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Il nous reste au moins nos souvenirs…

Des temps difficiles, mais…

Vendredi 10 avril, la nouvelle tombait… Il n’y aurait pas de course de trail cet été, du moins jusqu’en septembre. Mais comment garder la motivation? C’est alors que je me suis replongé dans mes souvenirs. Car les rêves et les souvenirs, c’est tout ce qui semble nous rester pour nous motiver. À défaut donc de vivre réellement une course prochainement, je vous propose de revivre mon expérience au 125 km de l’UTHC, la saison dernière. Bon, c’est un peu long comme récit, mais ce n’est pas comme si nos horaires étaient bien chargés ces jours-ci. Vous allez voir, après la lecture, #ÇAVABIENALLER !

Le fameux clic

Tout commence au mois de novembre 2018. Vous savez, ce fameux mois de l’année ou, obnubilé par la saison qui vient de se terminer (qu’on surestime un peu), on établit nos objectifs (souvent très fous) pour l’année prochaine. Bien loin sont les pensées que nous avons eues pendant ou après nos dernières courses : « Qu’est-ce que je fais ici », « quelle idée j’ai eue de m’inscrire », « mais pourquoi je fais ça »?, « plus jamais je ne referai ça », …

2018 étant ma première vraie saison de trail, je dois dire que me je m’étais moi-même surpris. C’est donc tout naturellement, (je le croyais alors) que j’ai pris la décision de ce que serait mon vrai DÉFI (oui oui, en majuscule) en 2019, la totale, le 125 km de l’UTHC. Vous savez, ce fameux moment où on clique sur <CONFIRMER L’INSCRIPTION>, avec les papillons dans le ventre… On peut dire que j’avais vite relégué aux oubliettes la première chose que j’avais dite après le 65 km : « C’est clair que jamais de ma vie je ne ferai le 125 km »…

Le préambule

C’est donc la motivation dans le tapis que j’ai entamé 2019. Lecture sur les ultra-trails et les sports d’endurance, confection d’un programme d’entraînement suivant les différentes phases recommandées, commute fréquent jusqu’au boulot (et ce même à -35o C), quelques compétitions de début de saison avec résultats au-delà de mes attentes (Bear Mountain 50 km, Trans-Percé 100 au Gaspesia 100, QMT 80), bref en entamant juin, j’avais encore beaucoup d’espoir et d’espérance quant à ma préparation en vue du DÉFI!

Mais ça, c’est avant que je réalise que l’été, le temps passe deux fois plus vite. Toujours bien occupé au boulot (grosse saison), des vacances tant bien que mal, la chaleur qui freine la motivation, la famille, les amis, sans oublier le petit nouveau qui s’est installé dans le fourneau et qui modifie un peu notre rythme de vie… Un classique, bref!

On peut donc oublier les week-ends chocs préparatoires, l’augmentation du volume, les longues sorties pour tester le matériel, etc. Bref, le plan rêvé du mois de novembre tombait tranquillement à l’eau. Je me revoyais dans la même situation que l’été précédent, quelques jours avant mon 65 km, un peu inquiet par mon manque de préparation. 65 kilomètres, ça pouvait aller avec beaucoup de mental, mais cette fois, 125 kilomètres… J’avoue que j’étais un peu (beaucoup) plus nerveux. Mais me connaissant, un abandon n’était pas une option.

Le fameux jour J

Quelques jours avant le jour J, je tentais quand même de m’encourager en me concentrant sur ma base qui est beaucoup plus solide que l’an dernier, sur mon début de saison bien entamé, sur mes expériences plus nombreuses en trail, etc. C’est donc avec minutie que j’ai fini de préparer mon matériel, de consulter pour une énième fois le guide du coureur, de remémorer les points de ravitaillements, d’estimer mes temps de passage, de briefer mon équipe de soutien – mon amoureuse et ma famille (je ne le sais pas encore, mais c’est leurs encouragements et leur présence qui feront toute la différence).

