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Le Tchimbé Raid, Ultra Trail de la Martinique

Remettre l’Eglise au milieu du village

Aller (enfin) chercher ce monument du trail martiniquais.

Deux grands évènements trail jalonnent le calendrier des courses de la Martinique. La TransMartinique (140k/5500+) le premier week-end de décembre dont nous avons déjà parlé ICI. Et le Tchimbé Raid donc, et ses 103km pour 5000+. Tchimbé Raid, dérivé de l’expression créole Tjenbé Rèd (pa moli), littéralement « Reste droit, ne faiblit pas », ou tout simplement « tiens bon ». Un jeu de mot tout à fait approprié à ce chantier qui n’offre que très peu de répit, tant les pentes de la Reine Pelée et les traces qui s’enfoncent brutalement dans la dense jungle antillaise mettent à mal les organismes.

Pour deux raisons, cette course revêt un caractère très particulier pour moi. La première, c’est que j’ai l’occasion de prendre part à une course ultra distance qui relie la ville de Saint-Pierre, au nord-ouest de l’île, à…mon lit. En effet, l’arche d’arrivée est située chez moi, à Schoelcher (centre caraïbe), à quelques hectomètres de mon domicile. Une motivation supplémentaire que ce « on rentre à la maison à pied ».

La seconde raison est moins glorieuse. J’en avais parlé ICI il y a quelques années. Je suis frappé d’une malédiction sur cette course. Je ne sais quelle sorcière du trail, quel marabout des sentiers m’a porté l’œil toutes ces années, entraînant la seule vraie frustration de ma petite aventure d’ultratraileur.

Un premier abandon sur mon premier ultra en 2018 raconté dans le lien précédent. Un forfait sur blessure avant l’échéance, en 2019, me poussant dans un rôle nouveau d’assistance. Deux années d’annulation en 2020 et 2021 pour des raisons que nous ne rappellerons pas. Puis un nouvel abandon en 2022, au quarantième kilomètre alors que je faisais sûrement ma meilleure course, à cause d’une trop sévère déshydratation et des urines bien trop noires pour qu’on me laisse continuer. C’en était trop, il était temps de remettre les pendules à l’heure sur cette édition 2023.

La chaleur, la lassitude, les ampoules, la délivrance.

 Dix heures. Quelle drôle d’horaire pour un départ. On imagine que les coureurs extérieurs profitent davantage des paysages grandioses qu’offre une Pelée décoiffée de tout nuage sous le Soleil bouillant de mai aux Antilles. En tout cas bien plus qu’à l’époque où nous prenions le départ à minuit. C’est la seule explication qui me permet de donner du sens à cette décision de l’organisation, tant la chaleur est suffocante. Elle sera la même pour tout le monde me direz-vous.

Au stade de Saint-Pierre, qui commémore ce même week-end les 121 ans de la catastrophe de 1902, 130 raideurs/euses prennent le départ vers la grande coupable de ce drame, la montagne Pelée dont l’éruption au début du XXème siècle avait rayé de la carte la principale ville de l’île à l’époque et pris en quelques secondes presque 30000 vies dans son souffle brûlant. 130 coureurs dont la légende Ludovic Pommeret (vainqueur notamment de la Diagonale des Fous, de l’UTMB, de la TDS…) et son épouse, venus se confronter au champion local, tenant du titre et ami Jordan Mionzé. Et il y a évidemment parmi ces participantes Solène, mon épouse, qui va quant à elle tenter de prendre un troisième Tchimbé, excusez du peu.

 Une ascension sous un Soleil de plomb dans les champs de cannes à sucre de la distillerie Depaz voisine, et un chemin creusé par le sillon des engins agricoles rejoignant plus haut la trace menant à la petite route qui nous conduit au premier ravitaillement de l’aileron, à quelques 600 mètres d’altitude. Ce point d’eau est, je pense, une bénédiction pour tout le monde. Personnellement et à l’instar de la TransMartinique quelques mois plus tôt, je ne parviens pas à « entrer dans ma course ». Je subis tout. La pente, la chaleur, mon mauvais moral, malgré la satisfaction de pouvoir échanger avec quelques amis dont notre championne Elisabeth, toujours présente, toujours radieuse, ainsi qu’Emma, avec qui j’avais déjà partagé un morceau de TransMartinique quelques années auparavant, motivée à bien préparer son Tor des Géants à venir.

