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Une épreuve de vie en soi

Persévérance-Dépassement-Apprentissage-Émotion-Adversité-Détermination-Réussite-Humilité-Respect-Force-Générosité-Résilience-Émotion-Honneur-Amour-Écoute-Cœur-Courage-Inspiration-Fierté-Amitié-Accomplissement-Admiration-Victoire-Limites

Non pas que je n’utilisais pas ces mots dans mon quotidien auparavant, mais suite à ma première tentative de 100 miles (celui du Gaspésia 100), cette panoplie de mots a soudain pris un tout autre sens. Je savais que cette expérience gaspésienne allait en quelque part changer ma vie, du moins brusquer mon quotidien. Mon instinct est particulièrement aiguisé et cette fois-ci j’avais le feeling qu’il y aurait un avant et un après UTG100.

Mes défis, j’aime les prendre au sérieux. Ceux et celles qui me connaissent savent que je ne m’étais pas inscrit à cette course uniquement pour les beaux paysages et l’air marin, mais surtout pour en sortir fier et accompli.

Pendant les semaines qui ont précédé la course, ma confiance devant l’épreuve s’était solidement installée. J’avais fait tous mes devoirs durant la dernière année, il ne me manquait uniquement qu’à vivre le moment présent.

Fragilisée par de classiques irritants de la vie, ma dernière semaine avant le jour J m’a grandement déstabilisé. Mon dernier devoir, celui de dormir et de me reposer y a clairement goutté… J’ai pris la décision de ne pas renoncer devant l’adversité et de faire de cette course un levier qui allait m’aider à passer de l’autre côté.

Je n’allais pas être complètement seul puisque deux amis, qui sont devenus de grands amis ce week-end-là, sont venus pour m’accompagner et me supporter de façon fantastique, de ravito en ravito, afin de vivre, eux aussi, l’expérience à mes côtés.

J’ai fermé les yeux et j’ai laissé la longue route 132 me livrer au quai des pêcheurs, lieu de départ, l’endroit où j’attendais impatiemment d’être depuis plusieurs mois.

Les départs ont toujours été stressants pour moi, mais avec le temps j’ai appris qu’une fois lancé, les inquiétudes disparaissent. L’ancien gars de vélo en moi, n’aimant pas partir en arrière des pelotons, prit place à l’avant-poste. C’est beaucoup plus agréable de sentir à l’avant.

Avec un peu de recul aujourd’hui, je crois que je venais déjà de faire une erreur. J’avais perdu le focus de la raison principale pour laquelle j’étais ici : terminer mon premier 100 miles et non le courser. Les premiers kilo de la plage, les pieds dans l’eau, ont défilé rapidement devant mes yeux; le cœur, le sourire et les jambes y étaient. Il m’a fallu plusieurs kilomètres pour constater que je n’étais pas au milieu du groupe, puisque nous étions plusieurs épreuves à avoir pris le départ au même moment. Mais oups, Sylvain, Thomas et moi étions à partager quelques histoires de vie. Le plan de match venait donc de changer drastiquement dans ma tête : 1/3 de la course à la fois et pour l’instant, pourquoi pas rester en bonne compagnie.

Je ne suis pas seul, le pace est bon, je me respecte et j’ai le sourire qui me faisait du bien à l’âme. Mes soucis du moment tournaient plutôt autour du terrain qui était assez humide, merci. J’aimais le confort de mes vieux souliers, mais je n’appréciais guerre leur rendement dans les descentes boueuses. J’aurais dû changer de chaussures, mais je voulais garder mes crampons pour la nuit. J’avais encore, à ce moment, une vision pour le long terme de cette course. Le confort de mes pieds était trop satisfaisant pour l’instant.

Les ravitaillements s’enchaînaient, rivière aux Émeraudes/Val-d’Espoir. Nous venions de perdre un joueur, qui profitant d’une pause pipi, s’est éclipsé vers l’avant. Salutations Sylvain, je ne me doutais pas à ce moment-là que nous n’aurions plus vraiment la chance d’échanger avant la fin;  à bientôt!

Chaque passage au ravito était mémorable et bon pour le moral Mes deux amis, PP et Yan, étaient toujours aussi enthousiastes, prêts à m’aider en tout moment. Je sentais leurs émotions grimper chaque fois que je me pointais le bout du nez au rythme des grands. Je m’y suis accroché aussi et cela me rendait solide, mentalement.

