L’Ultra Trail du Mont Blanc pompeusement intitulé, en pur style chamoniard, le sommet mondial du trail, huit courses s’étalant sur une semaine, dont l’épreuve reine l’UTMB : 170 km, 10 000 m de dénivelé positif. Je me suis embarqué dans l’aventure UTMB un peu par hasard. Elle n’était pas sur ma bucket list, mais ayant accumulé les points qualificatifs pour la première fois l’an dernier en terminant les 160 km de QMT et de Bromont et avec le nouveau système d’inscription à loterie en vigueur l’an prochain, c’était surement la dernière fois que je pouvais m’y inscrire. L’événement est autant admiré que critiqué, mais quoiqu’on en pense, en arrivant à Chamonix, il est difficile de ne pas sentir l’énergie qui s’en dégage et d’être ébloui par le Mont Blanc même si on ne trippe pas sur la foule, le bling bling et tout le business autour du trail.
L’UTMB est ma seule course cette année. Pas d’autre dossard. J’ai bien fait 2 événements de type Fat Ass, mais ça ne ressemble en rien à une course avec ses contraintes (chronométrage, barrière horaire, matériel obligatoire, etc.). J’arrive donc sur la ligne de départ avec peu de références. Ma préparation a été bonne, avec la réouverture des frontières j’ai pu retourner dans les Adirondaks pour un weekend choc et j’ai bien encaissé le volume et les séances de D+. Mes tests montrent tout de même que mon niveau cardio est assez loin des dernières années. Je ne dois pas m’attendre à battre des records.
Il y a un certain rituel à choisir son tshirt pour le départ d’une course. J’ai mis celui de la Ronda dels cims 2018, l’année de l’annulation aux 2/3 de la course à cause d’orages de grêle, juste pour me rappeler que même si le corps et la tête te font avancer sans problème, la montagne peut t’en balancer une dans les dents et dire à tout le monde de rentrer chez soi. Prendre le départ est la seule certitude qu’on a. Ce départ, d’ailleurs, est un vrai cirque, on est plus proche du marathon de New York que d’une course en pleine nature. Sur des kilomètres, un flot ininterrompu de coureurs, des spectateurs partout… ambiance d’Alpe d’Huez sur le Tour de France.
Le trail ça reste une compétition, un défi sportif, mais c’est aussi pour moi une façon de s’immerger dans un milieu et d’en apprécier la beauté et son côté sauvage. Tout au long de la course, je trouverai difficile, avec tout ce monde (et bien conscient que je fais aussi parti du problème), de me sentir pleinement en montagne. Trop habitué à me retrouver complètement isolé sur nos trails québécois avec pour seule compagnie les arbres et les tamias.
Un groupe de mes amis français a fait le déplacement à Chamonix, rien que pour venir m’encourager. Avec un océan entre nous, on se voit très peu et la seule occasion pour nous de se voir cette année était lors du weekend UTMB. Je me sens choyé qu’ils soient venus et en même temps je ressens un peu de pression, ne pas terminer serait un peu les laisser tomber.
C’est aux Houches (km 8) que je les vois pour la première fois. Didier, Carole, Fred et tous leurs enfants sont là à m’attendre et à m’encourager quand je passe. Je sors du parcours pour aller les saluer, on ne s’est pas vu depuis si longtemps, mais ils me crient de repartir aussi vite. À Saint-Gervais (km 21), la nuit est tombée depuis quelque temps, c’est Caro, ma conjointe, et Loïc, mon fils, qui m’attendent à la sortie du ravito. La soirée est belle et l’ambiance dans le village est assez folle. Le sentier qui longe Le Bon Nant jusqu’aux Contamines est agréable et facile à courir au rythme du bonheur.
Nous sommes plusieurs d’Ottawa/Gatineau à prendre part à l’UTMB (7 que je connais), si j’ai vu Guy et Jean-Philippe au départ puis Patrick dans le col de Voza, tous sont plus rapides que moi et je ne pense pas les voir sur le parcours. C’est donc une surprise de retrouver Maxime à Notre Dame de la Gorge (km 34), il a eu quelques problèmes de crampes et a dû ralentir. Nous faisons l’ascension du Col du Bonhomme ensemble ainsi que la descente vers les Chapieux (km 50).
Les problèmes commencent dans le Col de la Seigne. Sans que je le réalise trop au début mes pulsations montent très vite et mon souffle est court. Vers la moitié de l’ascension, j’hyperventile et je dois m’arrêter. Je repars à pas de tortue, mais il faudra que je m’arrête plusieurs fois pour faire retomber mes pulsations à la normale. Maxime a continué sa progression et je ne le reverrais pas. La montée vers les Pyramides Calcaires ne me rassure pas, j’ai l’impression d’être vidé dès que je prends un rythme de marche un tant soit peu normal. Heureusement, ça disparait dans les descentes. Une pause au Lac Combal (km 68) où je retrouve Steve, un autre coureur de l’Outaouais, qui tente de gérer ses blessures, me permet de remettre les idées en place et de relativiser ma mauvaise passe.
