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Soixante-cinq kilomètres au cœur du massif de Charlevoix

Au terme d’une courte nuit de somnolence, je me lève avec fébrilité vers 3 h du matin pour prendre un gros petit-déjeuner avec mon compagnon de course, Christian. Il prend le départ du 65 km Harricana édition 2017 avec moi, un trail cumulant près de 2000 m de dénivelé positif entre le parc des Hautes-Gorges de la rivière Malbaie et le mont Grand-Fond.

Dans l’autobus qui nous mène au départ, je discute avec Christian de ma « stratégie » de course : « Je compte partir dans le peloton de tête afin de ne pas avoir à dépasser trop de monde dans le single track plus loin, comme ça m’est arrivé dans certaines courses auparavant. On verra pour la suite, sans grandes attentes, ni pression! ». Mais au fond, une course étant ce qu’elle est, mon objectif est de finir la course en bas de 7 h et, si possible, être parmi le top 20. Nous sommes 250 sur la ligne de départ. Je me positionne dans le groupe des 20 premiers coureurs en me faisant croire : « J’ai juste à rester avec eux et c’est dans la poche! ». Mais est-ce que je vais être en mesure de tenir?

Le départ est donné à 5 h du matin. Il pleut, il vente, il fait frette, on est en septembre! Mais je me réchauffe rapidement car le groupe de tête auquel je m’accroche tient l’allure à 4 min/km pendant les six premiers kilomètres sur route de gravier.

Le rythme ralentit considérablement lorsque nous entrons dans la forêt sur un sentier étroit, beaucoup plus technique. Christian est déjà loin devant moi, ses objectifs étant plus ambitieux! Je suis toutefois avec cinq autres coureurs bien sympathiques qui proviennent d’un peu partout du Québec.

Sur cette section, il y a une série de ponts de bois chevauchant des rivières. L’équipe de balisage les a tous fermés pour la course, craignant leur manque de solidité. On nous fait passer dans la rivière à la place. Mais Christian et moi avions fait ce parcours lors d’un entraînement trois semaines auparavant et les ponts étaient bien solides, du moins pour un coureur à la fois. Alors tous me font confiance et nous traversons au sec sans problème. « Merci René! ». J’ai maintenant cinq nouveaux amis! Amitiés éphémères : ils me larguent 5 km plus loin..

.Après quelques kilomètres en duo avec un autre coureur, j’arrive au premier ravito (km 22). Je fais le plein d’eau et je mange un peu, pas trop, mais juste assez pour ne rien sentir dans l’estomac en courant. Allez, on repart, deux minutes de pause c’est bien assez!

Je sais que la prochaine section sera très technique : beaucoup de boue avec des montées abruptes, racines et souches saillantes. C’est à cet endroit que je croise Annie Jean, une athlète bien connue dans le milieu du trail. Elle a monté sur le podium de plusieurs courses – dont le très difficile Marathon du Mont Blanc plus tôt cette année . Elle a une forme d’enfer et elle est bien sympa! Je la dépasse dans les descentes, elle me rattrape dans les montées. On joue au chat et à la souris pendant 10 km et on en profite pour jaser un peu. Au moment où elle me dit qu’elle est podiatre et qu’elle traîne toujours un kit de secours au cas où un coureur se blesse au pied, je me tords la cheville droite sur une souche. Je sens alors une chaleur incroyable envahir ma cheville et je ralentis un peu pour voir si c’est important ou pas. Ouf! Tout va bien, plus rien après cinq minutes. Je n’aurai finalement pas besoin des services d’Annie! Le sentier s’ouvre et descend librement, je prends les devants.

Au km 30, je commence à ressentir mon premier moment de fatigue. J’ai maintenu une allure assez rapide depuis le début, et rarement je ne m’entraîne dans cette zone aussi longtemps. Annie me rattrape et me demande si ça va. « J’commence à fatiguer un peu, j’ai hâte au prochain ravito». « Fais rouler tes jambes et ne pense qu’à ça » me répond-t-elle en repartant devant. Je « roule » pendant 2 km mais je me permets de marcher un peu et l’énergie revient tranquillement.

J’entame seul un segment de 5 km, jusqu’alors inconnu, sur une route forestière ayant une pente descendante variant de 5 à 15 %. Les orteils bien accotés au-devant des souliers, c’est ici que ça se passe. Adieux mes ongles. Mais des ongles d’orteils, ça ne sert à rien alors je m’en fous!

