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Bienvenue dans ma tête. Harricana 125.

J’ai toujours aimé les défis. Cela fait des années que je cours et que je vais visiter des distances plus longues, que je sors de ma zone de confort avec les hauteurs, les escarpements, les cordes, les ponts… Lorsque je me suis inscrite pour le 125 Harricana, je savais que je serais servie! Mais à quel point. 

L’entraînement à bien passé, sauf la (presque) semaine d’arrêt due à la Covid. Plus les jours avançaient vers l’événement, plus les doutes ont commencés à se pointer. Est-ce que mon éléphant est trop gros? Lorsque j’y pensais, j’avais peur et quelques larmes se pointaient à l’occasion. Cependant, je sais que je suis prête. Cela fait deux ans que je m’entraîne, pour cette distance, avec les conseils de ma coach, Renée Hamel. 

L’équipe de soutien est prête. Tout a été analysé; les heures de passage, les questions à me poser, les besoins particuliers à valider. Mon pacer est prêt; il a même hâte de m’accompagner dans une section de nuit. Le mot d’ordre; si ce n’est pas une blessure physique, vous ne me laissez pas arrêter. Je vais le regretter. Bienvenue dans ma tête!

Au lancement de la course, j’ai encore un doute sur la distance. Mais le doute, lorsque c’est une distance inconnue, je connais ça! Je stresse au sujet du mont des Morios et du fait que je devrais faire un marathon de plus que ma plus longue distance. En revanche, les paroles de Ludovic Collet ont eu l’effet escompté sur moi : « Bien sûr que le parcours est difficile, mais vous êtes entraînés pour. (…) Soyez beau, soyez brute, peut-être un peu truand. » Me voilà remplie d’énergie pour réussir ce défi. 

Le début passe bien, ma tête va bien. En arrivant dans les sentiers, je réalise que le parcours est bien plus racineux et rocheux que je ne me l’imaginais. Qu’importe, je suis là pour le faire. C’est un parcours que je veux faire depuis deux ans; alors pas le temps de s’apitoyer. En débutant la montée en direction du lac à l’Empêche, je suis en dehors de ma zone de confort. Des cailloux qui bougent sous les pieds en montant, des parties escarpées où j’utilise déjà les mains, la section sur le sommet de la montagne qui nous place dans l’immensité du territoire. Je remercie ici ma coach de m’avoir demandé de faire des devoirs pour apprivoiser les moments de vide et de hauteur; grâce à ses conseils, je suis beaucoup plus à l’aise. L’an passé, je n’y serais pas arrivé. Gratitude! 

En descendant, en direction du premier ravito, voilà qu’une section de grosses roches se présente. Pour y arriver, je m’assois et place les pieds sur la roche suivante. Ce n’était pas dans mes plans de visualisation ça! Mais encore une fois, tout va bien. Un peu de stress devant la découverte imprévue, mais le moral tient. La section dite « roulante » entre les deux ravitos ne ressemblait pas à l’idée que je m’en étais faite. Un peu déboussolée, je continu d’avancer. Un coureur (Dave) me parlera des raisons pour lesquelles il court. C’est inspirant! Mais dans ma tête, je vois encore les Morios comme un obstacle à mon confort. J’accélère un peu parce que je ne veux pas être coupé par le temps. Il fait chaud, je vois le temps filer. Je n’ai plus envie d’être là. Eh bien, ma décision est prise; je me rends au point de rencontre avec mon pacer, si je rentre dans le temps, je fais la section avec lui, ce qui m’amènera à la moitié, mais cela n’ira pas plus loin. J’aurais vu le début du parcours. J’arrête, c’est clair.

Point d’eau des Morios. Remplissage de gourdes, ajout d’électrolytes dans une. J’ai un peu de temps, mais pas assez selon moi. En discutant, dans le début de la montée, avec les autres coureurs, je réalise que je me suis mélangée avec l’heure et la durée de la course. Yes! Il y a une heure de plus que prévu. C’est certain que ça va passer. Serré, mais ça va passer. La montée est aussi impressionnante que ce que je m’attendais. Des cordes pour monter quelques sections, dont une qui est non fonctionnelle. Il faudra donc utiliser les mains et monter. La descente par là pour revenir sur mes pas; c’est non. Un peu avant le sommet, une autre belle roche lisse avec une corde. Oh boy! Qu’est-ce que je fais là moi?? Mais si je veux voir le coucher de soleil sur le dessus de la montagne, mais surtout pour passer de l’autre côté, je n’ai pas le choix. Je dois avancer. Ça en vaudra la peine! Le coucher de soleil est extraordinaire ce soir. Quelle beauté! 

