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Devenir loup : la loi de l'Harricana.

La génétique ne m’a pas donné de facultés physiques hors norme. Je n’ ai jamais trouvé la force mentale et encore moins le plaisir d’être assidu à pousser de la fonte ou à mesurer au gramme près mes apports caloriques. Je ne décline au contraire jamais l’ occasion d’ une bonne table et de bonnes chopes avec mes proches. J’ai fait du sport à l’école, du foot en club. Quelque soit la discipline, je n’ étais pas mauvais, je n’ étais pas le meilleur. Mes pectauraux sont aussi plat que mon nord natal, quant aux tablettes de chocolat elles sont emballées dans du papier alu ( par la marmotte évidemment ), pas dans mes tee-shirts. (Désolés amis québécois, une référence d’une vieille pub mythique des 90’s ). Difficile donc pour quelqu’un d’ aussi commun de trouver dans une pratique sportive et le plaisir, et la motivation pour essayer de « faire un truc ». J’ai trouvé ça dans l’ultra endurance. Non pas par envie de sortir du lot, mais pour aller chercher une sensation bien plus profonde que seule cette pratique m’ apporte. On y reviendra un peu plus tard. 

Deux ans de lock down Covid, consécutif à un abandon sur blessure lors de la Transmartinique 2019. Plus moyen de combler ce manque d’aventure chez nous. Je regarde tous ces gens en métropole se faire des « off » dans les plus beaux massifs. Nous on pédale sur notre biking d’appartement. J’ai toujours rêvé du Québec et du Canada. J’ai appris à découvrir la communauté trail québécoise à travers Distance+ et mon ami Guy Boisclair (qui à l’heure où je publie ceci est en train d’en finir avec le Bromont Ultra 160). J’ai appris à connaître l’ultra Harricana. Je veux y aller. 

– Soso (mon épouse), j’aimerais bien qu’on court ailleurs l’année pro, voir autre chose. En métropole peut-être, ou alors y a l’UTHC au Canada…

– Euh…ouai, OK ! »

Nous voilà donc dans notre navette (un vrai bus scolaire jaune type US ) quelques longs mois plus tard, dont une bonne majorité à se préparer. Elle nous emmène au lieu de départ à une petite heure de route. Solène stresse trop, moi pas assez, comme d’habitude. Encore une heure à attendre avant le départ puis vient le grand moment d’ enfin aller affronter l’ Harricana. Réputé roulant à la faveur d’ un dénivelé global plutôt faible pour la distance mais qui présente pourtant chaque année un taux d’ abandons d’ au moins 50 %. On a de la chance, le Québec, et ce depuis plusieurs jours, traverse une période très estivale pour la saison avec des températures exceptionnelles et une faible pluviométrie. Les conditions sont parfaites. Ludo Collet, LA voix du trail, est là cette année. Il nous ambiance sur la BO de « le bon, la brute, et le truand » quelques secondes avant le départ. On en frissone tous encore. Je suis heureux. C’est partie. 

Après 4 km à plat histoire de nous chauffer ( mon meilleur km de la course est le km numéro 1, à 5’/km, plutôt raisonnable ), vient la première ascension. Une trace plutôt simple et un dénivelé intéressant qui nous conduit à environ 850m au dessus d’une exceptionnelle forêt de pins, de lacs, de rochers. Une peinture. C’est magnifique. Une descente et un premier ravitaillement prévu au 15eme kilomètre. Assez long, le peloton ne s’étire pas tellement car c’est assez technique dans les rochers. Pas de grandes sensations, j’ai hâte que l’on se disperse un peu pour vraiment entrer en immersion dans ma course. Les jambes sont correctes, tout va plutôt bien après ce premier stop très copieux, ça change de nos habitudes sur les courses martiniquaises…

Dans la descente où je comprends qu’ il faudra faire preuve de patience car très longue, je passe sur un petit pont en bois qui nous permet de traverser l’un des innombrables petits ruisseaux qui décorent ces montagnes. Bien que j’entends parler québécois depuis plusieurs jours, j’ai du mal à comprendre ce que me dit le coureur devant moi. C’est après m’être fait piqué par une guêpe que je comprends qu’ il voulait m’ avertir de la présence d’ un nid sous le pont. Je crois savoir que nous serons 5 à nous faire piquer à cet endroit… ça fait mal, elle m’ a piqué à la nuque cette sal@£e. Je commence à me dire que c’ est mal partie. Finalement la douleur sera gênante très longtemps mais bien supportable, et sans inflammation. Plus de peur que de mal. 

