- Mise en contexte :
Après des mois de préparation, après une certaine pression extérieure dû à ma victoire l’an passé, me voilà sur la ligne de départ du 125km.
La dernière semaine était stressante mais une fois arrivé une heure avant le départ, je me sens bizarrement très relaché.
- 2h du matin :
Le départ est donné à 2h du matin, la température est parfaite, nous partons à un bon train sur les premiers kilomètres. Jean-François Cauchon mène la danse comme si personne n’osait passer devant lui.
L’allure me convient, je me sens bien, je me concentre sur la stratégie qui est de partir un peu moins vite que l’année dernière pour accélérer sur la deuxième partie du parcours.
Je réfléchis à mon alimentation (la clef du succès à mon sens), j’essaye de copier mon plan de l’année passée (manger mon wrap au comté, hummus et jambon assez tôt tant que mon estomac est coopératif sur les paroles de Pierre-Michel Arcand de 2019).
Tout va bien au ravito « le lac à l’empêche » au kilomètre 15. Mon temps de passage est parfait, idem à la station d’eau des Morios.
Estomac coopératif, une pêche d’enfer. Je reste calme et concentré pour ne pas m’enflammer. La montée des Morios me semble facile. Nous filons à toute allure, les 5 hommes de têtes.
Photo : Denis Rouleau
Mais nous commençons à perdre David Savard Gagnon qui part en tête. Je me dit qu’il va se brûler (après réflexion, je pense qu’il a su s’écouter et sentir qu’il le fallait, là à ce moment très précis).
Nous arrivons un peu décalé dans un rayon de 5 minutes au ravito des Marmottes.
Toujours ultra frais, je ne m’arrête qu’une ou deux minutes.
- Le jour se lève :
De mémoire, la section suivante est longue et délicate, le prochain ravito se trouve à 20 km (la chouette) et je commence à avoir une petite baisse de régime. Rien de grave c’est normal, je respire, je m’alimente en sucre et électrolyte caféiné. Je garde une allure décente. Elliot Cardin me rattrape, on jase, je déconne pour rire un peu. Il semble concentré et détendu. Je ne cherche pas à le tenir. Mon plan est de rester concentré sur mes temps de passages sans prendre en compte ma position. Il passe devant. Je me dit que la course est encore longue et beaucoup de choses peuvent arriver.
Je retrouve Elliot au ravito de la Chouette. Eau, patates au sel et bananes sont mes favoris. Elliot part avant moi. Sébastien Coté est là, il me salue et m’encourage. Il reste juste 10 km avant le gros ravitaillement de mi-parcours des Hautes-Gorges. Là où Marjorie m’attends avec deux de mes amis (Stephane et Vincent) l’équipe de soutien de feu! J’ai hâte de les retrouver. L’énergie est revenu, plus que 10km, très peu de montées à faire c’est parfait.
- Le petit grain de sable :
Je quitte la Chouette, je suis cette track large et caillouteuse. Elle monte. Je me motive et je me dit tant que ça monte je cours, même lentement, mais je ne marche pas. Le soleil pointe le bout de son nez, ça fait du bien au moral. La montée me semble interminable. Je ne comprends pas pourquoi je ne l’avais pas gardé en tête l’année dernière : « il me semble que c’était presque plat à cet endroit ». Ça monte, à chaque virage j’espère voir du plat. Je regarde mon allure 8:30 dans la montée, ouch ! Ça n’avance pas. Je commence à me poser des questions, cela fait 15 minutes que ça dure. Je ne vois pas de marqueur sur le bord de la route….
Je regarde le tracé que j’avais préalablement mis dans ma montre et je réalise que je n’ai pas vu l’embranchement du sentier juste après le ravito!
Tout d’abord, je suis en rage contre moi même, je rebrousse chemin je redescends vite je ne sais pas encore trop quelle distance j’ai parcouru hors parcours. Je cours, c’est long, je regarde ma montre, je vois que je me rapproche lentement du parcours tracé.
Je me sens bizarre, énervé et perdu dans ma stratégie, je commence à réaliser que je viens de perdre mon plan de match (mes temps de passage). Je sais que Marjorie m’attends et que je n’arriverai pas à l’heure prévue et ça me rend nerveux.
« Ils vont se demander ce qui m’arrive… »
Je repense à la diagonale des fous 2019 où un certain Maxime Cazajous qui après avoir fait un gros détour ne lâche rien pour remonter dans le classement et terminer à la 4e place. Quelle force mentale!
Je décide donc de maintenir une belle allure jusqu’au ravito. Tout en parcourant ces 10km, je ressasse mon erreur.
« Qu’est ce que je peux être bête, pourquoi je n’ai pas vu ce panneau, tous ces efforts pour quoi finalement?! »
- L’effet papillon :
Mes intestins commencent tranquillement à se nouer, une petite gêne supportable mais qui me fait ralentir et rajoute une petite couche de stress.
J’arrive au ravitaillement des Hautes-Gorges. Je suis heureux de voir Marjorie, Stéphane et Vincent.
À ce moment je commence à me dire que la course ne sera pas du tout ce que j’avais imaginé. Je suis ému, je me dis que c’est la fin. Une chance que ces pensées me traversent l’esprit à l’endroit où je suis entouré. Vincent et Stéphane me boostent « mais non oublies l’abandon tu es 4ème! ». Impossible à ce stade. En effet. Je décide donc de prendre plus de temps avec eux pour estomper ma gêne digestive.
