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Visualisation sportive – mon expérience sur l'UTHC 125

matthieu fortin

Vers 2 heures, je m’élance sur le 125 km de l’Ultra-trail Harricana d’un pas léger. D’aucuns diront que les départs de course sont source de stress ; pour ma part, je respire profondément avec le sourire en coin dans l’expectative de la journée grandiose qui m’attend. 

De façon générale, je m’efforce de rester très humble par rapport aux courses de longues distances. Tantôt enivrantes et magnifiques, tantôt imprévisibles et délétères, elles peuvent nous faucher comme une moissonneuse-batteuse en cette saison des récoltes et nous réduire à la rééducation élémentaire des muscles profonds pendant plusieurs semaines. Il faut me croire ! Tout peut arriver sur un ultra ; même les pros n’ont jamais la garantie de terminer la course comme planifié, ou même de la terminer tout court.

Depuis mon DNF (did not finish) de 2018, j’ai tenté d’optimiser mes stratégies de préparation afin de mieux appréhender les difficultés physiques et mentales d’un ultra comme l’UTHC. Bref, en prenant le départ de l’édition de 2020, j’ai voulu faire les choses différemment. 

La visualisation sportive est amplement documentée, et je ne souhaite pas trop m’étendre ici sur ses fondements théoriques. Je ne prétends pas être un expert du sujet. Je souhaite simplement partager ma propre expérience afin que d’autres puissent eux aussi tirer profit de cette stratégie de préparation et d’exécution.

Cette technique consiste grosso modo à jouer et à rejouer dans sa tête les moments clés ou les séquences les plus importantes du jour J. Tout l’esprit de la visualisation repose sur des sensations positives projetées avec confiance et précision dans les gestes à poser une fois arrivé dans le sentier. Au fond, c’est comme si on voyait défiler à l’avance le film de la course, comme si on se mettait en situation sur n’importe quel segment du parcours en restant dans le confort de son coton ouaté à la maison.

Les jours qui ont précédé

Il n’y a pas réellement de mauvais contexte pour visualiser son prochain ultra. À quelques jours du départ vers Charlevoix, j’intégrais plusieurs petites séances de 10-15 minutes ici et là, que ce soit au repos, sur mon tapis de yoga ou carrément en courant le long de la rivière Saint-Charles près de chez moi. Cela nécessite seulement de se plonger le plus sérieusement possible in situ, dans le lieu projeté et le moment où la course aura lieu. Cela m’apparaît maintenant comme une étape primordiale du « taper » d’avant-course, au même titre que les quantités déraisonnables de pâtes alimentaires qu’on ingère pour se donner l’impression qu’on est prêt.

Les jours avant Harricana, quelquefois le résultat de la visualisation me donne confiance, en d’autres occasions, il me pousse à aller chercher quelques validations : aurai-je assez d’eau entre tel et tel ravito ? Mon matériel est-il réellement adapté pour les conditions de course ? Par quoi pourrais-je être distrait, etc. Le doute fait partie intégrante du processus, du moins tel que je l’ai vécu. Par exemple, six jours avant le départ, après une séance de visualisation matinale, j’ai ressenti un besoin irrépressible et immédiat d’aller faire quelques laps dans un petit sentier incluant une mini descente pour me donner confiance… Ces huit kilomètres – en apparence insignifiants – n’ont rien changé au plan d’entraînement, mais ont compté dans la préparation mentale. 

Une fois dans le sentier

Le début de l’UTHC nous mène directement sur quelques sommets de la zec des Martres en pleine obscurité. Avec les départs par vagues, COVID oblige, je m’étais bien attendu à l’effet entonnoir que créerait l’ascension des monts Lac-à-l’Empêche et Dufour. Les autres coureurs sont bien visibles dans le sentier et forment de belles processions de lampes frontales toutes alignées sur le flanc de la montagne. C’est beau ! Néanmoins, malgré ce spectacle, je ne pense à rien de précis pour honorer ma planification ; pendant tout le premier tiers de la course, je m’efforce de rester concentré sur mes sensations et sur un rythme proche de celui que j’avais imaginé tant de fois quelques jours plus tôt. Ayant désactivé les notifications à chaque kilomètre sur ma Suunto, je cherche dès le début de la course à instaurer un silence et un calme dans le flux incessant et habituel de mes pensées.