On arrive gentillement au pied de la principale bosse du parcours assez tôt. Vers le 25ème kilomètre. Le mont des Morios, qui va au prix d’un bel effort nous offrir un panorama exceptionnel au Soleil couchant sur la région de Charlevoix. La vue se mérite, la montée est rude. Je remercie mes bâtons pour les travaux. Plutôt amusant, on descend quasiment par le même chemin ce qui permet de s’encourager entre montants/descendants puis descendants/montants. Un bon moment de fraternité. « Good job man! ». 

http://📸%20Carl%20Vignola

Station la marmotte. Encore elle. C’est ici que les coureurs qui bénéficient d’un pacer, à savoir un coureur qui va les accompagner sur 20 km environ, retrouvent leur binôme. Il y a un monde fou. Moment inoubliable. On arrive sous les encouragements et les cris d’une centaine de personnes. Incroyable ambiance. Ça me redonne des cannes. Tant mieux, la nuit tombe. 

Il est à peine 19h30 et je vois déjà la vapeur s’ échapper de mes narines et de ma bouche. Ça s’annonce frais, on le savait. Les canadiens passeront la nuit en « chandails » et en débardeurs, mais pour nous martiniquais, la veste, le bonnet et les gants sont de rigueur. On monte la Noyée. Cette montagne porte ce nom à cause de sa forme qui fait penser à une femme immergée. Je n’ai pas d’avis sur la question, je ne l’ai pas vue de jour. La montée alterne pistes rocheuses carrossables et monotraces forestières. C’est pas très pentu. Mais c’est monotone, long, et entrecoupé par quelques descentes. Ma chaussure droite m’ennuie, elle me serre trop le coup de pied au niveau du laçage. C’est un peu tôt pour avoir mal au pied donc ça m’agace. J’essaie de repositionner ma chaussette mais rien n’y fait. Je tente alors de placer un petit gravier plat dans ma chaussette à l’endroit de la friction et…ça marche. Je vais donc garder volontairement un caillou dans ma chaussure jusqu’à mon change 25 km plus tard. Soit. 

Passée la descente de cette bosse nous prenons la direction de la mi course. La section la plus simple où on retrouve nos affaires, un top ravito avec une top ambiance, et même un autre point d’ eau à seulement 7 km de plat plus tard dans le cadre du parc national des Hautes Gorges qui même de nuit semble sublime. Avant, à mon sens, la principale difficulté du parcours. La montée vers la station dite « du Coyote ». 

Ce n’est pas une montagne. Ce n’est pas si difficile. Ce serait même une rando de 16km plutôt accessible et plaisante, monter le long d’une superbe rivière qui se devine au clair de Lune, pleine ce soir et au teint orangé. Mais il n’en est rien. La station Coyote est historiquement un tournant de la course. Chaque année c’est ici que la majorité des coureurs qui abandonnent mettent le clignotant. Il était temps de découvrir pourquoi… 

