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Quand le plan déraille

dominique tremblay

‘’Tu vas t’en sortir, t’es un ultra-marathonien.’’ C’est la phrase que ma blonde me répète au téléphone. Je suis étendu par terre, gravement blessé et j’attends les secours. J’ai envie de m’évanouir, mais sa voix me dit de ne pas le faire. Elle me répète que je vais m’en sortir puisque je cours des ultras!

Mais mon histoire ne commence pas là. Elle commence cinq ans plus tôt alors qu’au début de la quarantaine je décide comme plusieurs autres personnes avant moi de me mettre à la course à pied. Je suis quelqu’un qu’on pourrait qualifier de bon sportif. Je n’ai jamais performé sur de grandes scènes mais comme amateur je me suis bien débrouillé au hockey, au baseball et au soccer, en plus d’avoir touché à plein de sports ou d’activités en cours de route. Mais la course? Courir après rien, avec pas de ballon?

Au début c’est le plaisir d’améliorer le chrono. Courir vite, se défoncer sur 5, 10 km. Mais après quelques mois je me lasse. L’automne s’installe et je perds le goût de l’asphalte. Au même moment je découvre les ultras, puis je m’y intéresse. Je suis curieux de connaître ma capacité, je décide donc de m’inscrire au 65km d’Harricana. Je n’ai jamais fait de demi-marathon et encore moins de marathon. L’idée de courir à la vue et aux cris de tous, sous la chaleur urbaine et envahi par de la chaleur humaine, pas pour moi!

Courir dans le bois par contre. Quelle bonne idée. J’ai le terrain de jeu idéal. Un chalet en forêt, quelques semblants de montagne aux alentours, des lacs et des kilomètres de sentiers à découvrir. Cela fera partie de mes étés et de ma préparation à mon premier défi. Courir moins vite et plus longtemps. Apprécier le paysage et faire de belles rencontres avec la faune même si certaines peuvent être plus stressantes, comme cette rencontre avec cet ours. C’était avant l’époque de la distanciation sociale et je vous assure que comme bien des humains il ne comprenait pas le concept du deux mètres! Mais sinon j’ai surtout trouvé un sport qui me comblait. Courir cette première course fût intimidant puisque l’inconnu était partout. L’inscription, la navette, le départ, quoi et quand manger, dormir, comment? Bref, ça s’est finalement bien passé, épreuve réussie avec succès.

Les années suivantes je me suis peu à peu intégré à ce beau monde. J’ai rencontré des humains très intéressants au milieu de nulle part et on a partagé quelques minutes ou quelques heures puis ils sont disparus. Ceux qui courent à ma vitesse se sont mis à apparaître de plus en plus souvent. J’ai appris leur prénom, on se rejoint aux départs des courses bref je commence à me sentir à ma place. Je suis satisfait de mes résultats et l’année 2019 sera l’année de vérité. Je me donne le défi de compléter 6 ultras et d’avoir les points pour l’inscription à l’UTMB. Mais d’abord, la course Cryo pour amorcer le tout. Traverser mon lac Saint-Jean natal, j’y ai toujours pensé…à la nage? Impossible, mais à la course… Quelle bonne idée en plus de recueillir des fonds pour cette noble cause, mais souffrir autant? Oui ça valait la peine, c’est le 32 km le plus épuisant que je n’ai jamais couru. Avancer dans la neige et le noir et voir l’arrivée pendant trois heures avant de l’atteindre. Je le conseille à tous. Ou pas.

Ensuite j’ai enchainé le Trans-Percé 100, l’Ultra-trail Académie, le Trans-vallée, le QMT, l’UTHC et le Bromont Ultra. Tous complétés selon mes trois critères de performance, m’amuser, finir en santé et le dernier, je dois l’avouer mon esprit de compétition n’est jamais bien loin…terminer dans le premier 50%. Quel bel été. Road trips, courses, camping avec notre Safari condo. Ma blonde avec moi, ma fille aussi parfois, souvent notre chien. Partager des histoires de courses avec le phénoménal Mathieu Blanchard, prendre une bière avec les éternels gagnants Jeff et sa sœur Élisabeth, se faire ravitailler par l’incroyable Hélène Dumais, courir dans les pas de la méga-solide Mylène Sansoucy. J’ai vécu tout ça, la communauté est accessible et je me fais une petite place parmi elle.  Bref la course est devenue un prétexte pour de belles sorties familiales un peu partout au Québec. La fin de semaine automnale à Charlevoix pour l’UTHC est devenue une classique annuelle si je peux dire!

L’hiver s’annonce donc comme les 45 précédents que j’ai eu la chance de vivre. Je me sens en forme comme jamais, mon alimentation est saine et je suis top shape comme on dit. Toutefois, lors d’une nuit glaciale, je me réveille pour aller mettre du bois dans le poêle et à ma surprise je me sens incapable de marcher. Plus courbaturé des jambes qu’après toute course auparavant. Pourtant nous sommes en février et à part pelleter je n’ai rien fait qui puisse expliquer cela. Les nuits suivantes, sueurs nocturnes intenses, mal de dos. La semaine passe et j’ai de plus en plus de mal à marcher. Le samedi matin je me présente à l’urgence, nous sommes à l’ère coronavirus moins une semaine. On m’isole, je subis une batterie de tests et passe ma journée à l’hôpital avant de retourner chez moi avec un rendez-vous le lundi matin. Le médecin ne peut dire ce que j’ai mais les scénarios sont multiples. Je devrai passer par un processus que je n’ai jamais imaginé. Arrêt de travail. Arrêt de tout. C’est fou comme la vie est simple quand nous avons la santé. Les semaines passent, toujours sans diagnostic mais je suis malade. Je rencontre médecin de famille, spécialiste, pneumologue puis le verdict tombe. Cancer des ganglions. Ou lymphome. Je reçois la nouvelle comme une tonne de brique, je me dirige instantanément aux toilettes et je vomis deux fois. Fuck.

