Vendredi 12 h. Je commence à courir avec six autres passionnés dans l’objectif de franchir une certaine ligne d’arrivée 165 km plus loin, alors qu’une soixantaine d’autres coureurs ont déjà pris le départ à 10 h. Nous commençons par le mont Nicole-Albert, après une courte approche sur chemin forestier. Les jambes sont là, le mental y est et j’ai un bon rythme de marche. Dans la descente, je me laisse aller et je prends ainsi une certaine avance sur mes poursuivants.
Km 11
Petit ravito après 11 km, le temps de remplir ma petite gourde et c’est reparti. Le sentier est magnifique, j’ai du plaisir, je monte en soif de dénivelé. 2e ravito en vue depuis le sommet du mont Logan.
Km 28
Je suis au ravito et Adam Wilcox (le 2e) arrive, remplit ses gourdes vite fait bien fait et repart avant moi. « Wow! Quelle efficacité… mais merde j’espère que je ne l’ai pas perdu pour de bon! » Dans tous les cas, la course est longue, alors je repars au même rythme sans trop me soucier de le rattraper.
Km 34
Quand j’arrive au 3e ravito, Adam y est déjà, alors je sors mon meilleur anglais :
– Hey Adam! Let’s run together!
– Yes, of course! I wanted to propose the same thing at the start but you looked focused and I thought you wanted to do your own race.
– Ah not really… It will be more fun if it’s the two of us!
J’ai ainsi pu profiter de son expérience et nous avons continué sur notre pace régulier et assez soutenu tout en se gardant une petite gêne vu la distance à parcourir. Le temps passe beaucoup plus vite à deux!
Km 48
Premier drop bag (4e ravito). Nous nous ravitaillons chacun de notre côté et quand Adam est prêt il me regarde. Je lui dis : « encore 2-3 min » et il me dit « OK je vais t’attendre en marchant » (j’adore l’esprit trail). Parle parle, jase jase, cours, marche, trébuche, monte, descend, jambes lourdes, début de crampes, jambes fraiches, gel, jujubes, eau…
Déjà le temps de sortir la frontale. Nous rattrapons un coureur (Cédric Chavanne) qui était parti dans la vague de 10 h et il se joint à nous pour la nuit. Nous sommes tout à coup un trio d’enfer prêt à affronter la noirceur de la nuit… Dernière descente avant le ravito 6 et le second drop bag, je laisse Adam en avant. De cette façon, je n’aurai pas le choix de suivre son pace et je sais qu’il va être plus conservateur que moi dans la descente (c’est l’expérience qui parle).
Km 79
Second drop bag, mon équipe (merci Charles et Gabrielle) est encore au rendez-vous, ce qui me permet de mettre des bas secs (merci Alexandre) que j’avais oublié de mettre dans mon drop bag (un petit détail bien simple qui a sans doute sauvé ma course).
Au départ du ravito, nous nous retrouvons à nouveau trois à courir dans le sentier avec Adam, Cédric et moi. Après quelques kilomètres, Adam doit malheureusement arrêter… Ça ne vas pas. Cédric et moi allons donc affronter le plateau du mont Albert à deux. Dans la descente, les sensations sont bonnes et je descends à un bon rythme alors je quitte Cédric (est-ce vraiment prudent… on verra bien).
Km 100
J’atteins le 8e ravito, celui du Sky Village au mont Albert, après environ 16 h de course. J’enfile nouveaux bas et souliers (ils sont secs, quel bonheur… ça commençait à frotter en dessous du pied droit).
Quand je repars, Cédric arrive. Je ne l’attends pas, j’ai confiance pour lui, il semblait en bonne forme et grâce à notre nuit productive à trois, il est maintenant 2e. On me dit « prends ça relax, profites de ta belle rando et des 65 derniers km, il n’y a pas grand monde derrière » (j’avais à ce moment plus de 2h d’avance au chrono sur Cédric, puisqu’il est parti dans la vague de 10h). Aucune chance que je ralentisse, j’ai l’intention de me pousser à fond! Je monte le Xalibu et la vision commence à réduire, les réflexes sont plus lents, les jambes sont lourdes, c’est la fatigue qui embarque, j’utilise de plus en plus mes bâtons…
Km 122
Descente du Jacques-Cartier, les sens n’ont pas le choix de revenir vu la vitesse à laquelle je descends. En deux temps trois mouvements, je suis au ravito 10. Descente jusqu’au camping et voilà dernier drop-bag ravito 10B. « Wow la fin approche! Plus que 40 km, allez Jeff les jambes sont bonnes ouvre la machine… Plus facile à dire qu’à faire mon homme. » Bon assez monologué dans ma tête. Je repars dans un magnifique single track en pleine forêt. Ça roule bien, pas de crampes, mais les jambes sont de moins en moins vites. Une fille marche à côté de son fat bike, « Heu … salut ça va? » C’est l’équipe de fille qui était devant moi! « Je rattrape une équipe alors que je suis en solo sur 100 miles… Ok je suis encore en forme finalement. »
Km je ne sais plus combien, mais il n’en reste pas long…
Le temps passe, les kilomètres aussi, le fat bike me dépasse, je le dépasse dans la montée, on se croise au refuge (ravito 11), puis je rattrape l’équipe de fille avant la dernière descente. «Dernière descente, GÉNIAL». En bas, mon équipe est encore au rendez-vous « Wow vous êtes parfaits! » Ils me lancent au passage : « Tu ne dois que te rendre au fleuve ».
Ça parait qu’ils ne viennent pas de faire 160 km … Les plus longs 5km que j’ai jamais vus! Et puis j’arrête sec, je suis à la ligne d’arrivée. Satisfaction immense, devoir accompli, fierté, bonheur, dépassement de soi, joie, euphorie, fatigue. Ça y est j’ai fini mon premier 100 miles. J’en ressens encore la satisfaction. Quelle aventure, quelle beauté sauvage, quel territoire!