Crédit photo Carl Vignola

En amorçant la descente, je réalise qu’il finira par faire nuit. Je sors donc la lampe frontale du sac. Elle sera utile quelques instants plus tard. Durant cette descente, je me retrouve face à un piège : un pont avec des planches en moins. Un gros merci au coureur qui m’a offert sa main pour le traverser et qui m’a attendue pour me faire passer le suivant. J’arrive enfin en bas, et je me dis que JAMAIS plus on me verra sur cette montagne (https://ravito.distances.plus/pays/canada/quebec/ne-jamais-dire-jamais/ ).Il y aura ensuite une section sur le plat en direction du ravito de la Marmotte, endroit où m’attends mon équipe de soutien et mon pacer. Je suis arrivée à 20h25 et 26 secondes; ce qui laisse 13 minutes pour être passée au point de contrôle et être partie du ravito. Ouf! Imaginez leur état d’esprit; ils croyaient que le cut off était à 20h26. Je n’ai jamais été si contente de voir des gens connus. Mais ils ne me laisseront pas entrer dans ma tête et renoncer. L’équipe est en feu. Remplissage des gourdes, ajout de nourriture, sortie du chandail à manche longue, et on me met le thermos dans les mains. J’avale une partie de mon souper en vitesse et je repars avec mon pacer. 

Dès que je suis seule avec Yanick, je lui mentionne que ce n’est pas grave si on ne passe pas le suivant. Après, c’est assez. Il n’écoute pas, ou fait semblant. Je me plains un peu de ma cheville droite. « Tu peux courir ici, on avance. » « Tiens, mange du bacon, bois un peu. » « Une barre Näak, ça va être bon. » C’est difficile d’avaler. J’ai l’impression qu’il ne fait que me faire manger et qu’on ne parle que de la nutrition. Je veux une petite pause. J’y ai droit, mais pas longtemps. Et nous repartons, en direction du ravito. Ma lampe ne va pas bien. Les piles sont déjà faibles. Nous échangeons les lampes, et au ravito, changement de piles pendant que je nous ravitaille. Au moment de repartir, il me dit : « Je passe devant, tu ne m’aimeras pas, mais à ce rythme-là, tu seras trop tard sur le cut off. » Mais… c’est ça mon plan moi!! Arrêter au prochain ravito, aux Hautes Gorges. Mais non, en arrivant à l’équipe de soutien; pas le temps de réfléchir. Changement de vêtements, de bas, un passement pour ampoule sur un orteil, remplissage des gourdes, ajout de nourriture, un peu de Ramen… et ma surprise : des chocolats Rolo pour la nuit. Tu as le temps, mais pas le temps de penser. Et je suis repartie dans les sentiers. Le moral à zéro.

Dans le début de mon retour en solo, je me mets à penser. Pourquoi je fais ça? Je ne trouve pas vraiment de raisons valables. Avant de retourner dans les sentiers, j’appelle Yanick pour qu’il vienne me rejoindre ; c’est terminé. Mais non. Le réseau cellulaire ne collabore pas. Je n’ai pas de service. Cela me mettra à terre pour les 7-8 kms suivants; cette section aurait pu/due être couru puisque je ne suis pas trop fatiguée, je n’ai aucune douleur, et elle aurait été plaisante à faire à un rythme de course. Mais non; je marche en maugréant contre le réseau. Je vais regarder mon cellulaire à plusieurs reprises tout en cherchant une façon de mettre fin à ce calvaire que je m’impose. 

Ravito du Geai Bleu passe en vitesse. Je n’ai pas besoin d’eau n’y de nourriture. Je me prends quelques choses à grignoter en marchant et je poursuis. La course redevient possible. Comme par magie! Me voilà seule, dans la forêt, avec une pleine lune plus belle qu’espérée. En remontant le ruisseau, je rattrape deux coureurs. Je resterais en arrière d’eux quelques temps. C’est quand même rassurant de ne pas être seule. Je glisse dans la boue, mais je tiens bon et je demeure debout. Je ne ferai que quelques kilomètres avec eux. Je reprends ma route seule. 

 Peu de temps après, sur le bord d’un petit lac, j’entends des loups hurler. En fait, je crois et j’espère que ce sont des loups, cela amène un certain charme au parcours. Était-ce plutôt un huard? Ou peut-être que c’est ma tête qui m’a joué un tour un peu avant le lever du soleil. Jamais je ne saurais… Le ravito suivant, le Coyote, (hihi… juste après avoir entendu des loups) n’arrive jamais. Il semble changer de place à chaque année. Il est toujours à 2 kilomètres plus loin. Il arrive enfin. Je ne resterai pas longtemps, comme à chaque ravito. Je commence à sentir un début d’ampoule sous le pied gauche. Cependant, les soigneurs sont déjà occupés avec d’autres participants; je continue en me disant que je regarderai ça un peu plus loin (après le ravito pour éviter le délai de temps), mais je ne le ferai pas. Cela aura été une erreur. J’ai mal, mais cela ne m’empêche pas de poursuivre la route. 

