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TransMartinique 2018, la première étoile

Même si je me refusais à le penser au départ, c’est bien un goût de revanche qui tapisse mon palais, alors qu’on prend place dans le SAS de départ, après le traditionnel contrôle des sacs. On est environ 230 à se masser derrière l’arche dans la commune de Grand’Rivière, tout au nord de mon île de la Martinique.

Tous prêts à en découdre face à la montagne Pelée toute proche et aux 144 km et 4310 m+ qui nous conduiront tout au sud, à Sainte-Anne et ses plages dorées. Plutôt serein, j’ai le bonheur de prendre ce départ accompagné de Madame, encore, qui me semble un poil stressée à l’approche de minuit, l’heure du départ, et aussi de ses deux frères, expérimentés ultratrailers. Un défi familial qu’on partage également avec ma belle famille, prête à assurer nos assistances.

Je n’ai pas voulu construire ma course sur l’échec de mai dernier sur le Tchimbe Raid (abandon au 80ème km à retrouver ici), mais bien malgré moi, je ressens ce besoin impérieux de vouloir remettre le clocher au milieu du village. Hors de question d’abandonner une seconde fois, c’était bien trop dur.

Dans ma tête et alors que la petite musique de Vangelis (Conquest of Paradise évidemment) nous ambiance à quelques secondes du départ, je suis sûr et certain que je vais aller au bout. Qu’on ira au bout tous les quatre. Aucun doute possible. Minuit. C’est parti !

Ça part fort. J’avais dis à Alex et Seb, mes beaufs, que je partais avec eux au moins sur les premiers kilomètres, mais il y a encore des gens pour jouer des coudes au départ, sur un ultra de 144 bornes. Je ne comprendrai jamais… Tant pis.

Je pars tranquillement. On déambule d’abord dans ce petit village pittoresque que je conseille vivement à ceux qui ont la bonne idée de venir visiter cette perle des Caraïbes qu’est la Martinique. Puis on s’engage sur le sentier qui doit nous mener à la reine de l’île, la Montagne Pelée.

D’abord des champs de cannes puis de citrons, un sentier forestier bien gentil pour se mettre en jambes et l’ascension commence. Un long single. Je suis derrière des gens plus lents que moi, mais ce n’est pas grave, la course est encore très longue. Je lance une petite vanne : « Les gars, on vient de me dire dans l’oreillette que Blanchard vient de pointer au François ». Peu de réactions. Je ne resterai pas avec eux. 

Je patiente et monte sereinement jusqu’aux 1250 mètres de la caldeira du volcan, altitude max de la course. Les conditions sont très bonnes, ça souffle un peu là haut mais la nuit est très belle. J’assure la descente de l’aileron, piègeuse à souhait si on la néglige. On descend jusque dans la commune du Morne-Rouge, où un premier ravitaillement nous attend au Domaine de la Vallée.

La Pelée est passée, déjà une bonne chose. Maintenant : direction la jungle. La crête du Cournan m’avait martyrisé lors du Tchimbe quelques mois plus tôt. C’est là que mes ennuis avaient commencé. Cette fois-ci, même si, évidemment, on a fait moins de chemin, je me sens parfait. Je monte à un rythme soutenu, j’ai de bonnes cannes. Là-haut c’est assez technique, beaucoup de racines mais pas trop gras, ça aurait pu être bien pire.

Je relance quand je peux et je descends jusqu’à Sainte-Cécile, ravito. C’est déjà la fin de la première nuit, on a fait que 30 bornes en 5 h de course. Mais tout se passe comme prévu et le moral est bon. J’essaie d’appliquer le plan prévu, pour contrer les problèmes gastriques rencontrés 6 mois plus tôt. Je mange par petites portions mais souvent. Du sel, du sucre…Je suis bien. 

Vient la fameuse trace des jésuites. Un bon morceau de forêt tropicale, d’humidité, de boue et de dénivelé. Je n’étais jamais venu au lever du jour, c’est très beau. Je suis heureux. D’ailleurs c’est presque comme si je n’étais jamais venu tout court. La dernière fois j’étais dans une telle situation d’hypoglycémie que je me souviens à peine du sentier. Mais pas cette fois-ci. Et ce ne sont pas les premières pluies qui viennent froisser mon moral. Ces pluies, soutenues mais courtes, sont typiques de l’île. Elles rythmeront toute la matinée.