Claude Graduel

L’ascension continue de manière plus brutale sur l’exigeante Dame Pelée, jusqu’à la hauteur de sa caldeira où nous bifurquons vers le chemin menant au morne Macouba, altitude max de la course (env 1 300 mètres). Un peu de fraîcheur qui ne fait pas de mal mais qui sera de courte durée, puisque c’est la descente vers la côte Atlantique qui s’offre à nous. Une descente ultra technique, ultra risquée, sauf pour ceux comme moi qui, tellement nuls dans ces descentes vertigineuses et piégeuses à souhait, assurent le coup sur chaque pose d’orteil au sol dans une lenteur presque risible comparé à certains coureurs, tellement à l’aise qu’ils passeraient pour des chamois en me doublant. Revenu à une altitude permettant à la forêt tropicale de reprendre vie, j’accélère enfin sur cette trace plus abordable à mon absence de qualité technique en descente. Quelques kilomètres dans des champs de banane à nouveau brûlants nous conduisent au premier ravitaillement solide de la course dans la petite commune de Macouba, kilomètre 27, bouclant ainsi la partie « volcan » de la course.

Je m’y arrête quelques minutes, un bon quart d’heure à vrai dire, bien trop dans les plans d’une course ambitieuse. Toujours pas dedans, je m’applique néanmoins à ne pas commettre les mêmes erreurs que l’année passée. Je bois bien plus que nécessaire, car ce sera nécessaire quand même. Reparti bien « ankylosé » de mon siège, je pars à l’assaut d’un tronçon sans difficulté technique, mais que je sais bouillant, monotone, et long de 16 kilomètres. Il s’agit d’un parcours de chemin agricole au milieu des champs de cannes et de banane (pas surprenant en Martinique) dans l’arrière-pays de Basse-Pointe, nous conduisant tout de même à 500 mètres d’altitude au plus haut de ce détour.

Toujours le plaisir de traverser sa distillerie préférée (Rhum J.M) au milieu de l’ennui et au début, déjà, de la fatigue. Je me surprendrai à faire deux « pauses », le cul dans l’herbe, de 5 minutes chrono chacune, afin de prendre le temps de manger correctement et de boire suffisamment. Le temps de faire un premier point également, sur ma forme du jour plutôt hasardeuse et ma motivation toujours en berne. Cleve, coureur originaire de Trinidad habitué des évènements trails antillais, immortalise à mon insu l’un des ces moment de craquage, et je l’en remercie. Je passerai le second en compagnie de Gégé, figure du trail local, lui qui est finisher de 10 Trans’ et d’une quinzaine de Tchimbé.

L’arrivée au ravitaillement de Basse-Pointe au km 42 symbolise quelque chose de fort pour moi, puisque c’est ici même, dans cette petite salle polyvalente, que s’était achevée ma course l’année précédente. Et cette fois-ci, la couleur de mon pipi étant tout à fait acceptable, je sais que j’en repartirai. Mais pas tout de suite. Je me pose un peu pour prendre le temps de découvrir que mon RC Lens a battu dans un match capital l’Olympique de Marseille. Moment de joie qui fait du bien. Quinze minutes d’arrêt, encore. Avant d’accepter de lever mes fesses pour aller à l’abordage du tronçon suivant. 7km sans grandes difficultés encore une fois, pour enfin prendre la direction de l’est vers la commune d’Ajoupa-Bouillon, première base vie au kilomètre 51. La mi-course et lieu de départ de la seconde course de l’évènement, le Tchimbé Volcan et ses 53 km. La nuit tombe, la chaleur aussi, bien que subsiste de manière moite et latente un souffle chaud caractéristique des soirs de mai aux Antilles. Premier des nombreux passages de gué de rivière et remontée courte mais intense vers la petite commune nichée au cœur de l’île. J’y retrouve Sébastien, qui après sa journée de boulot vient assurer l’assistance pour la nuit, lui-même finisher des deux ultras de l’île et qui a l’immense qualité d’être mon beau-frère. J’y battrai une nouvelle fois tous les records de fainéantise en restant assis une demie heure, crispé par ce que je sais de la suite du parcours et du tronçon suivant en particulier, celui que j’appréhende le plus avant coup : la traversée de la crête de Cournan.

Par sa difficulté, pour sûr, l’ascension étant très pentue dans ce dédale de racines qui se croisent et décroisent à volonté et laissant finalement assez peu de place pour poser ses pieds dans le confort. La technicité de cette crête et de sa longue traversée m’agace à chaque fois, mes limites techniques ne me permettant pas d’employer une foulée efficace. Mais aussi pour une raison simple : je la déteste. On la passe à la Trans’, on la passe au Tchimbé… je sature de cette trace. Mais il faut y aller quand même. Je suis d’abord quelques kilomètres une dame avec qui je n’échangerai pas une seul mot mais qui fait un très bon train. Je la dépasse juste avant l’entrée de la montée principale et tant bien que mal, au prix d’une première ampoule et d’une grande patience (et inutile de vous dire que ce n’est pas une qualité chez moi), je finis par laisser la crête de Cournan derrière moi pour enfin pénétrer dans la forêt domaniale de Sainte-Cécile où m’attendent Seb, le ravitaillement, le siège, et la sieste (km 61).

