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BU160 Je peux enfin me laisser tranquille

Cette folie de courir un 100 miles m’habitait profondément, depuis mon abandon au Gaspesia 100 en juin que je me demande à quel moment je vais remettre ça. À peine remis du 125 km de Harricana, j’avais déjà faim, je sentais que j’avais ce qu’il me fallait pour prendre ma revanche. C’était complètement imprévu, le repos et les entraînements des semaines suivant UTHC avaient été totalement improvisés. J’ai écouté mon instinct et décidé que je prendrais le départ du BU 160 à peine deux semaines avant.

« Pourquoi pas le 80 km, ça serait plus raisonnable non? »

Si je suis en mesure de penser faire le 80 km, je peux faire le 160 km. Je sais que je suis prêt, j’ai pas de raisons d’avoir peur. Mon état physique me faisait énormément douter, j’avais crainte de m’entêter au mauvais moment, de me mettre en situation d’échec volontairement. Je savais que c’était risqué, que j’allais traverser cette épreuve avec déjà deux prises, mais une chose était claire, j’en avais vraiment envie. Se défier, avoir le contrôle, profiter du moment présent, mais surtout créer ses propres opportunités…

Ayant eu la visite de Ménière le week-end précédent le départ, j’étais confiant que je serais en mesure d’avoir toute ma tête pour partir. Ce qui fut le cas, en pleine possession de tous mes moyens, (si je fais abstraction des multiples bobos,) je quitte le kilomètre 0 à 7 h.


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Ayant comme objectif principal de prouver à moi-même que j’étais pas venu ici pour rien et que je pouvais compléter mon premier 100 miles. Pourquoi remettre à plus tard ce qu’on peut accomplir aujourd’hui?

« Je serai comment physiquement et mentalement dans une semaine, dans un mois, dans un an? »

Peut-être encore moins apte que présentement de faire quoi que ce soit… C’est ce qui me pousse à me réaliser depuis un certain temps.

Comme d’habitude j’aime partir en avant, je sais que j’en ai pour plusieurs heures à discuter avec moi-même, alors tandis que j’ai de la compagnie, aussi bien en profiter pour jaser un peu. (Merci spécial à Samuel Tousignant pour les bonnes réflexions) En veux-tu du dénivelé? En voilà! Les premiers kilomètres commencent intenses, j’essaie de doser l’effort, je vois bien qu’on est parti fort.

« Quand tu penses que tu vas pas assez vite, ralentis encore. »

Mais on dirait que j’ai seulement une vitesse moi, la vitesse du sourire, tant que je l’ai de collé au visage, c’est que la vitesse est bonne. Monte-descends, les sentiers sont sublimes, l’automne est à son apogée ici à Bromont. Monte-descends; les montées sont plus agréables que les descentes aujourd’hui : je dois déjà penser à m’économiser. J’ai déjà des coups de couteaux dans les aines au kilomètre 20 ce qui me rappelle que j’ai omis de me reposer le mois passé. Monte-descends, me voila déjà seul, la journée va être longue, il en reste encore 120km à faire…

C’est à ce moment que je me suis installé dans ma bulle, une bulle tellement étanche que même moi aujourd’hui, j’ai de la difficulté à écrire ce récit, à mettre des mots sur les 22 h 30 min de cette course.

« À quoi on pense durant ce genre d’épreuve? Qu’est-ce qui t’a poussé jusqu’au bout? »

Chaque course possède sa propre histoire et ses propres réponses. Celle-ci a été très difficile pour moi physiquement, je m’y attendais, mais je ne croyais pas que la douleur allait prendre autant le rôle principal. C’est à ça que je pensais,. J’y pensais tout le temps, à chacun de mes pas, cette douleur était lourde, j’avais mal. À partir du kilomètre 50, j’ai regardé ma montre et je me suis dit:

« Commence par terminer le premier tour, au ravito du 80 km, tu feras des choix. Un objectif à la fois, je vais débuter par aller rejoindre ma petite fille Ella qui doit avoir bien hâte de voir son papa. »

Les kilomètres sur ma montre montaient lentement, mais vraiment lentement. J’avais l’impression que je n’avançais pas du tout et pourtant, au feeling, j’étais a un pace régulier. 55 km-57 km-61 km-64 km, c’était interminable! Au 65 km de ma montre, j’aperçois le camp de base. Le camp de base? La mi-course?