Une fois arrivé sur la RD1, je ne sais pas trop à quelle sauce on va être mangé. Le parcours est inédit cette année et le changement notable de parcours intervient sur ce point de la course, autour de la commune du Gros-Morne. La surprise n’est pas folichonne, je dois l’avouer. Car la route, le macadam, on ne va pas les quitter avant plusieurs heures. De la route. Des montées, des descentes, mais de la route. Et encore de la route. C’est une déception, je suis venu pour faire du trail, moi. Pas grave, on avance.

J’alterne course tranquille et marche afin de préserver ma fibre, c’est encore long derrière. Je ne m’intéresse absolument pas du classement, mais je me sais autour de la quarantième place. La famille me rassure sur l’avancement du reste de la bande. Les deux frangins, moins d’une demie heure devant, et Solène, assez loin derrière. Mais je ne m’inquiète pas. Ça va le faire. 

Direction la base vie de Saint-Joseph, par la route, évidemment, hormis une très courte partie de toboggan-boue avant la distillerie HSE, moment d’amusement sympa au milieu de tout ce bitume. Tellement monotone que j’aurais moi aussi, à l’image de beaucoup de mes collègues de course, raté un balisage si un autre concurrent n’était pas arrivé en face en me disant : «je me suis trompé, regarde, c’est à droite ». Le bol, j’allais me faire avoir aussi. Un bon présage sans doute.

J’arrive enfin à la première base vie à Saint-Jo. La douche, obligatoire pour contrer les risques liés à la leptospirose, la nouvelle tenue, la visite express obligatoire auprès du toubib pour contrôler que tout va bien (37.6°, très bien, 12-10 de tension…ton petit 10,  m’embête…bon allez, ça passe ! Bonne continuation !…OUF !), et une bonne ration de bouffe chaude. Je prends le temps, une bonne quarantaine de minutes, le poulet était très bon.

Maintenant…c’est l’heure d’aller affronter les champs de bananes. C’est une partie redoutée de la course, pas tant pour sa difficulté technique, mais plutôt par le cagnard qui peut te tomber sur la tête. Mais il faut croire que le Dieu du trail est avec nous. La pluie s’est arrêtée, il fait beau c’est vrai, mais la chaleur n’est pas épouvantable.

Des conditions idéales quoi. Ce qui l’est moins, ce sont les crevasses que je sens déjà sous mes pieds. Autant je ne souffre d’aucun frottement (je suis tellement tartiné de vaseline que je pense glisser sur de l’eau sans couler), autant mes pieds sont déjà en mauvais état. On est alors qu’au 60ème, il en reste quand même 80, j’espère que ça ne posera pas de problèmes…Ce qui est sûr c’est que ça me ralentit un peu. Pas tant que ça en côte, les jambes sont excellentes. Mais plus en descente, sur les terrains irréguliers, la caillasse. Ce problème m’accompagnera jusqu’à la fin et me coûtera sans doute deux bonnes heures à l’arrivée. Mais qu’importe, je m’en tape. Je n’ai pas d’autres prétentions que de finir et je sais que je ne gagnerai pas.

 Je suis accompagné par un petit groupe agréable. On discute de tout et de rien, de trail et pas que. C’est cool, je passe un bon moment. Quelques kilomètres plus tard j’ai le bonheur de voir mon directeur du boulot passer me voir sur le parcours et m’encourager, aux alentours du 70ème. C’est vachement sympa, ça me redonne de l’énergie. J’en aurai besoin, car derrière c’est la petite vacherie de la course. Roches-Carrées. Un quartier juché en haut d’une bosse de 400 mètres au beau milieu de l’île. Elle domine la plaine du Lamentin d’un côté et la côte Atlantique et les îlets du Robert de l’autre, magnifique. Mais la vue se mérite.

Deux passages de cordes bien boueux; ils justifient à eux seuls le port des mitaines. Je n’aime pas ce passage, mais je le passe sans trop de difficultés. Désormais il s’agit d’aller rejoindre le François, un passage important pour moi. C’est assez long pour rejoindre le ravito, et sur cette partie j’arrive un peu juste en flotte. C’est déjà la fin de la journée, le Soleil va se coucher d’ici une heure, mais c’est cool, je suis là où je voulais en être. 