Avant le point de ravitaillement suivant, je vais me faire passer par les coureurs du 42. Ils sont en jambes et certains des commentaires ne seront pas très appréciés. Je comprends que vous êtes frais, mais il y a quand même une façon polie de dépasser et de parler aux gens. Je généralise, puisque quelques-uns seront d’un bon soutien pour passer une rivière ou un trou de boue puisque je ne réfléchis plus beaucoup avec plus de vingt heures en action. Pendant cette section, je réalise que j’ai de plus en plus d’avance sur le cut off, que je n’ai pas vraiment de douleur, à part le dessous des pieds qui chauffe un peu, et que je vais finir. Malgré tous les moments de découragements et d’envie de tout arrêter.  Je cours des petites sections, j’en marche de longs bouts. 

 Entre L’Épervier et le Split, je marche de plus en plus. Je suis dans ma tête, mais je ne vois pas l’arrêt comme une option. Je fais quelques kilomètres avec une coureuse du 42 et nous rattrapons deux filles du 125. Elles ne sont pas d’un bon soutien puisqu’elles se plaignent beaucoup, elles se plaignent sur tout. Je les dépasserai et me garderai le plus loin possible d’elles pour ne pas faire contaminer mon moral. Je marche même la dernière section, qui est très courable. Yanick m’attend au Split. Il a filmé mon arrivée. J’ai pu voir que même si je marchais, je n’étais pas en petite balade relaxe; j’ai un bon pas.

Au Split, je passerai un peu plus de temps. Mais pas beaucoup. Yanick m’aide à tout faire et valide que ça va. Il me mentionne que même si je marche les 15 derniers kilomètres je vais y arriver. Le rêve que j’ai depuis deux ans est VRAIMENT à ma portée. Je m’en doutais, mais là c’est encore plus certain! Il est moins fatigué que moi et est plus réaliste. La fatigue peut jouer sur beaucoup de facteurs. 

À l’assaut de la dernière montagne de ce parcours. La Montagne Noire. Elle est longue à monter, mais pas extrêmement difficile. Je la marche, comme toutes les autres montées. Au sommet, je trottine des bouts. C’est si beau de jour cette partie! Cela fait plusieurs années que je ne la vois que de noirceur. Au ravito, je vois quelques points noirs. Il fait vraiment chaud. Je repars doucement vers le fil d’arrivée.

J’entends des gens parler. Il y a une fille qui se plaint de trop de choses. Un coup d’œil derrière; ce sont les mêmes que plus tôt. J’accélère dans le seul et unique but de ne pas les entendre. Comme ce que j’ai fait lorsque je les ai croisées avant. Ce n’est pas vrai qu’elles me tireront vers des commentaires négatifs. C’est déjà assez difficile de rester concentrée et d’être positive! Les 3 derniers kilomètres se feront en marchant. Dans les vallons boueux de la fin du parcours, dans les sentiers de VTT; partout. Sauf quand je vois enfin la ligne d’arrivée. Le restant d’énergie qui me reste fait surface. Je cours, lentement, vers la dernière montée que je vais faire en marchant. Au tournant du sentier, je reprends un rythme de course pour me diriger vers ce fil d’arrivée tant espéré. 

J’aurai mis 27 h 40 min et 45 secondes. J’aurai passé plus d’une journée dans les sentiers. Majoritairement seule (avec un 26 km bien accompagné) avec mes pensées et le tout sans aucun sommeil. Mais à quoi est-ce que j’ai pensé? Parfois à arrêter, parfois à courir, parfois en questionnement sur la raison de faire ça, parfois à compter (1-2-3-4, 1-2-3-4, etc). Une chose est certaine, je n’ai pas baissé les bras devant tous les défis (une chance que l’équipe m’a empêché de réfléchir), j’ai avancé à un rythme plus lent qu’espéré, mais j’y suis arrivée. 

À ce fil d’arrivée, des gens m’attendaient. Beaucoup. Ils ont passé du temps à m’espérer, à m’épauler à distance (ou en présence pour les ravitos permis). Ils m’ont encouragée et supportée et leur énergie a été ressentie sur le parcours. Je n’oublierai pas ce que mon équipe a fait pour moi; ma sœur Mélanie, son conjoint, Éric, et le mien, Yanick, qui aura aussi servi de pacer pour 26 km. Mes parents qui m’attendaient à l’arrivée, mes neveux (Jacob et Thomas), ma petite fille Sam avec ses parents (Marie-Soleil et Yoan) et sa tante (Laurence). Ma coach, Renée Hamel, aussi était là. Encore une fois, merci à vous tous de ce que vous avez pu m’apporter. Vous m’avez donné des ailes…