Vers la fin de la route, je rejoins une coureuse, Mireille,  si ma mémoire est bonne. Elle me dit qu’elle est la dernière sur le parcours du 42 km, parti vers 7 h. Il est 9 h20. On fait un bon kilomètre ensemble, à son rythme, simplement pour lui tenir compagnie, l’encourager et jaser un peu. Ce changement d’allure m’a fait du bien.

Je repars à mon rythme et j’atteins peu de temps après le second ravito (km 41). Je me laisse gagner par la faim : oranges, patates salées, chips, bouillon de poulet, pâtes, boisson énergétique et le plein d’eau. Je traîne toujours deux gourdes de 500 ml au-devant de ma veste et 750 ml au dos avec quelques barres maison Labriski et barres de fruits séchés. J’essaie de consommer environ 200 calories à l’heure, mais ce n’est pas toujours évident car on perd parfois la notion du temps lors des courses d’endurance.

Annie, elle, ne s’arrête même pas aux ravitos. Une machine je vous dis!

Bien rassasié, j’entre dans un sentier tout en montée et je croise d’autres coureurs du 42 km dont une qui chante allègrement. Le saut qu’elle fait quand je la dépasse! Je rattrape Hugues, un coureur de Montréal que j’ai croisé au 2e ravito. On fait un bon bout ensemble dans une superbe section de boisé dégagé et au sol tapissé de mousse. Mes orteils jubilent!

Au km 48, je commence à avoir une solide crampe au ventre, assez pour ne plus pouvoir courir. Le pire, c’est que je suis sur une belle route plane, sans obstacle. Je ne laisse pas la frustration me gagner et je respire profondément comme Martin, mon yogi préféré, me l’a montré. Et ça marche.

J’attaque alors la Montagne Noire, dernière montée du parcours. Ça monte sur environ 5 km avec des sections à 20% de pente. Je garde mon énergie et je marche la plupart de la montée. Je côtoie alors plusieurs coureurs du 28 km, aux souliers propres, fraîchement partis. J’étais sur ce parcours l’an dernier…

Mon beau-frère Jean-François m’a conseillé avant la course : « Sur les derniers 10 km, tu donnes tout ce que tu as! ». Je suis au km 55 sur les 62,5, la vraie distance, et je suis fatigué. Je ne pourrai pas suivre longtemps son conseil si je ne récupère pas… J’entre alors au dernier ravito. Les bénévoles me disent que ça va bien, que je suis en bonne position. Ah bon, tant mieux! Je n’ai aucune idée où j’en suis par rapport aux autres coureurs, mais je sais qu’il me reste environ 50 minutes pour faire les huit derniers kilomètres si je veux arriver sous la barre des 7 h.

Je bois un grand vers de coke dégazé, pour le sucre (je déteste le coke). Et vlan, 10 minutes plus tard, ça fait effet, de la vrai nitro! Je descends, ou plutôt je vole, vers le bas de la Montagne Noire, dépassant, à ma grande surprise, trois coureurs du 65 km. Ils marchent la descente, « Pus d’jambes » qu’ils me disent. Alors je donne tout, le cardio au plafond, plus rien à perdre.

Les derniers kilomètres sont une succession de vallons, secs en haut, complètement marécageux en bas. Certains essaient de ne pas trop se salir, moi j’rentre à fond dans la boue, c’est plus rapide et ça rafraîchit les pieds! J’entends au loin les encouragements de la foule massée à l’arche d’arrivée.

Dernier « sprint » sur les derniers 500 m et j’y suis! Complètement vidé, je savoure ma victoire personnelle avec un temps de course de 6 h 55 et une 14e place au classement général, à ma plus grande surprise!

Christian a, lui aussi, atteint son objectif en terminant la course en 6 h 33 avec une honorable 9e place. Annie a fait une incroyable performance en remportant la victoire chez les femmes et en terminant au 5e rang général (6 h 22). Mireille a terminé avant-dernière en 8 h 27 sur le 42 km. Elle a tenu jusqu’au bout : je lui lève ma casquette!

Un bon repas d’après course, une bonne bière et je retourne à Québec avec Jean-François, venu m’accueillir à l’arrivée.

Durée Distance Dénivelé
km m
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