A partir de là, il n’y a plus de surprises : c’est à partir d’ici et jusqu’à Saint-Anne que se courent les 58 km du Défi Bleu, que j’ai fait l’an passé. Je sais donc très bien à quoi m’attendre : deux difficultés restantes, le morne Valentin, sur la route, tout d’abord, et la fameuse montagne du Vauclin, un peu plus de 600 mètres, boueux.

Un chemin de croix par dessus le marché. Mais j’ai du coeur à l’ouvrage, et je ne m’éternise pas au ravitaillement. J’ai hâte d’affronter ces deux dernières difficultés. Je les passe avec deux autres coureurs, dont l’un se retrouve sans frontale après un mauvais calcul de temps de passage. Il a de la chance, j’en ai deux. Je crois qu’il m’en doit une bonne.

Le dénivelé positif ne me pose absolument aucun problème, je m’épate moi même, j’ai des jambes en acier trempé. Mais comme mentionné tout à l’heure, ce sont les descentes qui me pénalisent. Mes crevasses et ampoules me font de plus en plus souffrir, je n’arrive pas à les ignorer. La descente grasse de la montagne du Vauclin est douloureuse, j’avance à deux à l’heure.

La nuit est tombée, la fatigue de la seconde nuit qui débute commence à se faire sentir. Je suis concentré mais je me dois de reconnaître que je manque de lucidité. Les feuillages dans les arbres, éclairés tumultueusement par ma lampe frontale, prennent des formes étonnantes, souvent humaines. « Qu’est ce qu’il fou planté là à me regarder, lui ? » Pas étonnant pour un arbre. Et je me dis que je croise bien trop de chats noirs pour qu’ils soient tous réels. Bon, j’ai besoin de repos.

Après une interminable descente, j’arrive enfin à la base vie du Vauclin. Pour la première fois de la course je ne suis pas au mieux et ma belle mère Sandrine, qui est là pour moi, le sent. «Je vais dormir, réveillez moi dans 20 minutes. Et n’ayez pas pitié de moi si je m’endors. Vous me réveillez » Après 5 minutes de rab malgré tout, je me relève, cette micro sieste m’a fait beaucoup de bien. Un bon conseil de mes deux ultrabeaufs. Par bonheur, les podologues sont là. Je dois soigner mes pieds, sinon je vais mettre 20 heures à finir les 42 km qu’il me reste. Un simple marathon…Les regards des podos sur mes pieds ne me rassurent pas. « Eh…c’est un abandon ?» me demandent-ils. « NON! Tu rigoles ou quoi ».

On m’informe qu’à cause d’un mauvais balisage, Mathieu Blanchard s’est égaré au François et a perdu une avance déterminante pour la victoire. C’est le québecois Jean-François Cauchon qui l’emporte, en 17 h 30. Les avions de chasse les mecs…incroyable.

Quelques minutes de souffrance plus tard et les cloques percées, j’enfile des chaussettes sèches et je prends l’option de changer de chaussures. Je n’ai pas un grand feeling avec mes Terrex, mais c’est plus sage de repartir avec des chaussures propres. 

Après une bonne heure d’arrêt au stand, me voilà parti vers les traces finales de mon périple, la côte sud Atlantique. Une première portion pour aller chercher la première plage de Macabou assez longue et sinueuse. Je m’aperçois que j’ai raté une balise, assez rapidement heureusement. Cette erreur ne me coûte pas cher, c’est pas grave mais c’est la preuve que je ne suis pas encore au top niveau lucidité. Je dois être prudent.

Le ravitaillement de Macabou passé, l’objectif est de rejoindre l’un des points mythique de la course, le ravito « chez Jojo » à l’anse charpentier. Un local qui chaque année ouvre le portail de sa maison et accueille tous les runners sous sa véranda, c’est plutôt sympa. Il y a avant ça, le point d’eau le plus « joyeux » de la course à cap Ferré. Si nous on est à l’eau, au coca ou au jus, eux boivent de toutes autres mixtures qui semblent rendre bien guilleret. Tant mieux, c’était sympa.

Techniquement, il n’y a plus rien de compliqué. La piste alterne cailloux, sable et parfois des lattes de bois lorsque l’on passe sur les mangroves. De jour c’est très sympa à faire, de nuit, l’ambiance est assez mystique, surtout quand on est seul. Les yeux luisants des quelques manikous, le bruit puissant des vagues toutes proches et la lueur de la Lune, au regard de la frontale, seul, donnent des sensations sympas à vivre. Comme une proximité avec la Nature. Je me sens chanceux d’être là. D’ailleurs, la nuit est sublime.