Je n’avais évidemment pas prévu de dormir sur un ultra aussi « court » mais qu’importe, si c’est le moyen pour rassembler assez de courage et repartir de chaque ravito, alors soit. Ce qui était prévisible en revanche avec tous ces arrêts, c’est que le signal de la balise de Soso rejoigne le mien, déjà. Elle est surprise de me voir là, somnolant, une petite demi-heure après mon arrivée. Elle interroge Seb car elle pense que ça ne va pas, que je suis blessé ou que la malédiction me frappe encore ! Mais non, elle fait juste face à un gars qui va bien, qui n’a pour l’instant pas mal, qui va repartir sans problème, mais qui fait juste son gros fainéant. Qu’importe, je la laisse se ravitailler rapidement et avec l’énergie de son courage à elle on repart tous les deux, le temps de discuter un peu de nos aventures. Ça me fait du bien de la voir, mais je sens aussi que j’ai un moral toujours bien bas. Je n’ai pas envie de parasiter sa course et lui faire subir mes idées noires, je n’ai pas envie d’être son boulet une nouvelle fois, elle qui a déjà encaissé 80 km à mes côtés en décembre dernier. Paradoxalement, la décision de partir devant (sans rien lui dire) me donne un coup de fouet positif. Je sens dans l’ascension du morne la caillerie et la pénible descente/remontée de la trace des jésuites que je suis en jambes, la nuit faisant son effet et les efforts ayant été bien raisonnables jusqu’alors. J’arrive au point d’eau de RD1 bien plus rapidement que d’habitude, et je repars sur la longue descente de 5 km de piste forestière en courant, sur la quasi-intégralité du chemin nous menant au ravitaillement suivant au Gros-Morne (km 75). J’ai repris pas mal de places, et je commence à croire que je débute enfin mon aventure, que peut-être je peux faire une fin de course intéressante, que j’en ai encore sous le pied, que ALORS PEUT-ÊTRE ?! Bon. N’exagérons rien, mais je suis heureux également de laisser derrière moi la marque de 2018, celle que sur cette course je n’ai encore jamais dépassé. Je sais que je vais aller au bout.

On s’aventure sur le tronçon suivant avec une petite bande d’anciens, à la lueur de nos frontales, et pour une fois je sens la mienne un peu faiblarde, un peu trop tôt dans la nuit. D’ailleurs je ne le sais pas à ce moment là mais Jordan arrive main dans la main avec Ludo Pommeret sous l’arche à Schoelcher. Quel champion, quelle inspiration. Le trail martiniquais a de la chance de compter dans ses rangs un tel phénomène qui, on l’espère tous ici, fera parler de lui très bientôt loin des côtes de notre île.  Une longue ascension de bitume contournant la ville de Saint-Joseph nous fait trainer des pieds mais encore une fois, je double pas mal de concurrent au gré de bonnes sensations en terme de fibre musculaire comparé aux kilomètres parcourus. Cette très longue ascension d’asphalte se termine brusquement à l’entrée d’une discrète trace qui plonge violemment dans la jungle, très sèche cette année. On ne parle plus là de « descente technique ». C’est bien au-delà de ça, il me faudrait presque harnais, corde et mousqueton pour descendre en rappel. Je suis vraiment une calamité dans ces descentes dans les profondeurs de la jungle, encore plus sous le halot lumineux hasardeux de ma frontale qui flanche. J’ai évidemment une lampe de secours dans mon sac mais je sens que le jour va bientôt se lever et j’ai la flemme de l’enlever. Je vois l’avance prise fondre comme neige au Soleil dans cette descente dans les profondeurs de la Martinique et ça m’agace au plus haut point. Le ravitaillement de Cœur-Bouliki est bien long à atteindre (km 82). J’y parviens finalement éreinté par cette trace. De ce fait, une nouvelle pause s’impose…de dix minutes, soyons raisonnables.