Je dois le reconnaître, j’ai des qualités de grimpeur, je ne suis pas un grand descendeur, mais alors techniquement…je ne suis pas bon. Je m’étais préparé à une seconde partie de course roulante et majoritairement courrable, c’est peut-être le cas pour d’autres, mais pas pour moi. Face à nous, c’est une monotrace jamais plus épaisse qu’une quarantaine de centimètres, souvent boueuse, jonchée de pierres roulantes et de racines piégeuses, le tout à la lueur de la frontale. Une montée lente, longue… de 16 kilomètres. Je vais y passer plus de 3h30. Enfin seul certes, mais jamais je n’avais fait face à une trace aussi casse cou*/_÷s. Et une première pour moi en ultra, je n’ai pas à me forcer pour manger. Pire : je creve parfois la dalle alors que je ne fais que bouffer. Nos organismes ne sont pas habitués à ce travail de thermo régulation face au froid et cela éxige une dépense calorique inhabituelle pour moi. Pour briser la monotonie du sentier, je me fixe des objectifs de kilomètres pour me faire un ravitaillement de 2 ou 3 minutes. Car oui je ne vous ai pas dis que chaque kilomètre passé est balisé tel un compte à rebours jusqu’à l’arrivée. Un supplice moral de plus…on est venu pour souffrir de toutes façons ! 

J’arrive enfin à Coyote à l’orée du jour. Content d’être enfin à cet endroit maudit dont je sais que je vais repartir. Plus aucun doute maintenant, j’ irai au bout. On a fait l’équivalent de deux marathons, 84 km. Il en reste un dernier. 40 bornes. 39 putin des panneaux kilometriques à éliminer avant l’arche. 

Je repars bien ravitaillé du Coyote en direction de la station de l’épervier. Une section de 17 km…c’est dur après une section de 16. Imaginez 33 km avec un ravito au début et à la fin et un seul en chemin…les sections sont beaucoup plus longues que dans nos habitudes. C’est une vraie difficulté. Je sais que je n’ai pas grimpé la section précédente à une allure folle. Je repars sur le même rythme. Pendant 10 km je suis plutôt pas mal dans un sous bois que je trouve enfin agréable en ce début de journée. Le Soleil me réchauffe enfin et je peux troquer bonnet et frontale contre ma casquette et mes lunettes. La veste retourne dans le sac mais je garde encore un peu les gants, faut pas déconner. (Les locaux qui ont participé à l’événement cet année qui liront ceci vont me prendre pour un dingue car pour eux les conditions étaient caniculaires…mais quand tu sors de Martinique la nuit canadienne c’est difficile !)

Puis vient au milieu de nulle part et même pas à la moitié de cette section le panneau « reste 30 km ». Le début de l’enfer. 

Mes pieds me font mal. Je sens les crevasses, les ampoules, et le gonflement de mon petit orteil. Je peux encore courir en descente sur des portions où il n’y a pas trop de pierres, mais elles sont très rares. Chaque caillou ou racine sous la semelle devient douleur. C’est une souffrance que je connais déjà. J’y suis préparé, ça ne me fera pas abandonner. Mais je marche. Je ne fais que ça. Allure rando rapide. On passe le fameux mur des 100 km. Ce mur que je me plaîs à venir rencontrer en ultra. C’est à cause de lui que je fais ça. Ce mur, c’est en fait le point de rupture entre le soi de l’instant, le cerveau, le soi qui souffre, et le soi profond qui nous habite tout le reste du temps. Quand je regarde nos médailles à la maison, c’est ce que je vois. Je vois chaque victoire contre le plus terrible des adversaires : Soi même. Chaque fois où j’ai réussi à repousser l’alerte naturelle de mon cerveau qui pousse le corps et l’esprit à stopper cet effort déraisonnable, en le contrant par la force morale acquise à l’entraînement mais aussi lors de mes abandons précédents. Et je sens qu’aujourd’hui je vais gagner ce combat contre moi. Je ne songerai même pas à la possibilité de m’arrêter. Je vais marcher 30 km. Rien à foutre du temps et du classement. Je vais gagner quand même. 

J’arrive enfin à la station épervier avec mes pieds de hobbit. Bonheur : une équipe médicale est sur place pour nous soigner. Je prends le temps de m’assurer la meilleure fin de course possible en bénéficiant de longs soins podologiques. Une bonne demie heure de soin et alors que je me lève pour partir, j’entends la voix la plus familière de ma vie me dire ceci :

  » Qu’est-ce que tu fous là ? « . 