C’est ainsi qu’après plus de 10 mois à visualiser ce moment, sans même le réaliser pleinement encore, je me retrouve en route vers La Malbaie le vendredi précédent le grand départ. Passage à l’église pour la vérification du matériel obligatoire et la récupération du dossard, c’est alors que je commence à ressentir pleinement la fébrilité du moment.

Après avoir réussi à somnoler quelques heures, c’est déjà le temps de la préparation précourse. Alors que je suis habitué à le faire aux petites heures du matin, c’est particulier cette fois de prendre un déjeuner à 22 h 30. Dernière vérification de tout l’équipement, les parents sont debout pour me reconduire, fidèles comme toujours pour m’épauler dans mes folies.

C’est un départ

À minuit je suis au départ de la navette. Je trouve toujours ce moment particulier : tous les coureurs sont entassés dans l’autobus, fébriles, voire nerveux, certains parlent (trop), d’autres sont en silence.

1 h 45 AM – J’y suis enfin, l’arche de départ est là, les coureurs qui sautillent pour se réchauffer, la boucane qui nous sort de la bouche. Je reconnais et salue quelques amis coureurs qui comme moi ont embarqué dans cette folie. La musique débute, plus que quelques minutes. Le directeur de course motive les troupes au micro, plus que 30 secondes. Signal sonore, c’est parti!

Les premiers kilomètres s’enchaînent très vite. Dans le noir, c’est une horde de petits points lumineux flottants qui défilent très vite. Rapidement au sommet du mont du Lac à l’Empêche, les lumières de la ville scintillent au loin, en plus de la guirlande de lumière dans le sentier devant et derrière lorsque je me retourne.

Les premiers kilomètres, c’est ce que j’appelle le fine tuning. Tu es à l’écoute de toutes les moindres petites sensations de ton corps et tu fais les ajustements requis. Une petite fatigue… je devrais ralentir. Une soudaine énergie… vite j’accélère. Une crampe intestinale… vais-je pouvoir attendre les toilettes au prochain ravito ou je fais une pause dans les bois? (C’est finalement cette 2e option qui va l’emporter…). J’ai faim, ça fait 3 heures que je cours… je dois manger. Mais je n’ai rien envie… mange quand même. En début de course comme cela, je doute toujours de ce que je devrais faire : me forcer à ralentir pour m’économiser pour la suite, ou faire comme je suis habitué, y aller comme je le sens. Je dois avouer, je ne suis pas fort sur les stratégies. J’analyse donc chaque instant et je m’ajuste en me fiant à mes sensations.

À quoi ça pense un coureur pendant 125 km?

Même dans les premières heures de course, ça tourne déjà à mille à l’heure dans la tête. Ça va être beau dans 15 heures… En plus de toutes ces pensées qui roulent, j’ai la drôle d’habitude de faire des mathématiques en courant, soit en décortiquant le trajet en fraction à chaque kilomètre (au 2e km, super il reste juste 62 fois ce que je viens de faire, au 5e km, 1/25 de fait, ça passe vite!, etc), en plus de faire continuellement des estimations mentales de temps selon mon allure. Faut croire que faire un peu de maths m’aide à passer le temps et m’encourage. Est-ce moi qui suis bizarre, ou ça vous arrive?

C’est donc après 3.5 heures de course, qui en ont paru comme une seule, que je me retrouve au pied du fameux Mont Morios, celui tant craint. Je dois dire que j’aime particulièrement les montées qui ne trompent pas, au moins, tu sais quand c’est fini (contrairement à d’autres sections plus tard qui me donneront beaucoup plus de fils à retordre…). C’est avec un magnifique lever de soleil sur Charlevoix que j’arrive au sommet. Les beaux paysages, ça aussi c’est une des belles récompenses des ultras.