Au beau milieu de nulle part, je prends le temps de m’arrêter quelques secondes et d’éteindre ma lampe. Dans une obscurité absolue, la voûte céleste est absolument sublime cette nuit-là. On devine même la voie lactée à l’oeil nu. Quelle chance…Dommage que mes pieds n’aillent pas mieux, c’est le seul couac, mais il en fallait bien un. Mais je vais aller au bout, c’est une certitude absolue maintenant. 

La nuit avance et j’arrive enfin chez Jojo à 3 h du matin. Je sais alors qu’il me reste 19 km à parcourir. Les premiers du Défi Bleu m’ont déjà repris, dont mon copain Adrien qui fait une course incroyable et qui m’encourage. Ça fait du bien. Je commence à faire mes calculs, pour la première fois. Et je me dis que pour faire sous les 30 h ça va être compliqué, mais que je dois rester sous les 31 heures.

Ce petit défi intérieur me motive, je repars direction l’anse Trabaud sur une longue piste sans histoires. Puis vient la savane des pétrifications, la pointe sud de la Martinique, un plateau aride sans autre végétation que les cactus qui se dressent dans la nuit. Ca me semblerait d’ailleurs moins austère si le balisage était correct, je me perds un peu. Bon, je sais qu’en suivant les falaises, je vais arriver à ce fameux petit pont qui te conduit vers les Salines. Difficile à passer néanmoins à marrée haute : les petits sauts sur les pierres c’est facile quand on est frais, mais après presque 30 heures de course et 130 bornes, c’est techniquement plus délicat. Je parviens malgré tout à ne pas me vautrer dans l’eau.

Décidément, il ne peut rien m’arriver. D’ailleurs en y repensant, je ne suis pas tombé de la course. Me connaissant, c’est assez exceptionnel, y a pas une sortie dans l’année, même de dix bornes, où je ne tombe pas.

 Le dernier point d’eau avant les 9 km restants. Le jour va déjà commencer à se lever…j’y suis presque. Le peloton du Défi Bleu me reprend désormais. Je mets volontairement mon dossard vers l’arrière, sa couleur rouge distinctive de la TransMartinique m’assure que les runners du 58 km ne me bousculeront pas au sprint. En me croisant, nombre d’entre aux ont un mot sympa pour moi. « Bravo mec. Respect. Allez courage. » Je me sens fier.

Les Salines, désertes, magnifiques. Puis l’Anse Moustique, et enfin l’Anse Caritan, aux portes de Saint-Anne…Je profite des derniers kilomètres. Je sors de la forêt, définitivement. Cinq kilomètres dans les rues de la ville jusqu’à l’arche à la pointe marin, tout prêt du « ClubMed ». J’ai un peu de mal à retenir quelques larmes. Je ne sais toujours pas pourquoi, j’imagine que c’est normal. Quelle fierté.

J’ai accompli un truc, ça me rend heureux. Je me fout du temps et de mon classement. Les derniers mètres…Et le speaker annonce mon arrivée. Seb est là, Sandrine aussi. Je lève les bras en savourant l’instant : que c’est bon! Quelle que soit la discipline ou l’occasion, je souhaite à tout le monde de ressentir cette sensation. Le speaker m’interroge sur la course, me demande de philosopher…je crois que je lui ai dis de la me*de. On me pardonnera. Je suis arrivé, je l’ai fait.

Solène arrivera quatre heures plus tard, quelle gestion magnifique. Je suis tellement fier d’elle. Et de nous! Quatre sur quatre à l’arrivée, comme convenu, malgré environ 70 abandons ou arrêts.

Je ne peux pas me lever pour aller la féliciter, les médecins sur place m’ont soigné quelques heures auparavant un ménisque bien usé. Le genou a un peu gonflé, j’ai du mal à me déplacer seul, mais je m’en fout. On est crevé, mais on s’en fout aussi. Quel pied! Notre pote Geoffrey finit son Défi Bleu avec un super temps, une bien belle journée pour notre petite team. La Team NTM. Vous pouvez d’ailleurs nous suivre sur Insta ICI, ça parle Nature et trail, ça va vous plaire.

Nous on se revoit en mai. J’ai un Tchimbé Raid à finir…