Solene vient de me reprendre. Elle fait une course incroyable. Elle a l’air d’aller bien. Je m’étais dis que la possibilité qu’elle me reprenne vu mon allure était réelle mais ça reste quand même une chouette surprise.  » On repart ensemble ? « . Tu m’étonnes. 

On est heureux et on se raconte notre course. La guêpe, tout ça… ça fait passer le temps. On est sur une portion plus courte. Une montée descente assez simple. Mais à cause de nos pieds, une première pour elle, l’un et l’autre avons beaucoup de mal à courir. Inutile de se dire ce que l’on sait : on va marcher les 20 km qu’il nous reste, y compris la dernière difficulté, la montagne noire. On échange sur notre forme et le constat est simple, je monte bien mais je descends horriblement lentement. Elle doit s’accrocher en ascension mais descend bien. C’est entendu, on va se compléter comme ça. On ne parle plus beaucoup. J’ai un coup de mou, je mange moins, j’en ai marre. Elle me pousse. J’en ferai autant à l’inverse peu avant notre arrivée. On fait le décompte de ces panneaux. On passe même sous les 10…ces kilomètres sont absolument interminables. Le soutien des coureur des distances plus courtes qui nous dépassent comme des balles n’arrive même plus à nous motiver. Celui de Mathieu Blanchard que l’on croise par hasard à 5km de l’arrivée un peu plus. 

On va finir ensemble. C’était pas prévu, mais je trouve ça super cool. Les derniers kilomètres pour parvenir en bas des pistes de ski de la station de Grands fonds sont interminables et toujours aussi douloureux pour nos voûtes plantaires. Mais ça va être notre moment. On entend l’ambiance au loin sur le site. Il y a plusieurs centaines de spectateurs. Tout le monde est accueilli par une salve franche de cris et de hourras. Encore plus quand le dossard et marron. Celui du 125. 

http://📸%20Ian%20Roberge

Quelques mètres, on passe entre les barrière et les spectateurs qui nous acclament. La vache, on ne l’a pas volée celle-ci. La photo ci jointe devant la foule. Émotion exceptionnelle que seul l’ultra offre. Je souhaite à tout le monde de connaître ça une fois. Et Ludovic Collet est là. Il vient nous saluer chaleureusement. Sa voix suave enrobe ses mots aussi harmonieusement que le miel enrobe une cuillère.

C’est un honneur que tu fasses notre arrivée.

Attends, tu rigoles ! L’honneur, il est pour moi…

On passera de longues minutes à discuter de trail, d’UTMB et de Martinique. Il ira  jusqu’à nous accompagner Solene et moi sur une pelouse qui fera office de lit douillet. 

Mais n’oublions pas une chose fondamentale : je suis un connard. Tellement impatient d’ enlever mes chaussures et de m’allonger, je ne prends pas le temps de me changer. Il est 15h et il fait beau et chaud. Je m’allonge quelques minutes…et me reveille frigorifié, tremblant. Mes doigts sont bleutés, mes ongles blancs. Puis je n’arrive plus à ouvrir les yeux. Ébloui par la moindre lumière. Je remercie les équipes de secours sur place pour leur parfaite prise en charge et leur bienveillance. Une bonne heure sous la couverture de survie et les plaids pour me réhydrater et me réchauffer avec succès. Une hypothermie sous 25 degrés c’est plutôt original. Ça fait partie du jeu. 

Le bilan est étrange. Je n’ai pas réussi en dépit des paysages fantastiques et de l’organisation exceptionnelle de l’UTHC à prendre réellement de plaisir. À aucun moment ou presque. Mais j’ai assuré l’essentiel en allant au bout après deux échecs, qui plus est en partageant l’arrivée avec Soso dont je suis infiniment fier. On a reussi à faire 2/2 dès notre première visite, là où encore 50% des partants n’ont pas vu l’arche d’arrivée. 

On a « fait un truc » 

C’était l’ultra Harricana du Canada.

#jesuisloup #uthc