. Une bonne préparation physique et un mental plus positif que jamais…
Les premiers kilomètres sont simples, une tête de course avec tous les favoris qui partent en bas de 4′ au km. Et derrière, on s’installe à quelques coureurs, à un bon rythme sans que je me dise que je vais battre mon PB sur le premier demi-marathon relativement plat et roulant.
Après la montée / descente des Morios, je m’échappe un peu en gardant mon rythme et croise malheureusement David, une des fusées du départ, à contre courant et boitillant. Un peu plus loin, et après avoir rejoins Florent, c’est un autre David qui tire la jambe et qu’on dépasse.
S’ensuit des dizaines de kilomètres à 2, concentré sur la course et à chaque fois relancé par l’énergie du binôme. La montée de la Noyée menant au ravitaillement du Coyote nous est rentrée dedans. Une vraiment belle section de course le long de la rivière. Sur un petit sentier où simplement randonner doit être un pur bonheur, nous avançons et gardons une belle allure. Au ravitaillement, on prend pour la première fois 2 chaises, et d’un commun accord, on prend le temps de savourer la gentillesse des bénévoles et les gnocchis qui nous redonnent un peu d’énergie.
« J’ai frappé le mur ». Ça y est, il va falloir faire avec mais le fameux mur m’est tombé dessus et chaque kilomètre jusqu’au dernier va être de plus en plus dur. C’est là où le mental embarque et prend le dessus sur le physique. Je connais bien cette situation, et je sais comment la gérer. Mais malgré tout, j’ai beau l’avoir vécu des dizaines de fois, ça fait toujours aussi mal et c’est toujours aussi dur d’aller chercher avec sa tête ce que son corps ne veut plus donner.
À 20 km de la ligne d’arrivée, je ne vois plus Florent derrière moi quand Luis me double à une vitesse me laissant littéralement sur place. Aucune ambiguïté, je ne peux ni rester devant, ni même penser le suivre sur quelques kilomètres. Il a placé son effort quand il fallait et d’une belle manière.
Avant d’attaquer la montagne noire, symbole de la dernière difficulté de cette aventure, j’ai la chance de voir mon ami Olivier sur le ravitaillement. Je suis vraiment dans un état second, et j’ai de la misère à le remercier juste d’être là et de me sortir la tête de mon mantra des dernières heures.
Sur la dernière quinzaine, je suis allé chercher loin. Des micro-objectifs, toujours des pensées positives et de l’auto-motivation en boucle pour faire avancer la machine. « Je finirai cet UTHC en donnant tout ce que j’ai », sans penser à rien d’autre que franchir la ligne d’arrivée avec le sentiment de ne pas pouvoir faire 10 secondes de mieux…
Le fil d’arrivée est juste derrière moi et je donne 10 secondes à mon corps et à ma tête pour que l’information circule.
Je lève les yeux et j’ai la belle surprise de voir Séb me serrer dans les bras. Séb est sur la photo qui résume mon expérience de cet UTHC et il y a une place importante et centrale. Au delà d’être un ami, c’est un des chefs d’orchestre de toute cette mélodie en sentier. Il s’est occupé de moi au ravitaillement de la mi-course et c’est le 1er que je vois en levant la tête. Beau symbole qui résonne avec ses bonnes paroles 10 jours avant sur les sentiers du Mont Royal.
Ces 14h de course ont été d’une intensité rare. Et malgré l’apparente solitude de ce sport, j’ai l’impression d’avoir vécu d’intense moments de partage dès le départ de Montréal avec une belle gang de fous. Dont Arnaud, rencontré sous une tente au milieu du désert marocain pendant le Marathon des Sables et venu de France spécialement. Le vendredi et les retrouvailles avec la meilleure des équipes de bénévoles et organisateurs. Et l’après course, coupe de champagne et lunch face au Saint Laurent sur la plage. Les corps plus ou moins amochés mais beaucoup de partages de toutes nos expériences individuelles.
Je retrouve le confort de mon lit de retour à la maison mais je me dis une fois de plus que j’ai vécu un plus grand confort dans l’inconfort de cet épreuve le temps d’une fin de semaine.