Je repars et le jour se lève. Une belle journée, celle ou enfin je vais terminer, dans une poignée d’heures, ce maudit Tchimbe Raid. C’est la montée de Rabuchon qui s’offre à nous. Un sentier balisé ONF, une montée abrupte comme la Martinique en a le secret. C’est long, elle passe plutôt mal. Je reprends ma petite technique de pause inter-ravito pour m’accorder 5 minutes de répit assis au milieu du chemin. Quelques 400 mètres de D+ plus tard, je bascule enfin vers la courte descente en direction de la seconde base vie, la ferme d’insertion (km 86). Très bonne ambiance sous les applaudissements des bénévoles et spectateurs présents, ça fait du bien. J’ai déjà une petite idée derrière la tête. Manger et boire, évidemment, prendre le café, surtout, et…dormir un peu ! histoire de combler la demie heure qui me sépare de Solène. Le moral revenu, ça me semble être une bonne idée de boucler les 16 km restants pour rentrer à la maison ensemble et avoir de nouveau une photo d’arrivée d’ultra conjointe. Elle arrive, elle va bien, et on repart ensemble, direction le terrain de jeu d’entraînement d’Absalon. On fait le point sur nos états et on dresse un bilan assez similaire à celui de l’UTHC, je monte bien, très bien même, mais mes pieds et mes ampoules me font souffrir sur les pierres et en descente. Elle a un peu plus de mal à monter, mais se sent capable de descendre correctement. Sauf pour ce qui est du nouveau « gouffre » à traverser. Une belle chute pour elle qui aurait pu être beaucoup plus importante, dans ces descentes où les cordes sont d’un soutien discutable, une cheville qui vrille un peu pour moi, assez pour évacuer la frustration accumulée en jetant mes bâtons par terre, et une belle entaille au genou d’un concurrent du 53km, qui se sera fait une belle frayeur. On fini par atteindre le point d’eau d’Absalon (km 91), au pied des deux dernières ascensions de la course. La montée d’Absalon, rapidement bouclée, et enfin le morne Pé Bouche (« tais-toi », en créole), qui passe plutôt bien de mon côté, un peu plus dur pour Solène. Voilà, on l’a fait, on en a quasi terminé avec le dénivelé de la course. Devant nous 10 km au profil descendant jusqu’à l’arrivée, un parcours de crête d’abord, puis de piste ensuite, assez monotone, jusqu’au dernier ravitaillement au monastère des bénédictins, sur les hauteurs de Schoelcher. Seb est là pile à temps, pas mal ces balises GPS finalement ! On repart avec la ferme intention de terminer le chantier, et de rentrer chez nous. On a hâte…on en a marre. Il fait déjà très chaud, sur le bitume des quartiers de Terreville. On entre enfin sur la dernière trace, dans les hautes herbes bien sèches et blond doré pour la saison. On ne court plus, la fibre trop entamée, et les rangements sur le côté pour laisser passer les bolides des autres courses (dont les 28 et 17 km) nous font forcément faire des arrêt incessants, mais nécessaires. On profite néanmoins des encouragement et des marques de respect de ces coureurs dont peut-être certain/aines connaîtrons à leur tour les « joies » de l’ultra distance dans le futur.

Fin de la descente. Schoelcher. La petite rivière, pour une dernière traversée les pieds dans l’eau, et la route. On en connaît les moindres rugosités, ce sont nos parcours d’entraînement depuis 8 ans. Je connais enfin la joie d’y être avec le dossard du Tchimbé accroché à la taille. On ne court pas, on profite du moment avec une autre bande de coureurs qui en termine avec le 103 km, groupés, heureux. Dix minutes de marche pour monter à la petite église, enfin au milieu du village, puis la descente vers la passerelle métallique de l’anse Madame. Et l’arche. Avec elle. Avec Claude qui immortalise ce moment. Avec Seb. Avec Sandrine, la mère de Soso, toujours friande de ces moments d’ultra. Avec les amis, ensuite, et Jordan, toujours grand seigneur. On a fait le Tchimbé Raid.

Malédiction brisée

 Voila, j’ai enfin cette breloque qui manquait à mon palmarès. J’ai réussi à remettre le dossard maudit après non pas un mais deux échecs. Une vraie satisfaction personnelle comme seul l’ultra peut nous en offrir. Mais une vraie réflexion malgré tout sur l’envie de continuer ici, à la Martinique, dans l’avenir proche. Passer un ultratrail sans plaisir, sans envie c’est déjà difficile, alors deux…il est sûrement temps de faire un break avec la jungle. Temps, comme pour l’UTHC l’année dernière, de courir sous d’autres latitudes pour continuer à donner du sens à ma pratique. Et comme Solène est plutôt d’accord…Rendez-vous est déjà pris, au Quebec une nouvelle fois, mi-septembre, pour la première édition du Forillon Ultra trail, en Gaspésie, sur un format 100 miles nouveau pour nous. Hâte d’y être. C’est l’aventure. C’est l’ultra.