Mike Neron arrive aux Hautes-Gorges. Il s’arrêtera moins longtemps que moi.
Photo : Alexandra Coter Durrer
Je repars après un bon repos. Je le rattrape après quelques kilomètres. Nous décidons de continuer ensemble bien doucement. Mon ventre me gêne de plus en plus. Je préviens Mike à certains moments que je ne peux plus courir ça me fait trop mal, je dois m’accroupir et attendre. Lui aussi se sent pas bien. Il m’attend.
Plus on avance et plus c’est difficile. Évidement la gêne me fait perdre tout espoir et l’abandon prend de plus en plus de place dans ma tête.
« À quoi bon courir avec cette douleur! De toute façon tu as raté ta course. Tout ça pour un maudit panneau, lorsque que j’arrive au ravito de l’épervier j’abandonne !»
Les dix kilomètres avant l’Epervier ont été très pénible. Je me pliais en deux régulièrement pour soulager les intestins. Puis je repartais. Mike Néron était juste devant moi je tenais son allure douce.
- Une communauté magique :
Quel soulagement d’arriver à l’Epervier! Je préviens Mike que tant que j’ai mal je ne repars pas et que soit j’abandonne soit je termine avec mon ami Matthieu Fortin qui arrivera plus tard.
Peut-être que c’est ça de trop vouloir planifier, on oublie de laisser la place aux envies et aux sensations du moment, on ne s’écoute plus et le moindre petit grain de sable peu enrayer toute la machine.
Je reste donc à l’Épervier en gardant en tête la possibilité de continuer avec Matthieu. Mon ventre me fait toujours mal. Je décide de m’allonger dans l’herbe.
Photo : Edicarbo
Je discute avec toute l’équipe de bénévoles qui ne sont rien d’autres que les organisateurs de Bromont ultra! Des gens adorables, Joan Roch est également de la partie. Cette pause forcée me plaît finalement, je découvre un volet que je ne connaissais pas assez. Prendre du temps aux ravitaillements et profitez à fond de cette communauté magique. Le moral est revenu, j’en oublies la course ! Le ventre reste cependant pas coopératif. Jean Fortier est présent il me voit allongé, il me propose des anti-acides pour mes douleurs. Les cachets n’ont pas eu d’effet pour moi (du moins pour les 3 prochaines heures).
- Hallelujah !
Matthieu arrive, 2h30 d’attente qui m’ont semblé durer que quelques minutes.
J’ai toujours mal au ventre mais je ne peux plus abandonner, je dois continuer, terminer ce pourquoi je suis venu. Mes objectifs ont changés, pas de temps, pas de position, pas de podium juste la course et aller chercher ce sentiment d’accomplissement.
Être fier de cette journée et le montrer à mes enfants. Je veux pouvoir leur dire que j’ai gagné aujourd’hui avec ou sans podium voilà pourquoi on se dépasse chacun. Pour entendre la voix de Mireille Roberge à la fin, pour pouvoir embrasser ma douce après cette ligne, pour apprécier cette bière si précieuse, pour profiter avec tous nos amis de nos récits de course respectif, pour faire honneur à toute cette organisation en cette époque si délicate.
Et aussi pour récupérer ce petit Opinel si précieux 😂!
Je repars avec Matthieu, le fait de repartir me fait mal au ventre, je cours un peu plié mais curieusement pas mal aux jambes (peut-être que le fait d’avoir mal au ventre me fait oublier les 80 kilomètres précédent…).
La discussion est joyeuse et réconfortante. J’en oublie les kilomètres qui avancent. Je finis, après 2h de course, à me sentir mieux. Matthieu est un magicien, il doit souffrir lui aussi, il n’en parle pas, je l’admire je le trouve fort et résilient.
Vous n’imaginez pas le bien être que ça procure de courir sans douleur ( ou presque car la fatigue générale arrive).
Photo:Richard McDonald
Nous allons y arriver ! Je me sens fier, fier d’avoir un compagnon si fort mentalement, fier de terminer ensemble, fier de cette journée!
Nous voilà enfin arrivé ! La frontale sur la tête pour la deuxième fois. Je réalise que c’est ma course la plus longue à vie (détour oblige) en kilomètres et également la plus longue en temps !
J’ai tellement appris ce jour là!
- Bonus 🙂
Voilà quelques conseils qui me viennent à l’esprit :
Si vous prenez une décision ( abandon, accélération ou autre choix tactique) laissez-vous toujours une place au changement. Par exemple plutôt que de dire : « Je n’en peux plus je vais arrêter au prochain ravito ».
Dites-vous : « Je n’en peux plus, j’aimerai arrêter, je prendrai ma décision au ravitaillement ».
Ne cherchez pas à reproduire une précédente course. Chaque course est différente et laissez-vous une part d’imprévu (que se soit sur l’alimentation, sur votre allure, etc…)
Maintenant que la pression est retombée je me sens plus fort et j’ai envie d’y retourner! Mais place au repos qui me semble le plus important pour le moment.
Durée | Distance | Dénivelé |
---|---|---|
km | m | |
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