in

Est-ce que je peux courir 100km?

Je suis sur un plan cinq ans, débuté il y a trois ans.

Après une dizaine d’années à courir sur route. À gratter les secondes au kilomètre pour baisser mon temps sur demi-marathon, j’ai accompagné mon voisin pour quelques heures durant une course en sentier de 160 km. Je n’avais aucune idée du monde des ultras et de la course en sentier. J’ai passé de 22 h à 3 h dans la lumière de sa frontale à le tirer avec moi dans une forêt des Laurentides. Ma vision de la course venait de changer. J’allais continuer de toucher la route pour me déplacer et m’entraîner mais mes objectifs n’allaient plus être les mêmes.

J’ai commencé à l’automne la même année par un 28 km à Harricana dans Charlevoix. Le 50 km de Bear Mountain au printemps suivant. Pour la saison 2019 mon objectif était de toucher aux longues distances : 50 miles en Californie, en avril, et j’ai choisi un endroit que j’adore pour me tester sur un 100 km. Le gaspesia 106 km:

Départ « tardif » à 8 h 15 du quai de Percé. Littéralement au niveau de la mer. Le soleil est bien levé, un mix de ciel grec et de grosse brume bien dense qui cache le fameux Rocher Percé.

Le départ se donne a capella par l’inspirant directeur de course Jean-François Tapp. Il y a 660 coureurs au total, mais nous sommes qu’une cinquantaine sur la distance de 106 km. Ce sera un aller-retour Percé — Coin du banc — Percé dans la forêt gaspésienne. 2750 m de dénivelé qui sont principalement dans les 15 premiers km de course, donc aussi les 15 derniers du parcours.

C’est la première fois que j’irai dans la zone du plus de 100 km. Je suis un peu plus stressé qu’à l’habitude. Je me jure de ne pas faire la classique erreur de partir trop vite. Je souhaite une chose : être en mesure de finir et, (si possible sur cette distance), finir fort.

Un premier kilomètre de route et de plage dans le village de Percé, et une première montée qui viendra nous disperser dans une longue file indienne jusqu’au premier sommet. Les 15 premiers km se passent super bien. Je garde un rythme où je suis capable d’échanger avec d’autres coureurs sur l’aventure qui nous attend. John un Américain de Chicago, Patrick Lacelle un journaliste de Moncton avec qui je partagerai finalement une bonne quinzaine de km plus tard sur le retour. Nous passons par 2 sommets au-dessus des nuages, je suis sur un high incroyable. Je dois me parler pour ne pas pousser plus fort. Quelques sections très techniques : boue, cordes, ruisseaux à traverser.

KM 25 on revient sur le bord de la mer pour un ravitaillement en bonne et due forme après 3 h 30 dans les montagnes. Ma famille y est. Mon père aura passé sa journée complète en voiture pour être systématiquement à tous les ravitaillements accessibles. Je m’arrête moins de deux minutes. Je repars, une banane dans la bouche une autre dans la main, les poches remplies de gels, de gatorade et de barres.

KM 25 à 53, beaucoup de boue, parfois jusqu’aux genoux, un bon « down » vers le km 35. « Je n’ai que le tiers de fait… C’est certain que je ne peux pas endurer trois fois ça. Certain.» Une magnifique section le long de la rivière aux émeraudes et un dernier kilomètre au bruit des vagues directement sur la plage de coin du banc. Je suis à mi-chemin.

km 53/106 mon père et ma belle-mère m’attendent pour un ravito efficace. J’ai plus d’une vingtaine de gels de consommer en 7 h 30 de course. Je repars plus vite que je suis arrivé. À partir de maintenant je suis en territoire connu. Tout ce que j’ai à faire c’est courir dans mes pas et retourner à Percé.

Je fais une longue section avec Patrick. Il est jaloux de mes poles qui m’aident à le rattraper dans les montées. Après un bon bout complètement seul, je croise un coureur du 160 km dans l’autre sens qui me tape sur l’épaule en me disant : « félicitations, tu es en train de faire un top 10.» Le boost que ça me donne. Un autre boost au ravito du km 75. Toute ma famille y est au coucher du soleil. Mon gars qui m’encourage en pyjama. Trois verres de pepsi, 3 hugs et un pita au fromage, je suis reparti. ” Go Papa GOOOOOOOO »

J’allume ma frontale et je vais rejoindre en vitesse un petit groupe de trois coureurs partis deux minutes avant moi du ravito. : deux femmes qui sont pour l’instant en tête de course, moi et Patrick. La nuit tombe vite. On aura deux  montagnes à traverser sur 30 km techniques. Aussi bien se serrer les coudes. Notre quatuor devient duo, je prends de l’avance avec Lecia Mancini. Elle devient donc première de la course.

En trail, on partage souvent plusieurs km avec d’autres coureurs, mais c’est rare que ça dure très longtemps. Cette fois-ci même s’il nous reste 3-4 heures de course, ça me prend quelques minutes pour comprendre qu’on la finira ensemble. Aucune raison de se séparer en pleine nuit, fatigués, avec plus de 20 km à faire. Si, en bonus ça nous aide à garder sa première place et mon top 10. On y va all in. Son courage à pousser aussi fort avec 80 km dans les jambes me motive. Je garde les devants, mais elle ne s’éloigne pas. Jamais, même dans les plus grosses montées. On est sur le même « pace ».

Deuxième sommet, il est rendu minuit on voit le village de Percé illuminé en bas. Il  nous reste une longue descente. Nos quadriceps sont beaucoup plus tannés que nous. Rendus dans le village à peine 2 km à faire; on voit la frontale de la deuxième qui arrive rapidement derrière nous. Elle veut sa première place, mais Lecia a encore tout ce qu’il faut pour la garder.

Finale épique en « sprint ». Mon père, toujours fidèle au poste, me serre dans ses bras. Trop fier. Ça se termine avec peu de décorum, mais avec un sentiment qui n’arrive pas assez souvent dans une vie. Je ne dis jamais ça d’habitude, mais on va se revoir Gaspesia.

Temps officiel : 16 h 41 : 9e place

Crédits Photos : Catherine Marois