« Ah! merde! j’ai dû prendre le mauvais chemin, c’est pas vrai! C’est pas vrai que je reviens sur mes pas, la course va s’arrêter là pour moi aujourd’hui, j’ai pas la santé pour faire un extra 30 kilo. Je le savais, tu parles d’une idée de s’inscrire à un 160 km après autant de volume consécutif. Tu as couru après! »

Dans la tente, j’informe l’organisation de la situation, mais heureux de constater que c’était ma montre qui m’avait induit en erreur. J’avais bel et bien couru 80 km, ça pouvait bien me sembler interminable! Il était à peine 16 h 30, j’étais 3ieme, j’ai la moitié de fait, imaginez le plaisir : j’ai le moral plus que jamais!

« À tantôt ma grande fille, va faire un beau dodo, papa va repartir courir toute la nuit, terminer cette course. On se voit demain matin, bisous… »

Et c’est reparti!

« Tu as ta lampe frontale? Tu sais à quoi t’attendre! »

Oui, je sais ce qui s’en vient, je sais que ça va faire mal et c’est pour ça que je suis venu ici, voir qui je suis, voir si j’avais la force physique et mental de me rendre jusqu’au bout…

Je me suis diverti comme je pouvais. J’ai eu au moins une pensée pour tous mes proches et mes amis, un à la fois ils m’on donné le goût de poursuivre. Je les ai passés un par un dans ma tête, chacun son kilomètre, jusqu’à ce qu’ils me donnent le sourire.

Y a eu ma fille, pour qui j’ai donc bien envie d’être un modèle et qui trouve son père complètement fou de courir autant.

Y a eu mon père, qui était à l’hôpital, probablement en train d’avoir plus mal que moi présentement.

Y a eu ma mère, qui avait la meilleure place pour me voir durant toute la course vue des airs.

Y a eu Yan, qui attend juste que je termine cette course pour qu’on puisse s’inscrire à la CCC.

Y a eu les C.U.T.E. que j’entendais m’encourager au travers mes pensées et avec qui j’ai tellement passé un bel été. Ils et elles ont été dans mes pensées et je tiens à les remercier. (Y a surtout eu Matt Fortin qui m’a manqué, il courrait fictivement devant moi dans ma tête pour me pacer comme à l’UTHC. « Ici Matt aurait couru, alors je dois courir, ici Matt ralentirait, alors je ralentis. »)

J’étais seul dans le noir, l’heure n’existait plus, la ligne d’arrivée allait être mon réveil matin. J’avais mal au coeur, la bandelette était de retour, les jambes voulaient m’éclater, mais cette fois-ci je suis en mesure de tolérer la douleur, j’ai l’énergie et la détermination. La saison est finie, je termine cette course point final, on se reposera après, c’est aujourd’hui que ça se passe!

Anne Le Mat, une pacer en or!

Qui veut venir accompagner pour 35 km un zombie enragé, qui grogne, en plein milieu de la nuit? Merci Anne, j’ai pas dit grand chose durant ces quelques heures à part quelques jurons lorsque je manquais une roche. Tu as été pour moi et devant moi, une lanterne qui a très bien su me guider et sur qui je pouvais compter.

Au plus profond de la forêt, au kilomètre 130, j’ai commencé à y croire. Dans la crainte de ne pas savoir à quelle distance était mon poursuivant, jamais j’ai douté, jamais je ne me suis arrêté, jamais j’ai pensé abandonner. Je voyais des lueurs de frontale sautiller au loin, allez, faut se dépêcher; j’allais pas laisser cette chance passer, je la mérite celle-là.

Cette année, j’en ai bûché un coup je trouve à plusieurs niveaux. Cette course, elle était pour moi un cadeau, j’avais envie de terminer la saison sur une bonne note. Je suis une personne exigeante envers moi même, je me devais d’arrêter de rêver, je voulais terminer question d’avoir vraiment l’impression d’exister. Oui, pendant 22 h 30 min, j’ai été un battant, j’ai eu un mental d’acier, je me suis oublié, j’ai tout donné, je me suis sacrifié, mais j’ai enfin l’impression de ne pas avoir fait les choses à moitié. J’ai crié, j’ai pleuré, j’ai baillé, j’ai sacré, mais j’ai déjà hâte de recommencer. Avant je dois me reposer, prendre le temps d’être fier de moi et de ce que je viens de réaliser avant de profiter aussi des autres vrais belles choses que la vie peut m’apporter.