Contrairement à la veille et la nuit, le temps est sec et chaud du côté italien en ce samedi matin. La descente vers Courmayeur est poussiéreuse, je cours dans un nuage épais qui n’arrange rien à mes problèmes respiratoires. En entrant dans la ville, Didier est là avec Marc qui n’avait pas pu arriver à temps la veille aux Houches. Le voir ici à Courmayeur au 80e km de mon UTMB est irréel, j’ai envie de m’arrêter, de parler, de rattraper le temps perdu. Tous les autres amis sont un peu plus loin avec Caro et Loïc, les enfants ont préparé une affiche « Tap for Power » qui a du succès auprès des coureurs et sur laquelle il est inscrit GO PILI (mon surnom à l’université) de l’autre côté. J’ai l’impression d’être une rock star.
Dans le centre sportif, Steve est là avec Dale (un autre ottavien, Finisher de la TDS cette année) qui fait son assistance. Je m’installe avec eux et on se donne quelques nouvelles. Caro a utilisé son billet d’assistance pour rentrer avec moi dans le ravito mais après un bol de pâtes et plutôt que de m’attarder, je ressors assez rapidement pour m’installer à l’ombre, retrouver toute la smala et leur parler 5 minutes (il faut bien digérer les pâtes).
C’est avec le moral boosté que je repars. En rétrospective, tous ces moments avec les amis auront permis de sortir mon esprit de la course, de prendre un break dans la gestion de ma progression qui occupent toutes mes pensées. Ces moments de reset auront été salutaires.
Car la montée vers le refuge Bertone est un calvaire. J’ai les mêmes symptômes que dans le col de la Seigne, et la chaleur n’aide pas. La longue section en balcon qui mène à Bonatti puis Arnouvaz aurait dû être agréable à courir, mais je dois me contenter de progresser à un rythme trop lent mon gout, trottiner n’est même pas une option. Même si j’avance, je rumine un peu bougon. En arrivant à Arnouvaz (km 98), un spectateur me crie « hydratez-vous, mangez, mais ne restez pas longtemps, trop de gens se font prendre ». C’est bien mon intention, le temps a filé et la montée vers de Grand Col Ferret (le plus haut point de la course) m’inquiète. Et la montée ne me décevra pas…
Je ne peux pas continuer comme ça… Appuyé sur mes bâtons dans une section de switchback, je n’ai plus envie d’avancer (faut bien pourtant). Je cherche ma respiration, le cœur bat trop vite, chaque pas me prend une énergie folle. Je cherche mon téléphone pour texter Caro de surveiller les barrières car je ne pense pas que je vais les passer. Dans ma tête j’ai perdu trop de temps. En regardant ma montre et mon dossard où j’ai mis des temps de passage, je réalise que je suis encore largement dans la fourchette que je m’étais fixé. Bon, ok, laisse faire le texto, continue. Un peu plus loin les switchback se terminent et il reste une longue ligne droite pour se rendre au col. Enfin!
La descente vers la Fouly est très courable mais j’ai besoin de me remettre de la montée, je me contente de marcher le plus rapidement possible. Un concurrent me passe et me dit qu’à ce rythme je peux finir largement dans les temps… Ok… mais ça va être long en criss. Le soir tombe en arrivant à la Fouly (km 113). Il reste un peu moins de 60 km, une nuit, 4 montées. Le pire moment est surement passé, il faut gérer la tête maintenant.
Contrairement à d’autres ultras, j’ai trouvé que les concurrents se parlaient peu, barrière de langue vu la diversité des nationalités? Peut-être, ou tout simplement un nombre trop important de participants qui fait qu’on se retrouve rarement seul avec les mêmes personnes pendant très longtemps. J’ai rarement revu les coureurs à qui j’ai parlé à un moment donné dans la course, sauf pendant cette deuxième nuit où le même pattern va se répéter plusieurs fois.