Je vous l’admets, j’ai rêvé, rêvé que c’était peut-être ma destinée, que mon tour était venu, que le podium était peut-être accessible aussi pour un gars comme moi. « Dans la vie, on se doit de créer nos opportunités » Bien que je n’aie pas souvent mis en application cette phrase à laquelle je crois, c’est ce que j’étais en train de faire. Sans regret, j’ai suivi mon désir de croire en moi, en mes valeurs qui me définissent.

La nourriture rentrait bien, je ne manquais de rien. Anse à Beaufils/Gargantua/Mont-St-Anne, ça chatouille encore en dedans, j’ai du gaz aujourd’hui. PP me dit : « Es-tu sûr que tu vas à ton rythme? » De mémoire ma réponse fut: « Non, mais ça va aller, ça va pas si vite que ça! » En fait, je n’ai aucune idée du pace, j’en ai conscience, mais j’avais décidé que ma montre m’indiquerait uniquement l’heure.

Actuellement, il est 10 h 50, il fait beau, je me sens vivant… Allez, on redescend à Percé! Allons fermer la première des trois courses de la journée. En avalant les premiers mètres de dénivelé négatif de la montagne, j’ai reçu un appel de ma jambe droite qui se plaignait de ne pas être confortable. Je pris en considération la chose, et je laisse Thom descendre à son rythme, sans essayer de le rattraper, et c’est d’une longueur de plage à Percé que nous nous sommes retapés dans les mains.

C’est l’heure du break, des changements de bas, du vrai repas. L’heure d’un bilan, de me redonner un second objectif à moyen terme qui me dirigera vers la nuit, y paraît. 6 h 20 et le 1/3 de fait. Les nouvelles sont bonnes, les autres sont loin en arrière. Je me gâte et prends 5 minutes de plus. Thomas se pointe et me demande:

T : « Dans combien de temps tu repars? »

D : « 5-6 minutes encore »

T : « Je t’attends, on est plus fort à 2 »

D : « Non Thom va, je vais devoir commencer à penser à moi. Si tu attends 6 min maintenant pour me perdre dans 20 km, et que ça t’empêche de rattraper Sylvain, je vais m’en vouloir. Go man, va chasser! »

T : « On se revoit tantôt, on finira ça ensemble main dans la main. »

Merci spécial à Thomas, qui est un foutu bon gars! Oui, je n’avais jamais été aussi bien après un 55 km pour en faire un autre maintenant… Je savais par contre que je n’étais pas celui qui devait repartir d’ici en 3e place, j’étais plutôt le gars qui faisait son premier ultra de 160 km. Bien assis sur une chaise, j’en profite pour dire à mes deux amis que je les aime, et mon inconscient masse le haut extérieur du mollet droit en espérant qu’il appréciera cette attention.

La panse pleine, je retourne vers les doux montées qui me donnaient davantage le sourire que les descentes qui venaient avec, j’avais hâte de connaître la suite. La descente aux enfers prit tout son sens rapidement. En fait, personnellement, je n’avais physiquement jamais fait ce jeu de mots dans un tel contexte. J’avais mal, mais d’où provient cette radiation de douleur, mollet, bandelette, genou? J’ai vraiment de la difficulté à cibler la source; je n’ai jamais eu cette problématique auparavant.

Je voudrais bien trouver le moyen de m’économiser dans les descentes, la journée n’est pas terminée. Sérieux, ça ne fait que commencer! À quand la prochaine montée que je me remette de cette dernière descente? Pourquoi aujourd’hui, pourquoi maintenant, pourquoi ça m’arrive à moi?

Ça va passer, vas-y cours, ça fait juste mal quand tu descends. C’est le genre de douleur qui disparaîtra dans 10 km. Va rejoindre les gars à Gargantua et le rêve se poursuivra. Outre le focus sur ma jambe, j’ai du fun.