Le grand défi des ultras… manger…

Ce n’est pas long que la boucle au sommet est faite et que je me retrouve dans la descente. Croiser mes compatriotes qui entament la montée, en nous encourageant mutuellement, me donne un boost de motivation. J’arrive donc au ravito Marmotte, 35e km, et accueilli par les supers bénévoles : « Wow encore le sourire aux lèvres, c’est bon signe! ». En effet, le moral est bon. Seul bémol, je ressens beaucoup la faim, mais comme dans toutes mes courses, manger me lève le cœur… J’ai un petit stress à savoir si cela va poser problème plus tard dans la course.

Je repars plein d’énergie, en me disant que j’ai fait plus de la moitié. Pas vraiment vous me direz, mais c’est qu’à ce moment, pour m’aider mentalement, j’avais coupé la course en deux. Une première moitié jusqu’au parc des Hautes-Gorges, avec comme motivation de pouvoir serrer mon amour, embrasser la bedaine, avoir les encouragements de la famille. Bref, à ce moment, tout ce qui m’importait étaient les 20ish kilomètres restants. Après on verra.

Remettre en perspective

La prochaine section est très floue dans ma tête, je ne me souviens que des bribes. Ça aussi c’est une réalité des ultras, tomber sur le pilote automatique et ne plus trop être conscient. Croiser Anne Champagne, qui rebrousse chemin après une vilaine chute, d’abord m’inquiéter pour son état en la voyant, mais finalement être rassuré en l’écoutant et en comprenant que c’est la dure (mais la bonne) décision de devoir abandonner qui la désole profondément.

Ensuite, avoir l’impression de monter des paliers et des paliers, quelques fois dans des sentiers, d’autres fois sur des routes forestières, en ayant l’impression que ça ne s’arrête jamais (c’était donc ça la montagne de La Noyée). Pour finalement arriver au 50e km, le ravito la Chouette, pour lequel je n’ai qu’un vague souvenir des bénévoles encore une fois très sympathiques et ne cessaient de me dire que ça allait bien, que j’étais bien positionné.

Une dernière 10aine de kilomètres enfin en descente dans une section roulante. Ça y est, je débouche enfin sur la route qui marque l’entrée au Parc des Hautes-Gorges. Je sais alors qu’il ne me reste plus que quelques centaines de mètres avant la rencontre tant attendue. Après 8 h et 60 km de course en forêt, une bonne partie seul, disons que je suis moins patient avec l’auto qui me frôle à 60 km/h sur la route menant au parc (et je lui laisse savoir avec mon bras dans les airs…).

J’oublie rapidement cela lorsque j’aperçois enfin le bâtiment d’accueil et le petit chemin d’accès qui mène au ravito. Enfin le moment que je visualisais pour me motiver à avancer dans cette première moitié : mon amoureuse (avec bébé au four) et la famille! Je les embrasse, je m’assois et je mange enfin quelque chose de solide. Pour l’instant, c’est définitivement le plus beau moment de ma vie! Comme quoi tout n’est qu’une question de perspective!

Quand faut y aller, faut y aller…

Recharger à bloc d’énergie et de motivation, je suis prêt à repartir, avec en tête qu’il s’agit d’une nouvelle course, que je repars à zéro! Je me lève de ma chaise, et je n’ai pas à faire grand pas pour que la réalité me rattrape et me rappelle que non, malheureusement, ce n’est pas une pause de 15 minutes qui remet le compteur à zéro… Maudit, si le corps pouvait suivre l’esprit.

Mes jambes souffrent un peu les premières minutes, mais ce n’est pas trop long qu’elles se remettent sur le pilote automatique et oublient la douleur. Je suis donc reparti pour un petit 62 km.

Cette deuxième moitié, j’en connais le parcours pour l’avoir fait l’année précédente dans le cadre du 65 km. Ce que j’en retiens, ce n’est donc pas les différentes étapes et les différents paysages, mais plutôt tout ce qui s’est passé dans ma tête. Car oui, rendu dans les 70-80 km, après 9-10 heures de course, ça commence à déraper de ce côté-là. À ce moment, je ne sais pas encore qu’il me restera encore environ 10 heures de course. C’est vrai que pour un non-initié aux ultras, il peut sembler inimaginable de courir aussi longtemps, mais c’est lorsqu’on l’essaie qu’on se rend compte que la notion du temps devient tout à fait différente. Alors que j’ai l’impression que ça fait juste 30 minutes que je viens de quitter le dernier ravito, je me surprends de constater en regardant ma montre que ça fait plutôt 3 heures. Cette sensation va m’arriver à plusieurs reprises.