Les trois prochaines étapes (La Fouly-Champex; Champex-Trient; Trient-Vallorcine) se ressemblent: ravito, une montée, une descente, ravito. Comme je m’arrête peu pour me ravitailler (remplis mes flasques, prends un peu de nourriture, m’assois 5 mn pour manger et arranger mon sac et ou mes vêtements et c’est reparti), je prends de l’avance sur des coureurs plus rapides que moi. Dans les descentes, des groupes me dépassent puis je leur refausse compagnie au prochain ravito. Dans la nuit, je m’amuse à reconnaitre différents groupes avec qui je joue au chat et à la souris : les Espagnols bruyants, les Japonais silencieux, les Britanniques qui s’encouragent en permanence, le couple d’israéliens, les tchèques qui font demi-tour dès qu’ils ne voient plus de drapeau de balisage, et bien sûr ceux qui ont déjà fait le parcours et qui décrivent chaque pierre à leur compagnon de course.
Je ne souffre plus dans les montées, nous ne sommes plus vraiment en altitude et j’en conclus que c’était mon problème dans les grands cols. Par contre, en étant sous la ligne des arbres en pleine nuit, nous n’avons aucun repère sur la progression en montée, c’est plus dur sur le mental, et les cris que certains poussent aux sommets en disent long sur leur soulagement.
Le jour se lève quand je débute ma descente vers Vallorcine. Je me suis beaucoup économisé en descente depuis le Grand Col Ferret, alors je reprends un peu plus une allure de course, alternant jogging dans les chemins forestiers et marche dans les zones plus techniques. J’ai fait quelques reset du cerveau (assis, yeux fermés, vide pendant 5 secondes) pendant la nuit et je n’ai pas vraiment eu envie de dormir. La 2e nuit est passée, ça sent la fin.
Caro et une bonne partie des amis m’accueillent à Vallorcine (km 153), ça fait du bien de les voir. Je donne rapidement des nouvelles, mais je ne veux pas trop m’attarder. Marc, Didier et Laurence sont montés à la Flégère et m’attendent là-bas. Dans le faux plat qui mène au Col des Montets, je vois Serge, notre proprio d’AirBnB, qui est venu m’encourager et prendre des photos. La gang d’amis a aussi rejoint le Col des Montets pour des derniers encouragements avant l’ascension de la tête aux vents. La montée se fait bien, mon niveau d’énergie est bon. Par contre, j’ai mal évalué la distance jusque la Flégère, c’est plus long et technique que je le pensais et mon niveau d’énergie (mental) est redescendu d’un coup. Savoir que les amis sont là-bas me motivent, et je finis par les entendre m’encourager dans la dernière montée avant le chalet.
Comme ils sont montés à pied, ils m’expliquent la descente, les zones plus techniques, les replats, etc. Je sais que je vais pouvoir la faire assez vite si les jambes tiennent. Je les quitte à la sortie du ravito, ils vont redescendre plus vite que moi et je les reverrais à l’arrivée.
C’est devenu facile de courir, Kevin, un Anglais que j’ai croisé plusieurs fois pendant la nuit, m’accompagne et on pousse un peu dans la descente. J’ai parfois du mal à comprendre son accent et par association d’idée (accent à couper au couteau, Liverpool, toussa quoi), je me mets à fredonner You’ll never walk alone et je rigole tout seul. Passé la passerelle à l’entrée de Chamonix, Kevin accélère et me distance. Maintenant en ville, Loïc me rejoint et court avec moi. En longeant l’Arve, je vois plusieurs amis d’Ottawa, Karen, la conjointe de Guy, avec son drapeau Canadien, puis Dale. Un peu plus loin mon frère est là avec ses filles et tous les amis qui m’ont accompagné les derniers jours. Je me retrouve tout d’un coup avec un peloton derrière moi… Il y a encore pas mal de spectateurs et ça crie fort. L’arrivée est juste là.
J’ai fini l’UTMB. Avec du recul, ce n’est pas la course qui m’a donné le plus de fil à retordre, physiquement et mentalement (L’Ultratrail du Mont Albert reste ma référence en matière de sufferfest). À cause des très mauvaises sensations en altitude, j’ai couru très en dedans, sur la réserve en permanence, sachant que j’avais un coussin sur les barrières horaires et que ça ne servait à rien de poursuivre un hypothétique chrono qui ne veut pas dire grand-chose au niveau que je suis. En courant majoritairement de nuit, c’est aussi difficile d’apprécier toute la beauté des paysages traversés. Par contre, avoir pu partager ma course avec mes amis et ma famille a rendu cet UTMB unique et inoubliable. Ils m’auront fait sentir que je faisais quelque chose d’extraordinaire alors que gérer un ultra c’est convaincre son corps et sa tête de l’inverse. Leur enthousiasme communicatif à chaque rencontre est resté avec moi tout au long du parcours, et je ne me serais jamais senti seul.
Walk on, walk on
With hope in your heart
And you’ll never walk alone
Strava Partie 1 https://www.strava.com/activities/7716138672
Strava Partie 2 https://www.strava.com/activities/7716107224/overview