Le soleil est bien présent. Je suis tellement positif que je me suis presque fait accroire qu’il y avait moins de boue sur cette boucle qu’à l’aller. (Complètement faux, c’était la catastrophe causée par l’ensemble des participants du premier tour). Yan m’attendait à l’arrivée du ravito. Je commençais à mettre plus de temps entre chacun d’eux. J’ai dû leur avouer le début d’une inquiétude qui voulait se confirmer depuis les 15 derniers kilo. « Ma douleur ne passe pas les gars, je ne suis pas très positif pour la suite… Tantôt c’était seulement dans les descentes, mais maintenant, j’ai mal à m’en remettre aussi sur le plat. »

Cette douleur commençait à prendre beaucoup trop de place dans cette merveilleuse journée que j’attendais depuis longtemps. Ma tête commençait à me préparer pour le pire en me faisant réaliser que l’abandon n’était pas seulement une option pour les faibles. Les kilomètres s’enchaînaient de moins en moins rapidement. J’avais cette douleur intense qui me coupait la jambe en deux en tout temps. Le plaisir de courir n’existait plus, toute la place était réservée à la souffrance.

Au ravito de la Commune, les deux bénévoles ont bien vu que ça n’allait pas du tout. S’ils n’avaient jamais vu un coureur se rouler la bandelette avec une canette de Pepsi, c’était chose faite. Pour moi aussi ce fût une première. Je n’avais plus rien à perdre, ma bandelette semblait être responsable de tout ça. Mon genou commençait à enfler à la jonction de celle-ci et je me devais au moins de me rendre à l’usine pour annoncer au gars que c’était fini, que je ne pouvais plus courir, que je ne voulais pas passer l’été à regarder les autres jogger dehors, alors que moi j’avais été con dans une course au début de la saison. Le massage de la canette n’avait pas changé grand-chose. Mon seul moment sans douleur était à la marche, mais je m’entêtais à jogger sitôt la sensation acceptable.

À L’Anse-à-Beaufils, mes amis m’attendaient avec le même entrain qu’au matin, mais voyaient clairement que j’avais des difficultés. Nous nous sommes mis à réfléchir en groupe. « Je fais quoi ? Je me sens bien, mais j’ai mal. La douleur progresse mal, je n’arrive même plus à jogger molo sans vouloir m’arracher la jambe. Est-ce que j’ai assez souffert? »

Je savais que ce n’était pas easy un 160 km, mais je m’attendais à avoir mal à l’âme, aux articulations et aux muscles. Là, ce n’est pas ce qui se passe, je suis en train de me blesser assez gravement, je pense. Quelque chose va me lâcher dans le genou où je sais pas trop où! J’ai l’impression d’abandonner trop vite, de ne pas avoir poussé l’expérience assez loin… Yan me proposa de marcher jusqu’à Val-d’Espoir, un petit repos de 12km,ce qui me permettra de valider cette grosse décision. J’adorais l’idée! C’est parti les gars, on se voit tantôt!

D’un pas de marche déterminé, je passe tout sourire les premiers kilomètres, je me mets à croire que cette marche de santé fera du bien à ma bandelette et me permettra peut-être de terminer la nuit à la course. Je n’étais pas pressé non plus par le cutoff du 2/3; j’avais du lousse en masse pour marcher jusqu’au camp de base, là où je réévaluerai la situation. Ça y est, je le sens : j’ai hâte d’annoncer la nouvelle aux boys, j’avais déjà la phrase toute prête dans ma tête: « Les gars, vous n’êtes pas couché! » S’il le faut, je progresse le plus longtemps possible à la marche et je négocierai avec la douleur si le cutoff me court après cette nuit.

Les descentes à la marche étaient déplaisantes malgré tout. Mes inquiétudes se sont mises à refaire surface, mon genou pliait de moins en moins. J’étais rendu au stade où, d’ici quelques minutes, je n’allais plus être en mesure de marcher. (Même de reculons, j’ai essayé). Des pensées douloureuses plein la tête, le cœur rempli d’émotions, je me suis mis à accepter. À me raisonner que cette course n’était pas la dernière, que je devais être fier d’avoir pris le départ ce matin, malgré un moment personnel difficile, qui ne devait pas diriger mes ambitions.

La prochaine fois, j’aurai le cœur plus léger et non brisé, j’aurai dormi la semaine précédente et je serai encore plus fort. Aujourd’hui, c’est moi qui me respecte, moi qui me félicite. Si je ne le fais pas, personne d’autre ne le fera. Ce DNF est un accomplissement et une victoire en soi qui m’ont permis de bien réaliser qui j’étais vraiment. Il y a effectivement eu, un avant Gaspesia, et un après Gaspesia. La prochaine fois, je n’omettrai pas d’aller visiter l’un de mes endroits préférés : l’autre côté du fil d’arrivée.