Une question de mental…

Les gens demandent souvent à quoi on pense pendant tout ce temps. Et bien la réponse est à trop de choses. Tellement que j’en suis même venu à être profondément écœuré d’être dans ma tête. J’aurais tout donné pour avoir un interrupteur et me fermer l’esprit. J’ai commencé à me poser des questions sur ma santé mentale lorsque j’ai réalisé que ça faisait quelques minutes que je me parlais à moi-même au « on » : « On va y arriver. Ne lâche pas, on arrive bientôt ». Je me demande encore c’était qui, on? Ma tête et mes jambes? Mystère.

Ma tête et mes jambes seraient un bon guess parce qu’il se passait un bon combat entre ces deux-là. En effet, après 80 km, disons que le manque de volume d’entraînement et de longues sorties commençaient terriblement à se faire sentir sur la capacité de mes jambes à supporter toute cette distance. Tous les signaux que mon cerveau recevait étaient d’arrêter de courir. Dans le dernier 42 km, ce fut l’une des principales choses qui m’a occupé : tenter de combattre l’envie de marcher et tenter de courir tant bien que mal. Pour ce faire, j’usais de certaines petites stratégies : « cours jusqu’à cet arbre », « cours encore 800 m et tu t’autoriseras à marcher 100 m », etc…

Toute bonne chose à une fin…

Alors que les kilomètres continuent de défiler sur le pilote automatique, il me restera à relever le dernier défi. La noirceur commence à retomber, il faut ressortir la lampe frontale. Le départ dans le noir m’avait paru bien magique, avec toutes ces petites lumières qui ressemblaient à des lucioles. Mais après 110 km, seul dans les bois, le vent et une petite pluie qui commence à tomber et qui me fait grelotter, l’arrivée de la nuit est un autre coup dur pour la motivation. C’est vraiment là qu’il faut aller puiser profondément en dedans. Heureusement, à ce moment, j’avais enfin de la réception cellulaire et je pouvais recevoir les textos d’encouragement de mon amoureuse (qui me faisaient fondre en larmes à chaque fois, dû à la fatigue bien évidemment!).

Tout ce que je me souviens des derniers kilomètres sont : le halo de ma lampe frontale, une dernière grosse montée, une grosse descente, suivie de quelques derniers kilomètres dans des sentiers de ski de fond, à tenter d’éviter des énormes trous de bouette (rendu là, on passe dedans).

Enfin, je reconnais la dernière petite côte. Après le virage, l’arche sera là, j’y serai enfin! Aveuglé par les spotlights du site, je n’arrive tout d’abord pas à voir l’arrivée, je n’entends que les encouragements de ma famille. C’est alors que je vois que la disposition de l’arrivée a changé, il faut gravir quelques mètres dans le bas d’une piste pour redescendre ensuite vers l’arche…. Calamité. Je pense d’abord à marcher dans cette montée, mais je me ravise assez vite en entendant les cris de mes supporteurs. C’est donc d’un pas titubant que je franchis enfin, après 18 h 50 min, la ligne d’arrivée qui marque la fin de ce périple de 125 km.

Je sers tout le monde dans mes bras et je m’écroule sur la première chaise.

Ne plus courir… définitivement la plus belle chose de toute la vie en ce moment!

Après quelques minutes, la fameuse question m’est posée :

-« Le referais-tu? ».

-« Jamais de la vie »….

Épilogue

J’errais récemment par hasard sur le site du Bromont Ultra. Tiens donc un 160km…

<CONFIRMER L’INSCRIPTION>??

À suivre….