Planifier des « récompenses » de course

Avant l’aube, l’obscurité et l’ambiance enveloppante de la traversée de Charlevoix permettent au « pilote automatique » programmé en moi de prendre les commandes. J’ai tout le loisir d’observer la lumière rosée du lever du soleil pendant l’ascension des Morios, accompagné de quelques coureurs silencieux comme des fantômes.

La descente du Mont des Morios est ma partie préférée de l’UTHC 125. Un vrai péché mignon ! Voilà quelques jours que je me vois descendre cette section aussi vite que je peux. Dans la visualisation, j’avais rapidement le sourire aux lèvres quand j’y arrivais. 

Le plaisir est réellement redoublé quand j’y pose les pieds pour vrai ! Comme si le cerveau n’a pas besoin de distinguer à 100% une expérience projetée d’une expérience concrète. En d’autres mots, avant même de prendre le départ, l’appétit mental pour cette descente était gargantuesque ; au sortir du single track au Lac Boudreault, je suis satisfait et plus que jamais empressé de poursuivre.

Les kilomètres défilent et les heures passent

Vers 11h, je rejoins Marjorie aux Haute-Gorges. Elle a la grande générosité de m’appuyer dans cette journée. En toute honnêteté, j’ai de la difficulté à sortir de mon état mental quasi méditatif en arrivant à ce ravitaillement. Juste avant de tourner vers le terrain des équipes de soutien, six bénévoles crient et applaudissent pour nous encourager. Surpris, je me passe la réflexion : « ben voyons… ils sont tellement motivés eux ! » Marjorie me donne quelques nouvelles ; sa voix rassurante me fait du bien. Je suis d’un calme plat. Après une courte pause, je regagne le sentier et replonge dans le confort du « film » qui joue depuis 2 heures du matin.

 

Par ailleurs, la visualisation n’est pas tout rose… Par exemple, je me rappelle avoir fait une séance avec de la musique la veille de la course… qui a joué en boucle presque sans arrêt du début à la fin des 125 km. Une cantate de Bach que je n’oublierai jamais, plus particulièrement une partie un peu tordue avec un contrepoint à trois voix normalement impossibles à mémoriser… J’ai failli devenir complètement fou avant d’arriver au ravito le Coyote. Après 80 km de course, j’imagine que ce genre de dérive est quelque peu normal.

Nouveau choc quand j’arrive au Coyote, je n’en crois pas mes yeux : Joan Roch me sert de la soupe, Anne Genest m’offre un Coke… et Guillaume Barry est bien relax sur une chaise de camping. Je me dis, ça y est, j’ai vraiment perdu la raison ! À ce moment précis s’opère une inflexion importante dans la course : j’ai maintenant un coureur avec qui repartir ! Guillaume me propose de faire le reste du parcours à deux, c’est vraiment la joie. En fait, tout le plaisir est pour moi ! 40 km à franchir : on repart d’un pas constant en s’amusant comme de bons amis. 

Même si ce scénario n’avait pas fait partie des possibilités dans la visualisation, je me rends jusqu’au fil d’arrivée en profitant d’une expérience encore plus satisfaisante, étant en bonus accompagné par un gentleman pour qui « l’abandon n’est pas une option ». Mémorable ! Je passe le fil d’arrivée avec le grand sourire, heureux de retrouver Marie-Sophie, et enfin de festoyer avec tous ceux et celles qui ont vécu les émotions fortes et positives de la journée.

La conclusion que j’en tire

Pour cet ultra, la visualisation m’a aidé à mieux gérer les sensations relativement à la durée de l’effort et à la répartition de l’énergie en fonction du parcours. Elle m’a aussi permis de mieux définir mes attentes par rapport à ce que représente pour moi « courir un ultra pour le plaisir ».

Il s’agit d’un outil à la portée de tous qui peut non seulement consolider la confiance du coureur ou de la coureuse avant l’événement, mais aussi améliorer l’expérience globale durant les heures en sentier.