Ma blonde arrive du travail et comprend en voyant ma face que le printemps ne sera pas celui qu’on attendait. Rapidement et malgré les restrictions liées à la COVID je me sens pris en charge de façon exceptionnelle par notre système de santé. Première étape biopsie pour établir la nature du lymphome hors de tout doute. Les médecins qui m’entourent ont trois opinions, le premier certifie que c’est un lymphome, le deuxième pense à une maladie plus rare appelée sarcoïdose et la troisième pense que c’est un lymphome mais a des doutes. Je suis dans le néant et eux aussi on dirait, mon état est bizarre. J’ai des atteintes aux poumons et au cœur, mes articulations sont enflées et j’ai perdu beaucoup de poids mais je ne fais pas de fièvre. La chirurgie initiale ne permet pas d’établir de diagnostic, direction une autre biopsie. On enlèvera le ganglion au complet cette fois. Opération, attente et résultats. Bonne nouvelle enfin ce n’est pas un cancer, mauvaise nouvelle c’est une maladie incurable. D’abord c’est quoi cette maladie, une sarcoïdose? Je consulte docteur Google. Ah, tiens ça s’attaque principalement aux femmes à la peau noire, moi un Tremblay du Lac-Saint-Jean, il doit y avoir erreur sur la personne! Bon, ça se loge dans les poumons, puis ça s’attaque au système immunitaire, mortel dans 5% des cas. Il y a différents stades, j’ai le stade virulent en ta! On soigne les conséquences des attaques jusqu’à ce qu’il y en ait plus. Parfois, ça devient chronique. Au cours des mois suivants je serai attaqué à peu près partout, avec des pilules en conséquence à chaque fois. Et un été qui s’annonce plate en maudit. Mais tiens, je ne serai pas seul à ne pas courir on dirait. La Covid-19 annule les mêmes courses que ma maladie, ça met un baume!

Je passe donc le reste de l’hiver cloué au divan, incapable de marcher. Je regarde Netflix au complet. Puis avec les traitements je commence à revenir. En même temps que le printemps je me relève et redevient un peu fonctionnel. Mes capacités physiques sont disparues, la pente sera longue à remonter mais au moins je marche, je sors et je n’ai presque plus de douleur. Début juillet je réussis un 5km de course et de marche, je me dis que c’est le début. Je me sens moins malade. Et en une fraction de seconde le drame frappe.

9 juillet 2020. Immobile au sol je constate les dégâts. L’instant d’avant je me lançais par la fenêtre tel un cascadeur (sans salaire et sans équipe de tournage) le corps en flamme avant de me rouler au sol pour éteindre le feu. Je ne peux que constater les dommages, mes pieds sont en lambeaux et ma main gauche complètement bousillée. J’ai tout le côté gauche du corps brûlé aussi mais le rationnel du moment me garde éveillé. Le voisin est arrivé comme par miracle et il a pu m’aider en maîtrisant l’incendie, ensuite il est allé chercher les secours, nous sommes en forêt et je sais que mon attente sera longue. Lentement la douleur augmente. Je vois l’expression qui change sur le visage des secouristes qui me voient. Ma situation n’est pas jolie. Enfin les ambulanciers arrivent. Une fois que je suis installé ils discutent ensemble et s’entendent sur un pourcentage, 8%. C’est la surface de mon corps qui est brulée, à moins de 10% c’est direction l’hôpital local pour me stabiliser aux soins intensifs. En haut de 10% ça aurait été l’institut des grands brûlés à Québec à trois heures de route. J’irai dans 4 jours, je préfère ça. Après une première expérience avec la maladie je vis ma première fois avec un accident. C’est violent, ça arrive vite et tu constates les dommages instantanément. La maladie c’est sournois, tu doutes, tu ne sais pas trop et c’est pernicieux et progressif, mais c’est aussi violent.

Suivra un long processus de réhabilitation. Urgentologue, cardiologue, pneumologue, chirurgiens, urologue, psychologue, anesthésiste, super-infirmières et tout le personnel du système de santé seront exceptionnels avec moi. Je me retrouve avec des cartes dans cinq hôpitaux maintenant. Deux semaines après l’accident ce sera une autre chirurgie, cette fois on prendra la peau de ma cuisse pour me reconstruire le pied et la main gauche. Avant l’anesthésie je demande si je vais pouvoir faire les deux choses qui me détendaient le plus. Courir et jouer de la guitare. Ça se regarde autour de la table d’opération et j’entends un mouais, pas tout de suite mais disons dans un an.

Je ne pensais pas pouvoir tolérer autant de douleur. Ma blonde avait raison, courir des ultras à pu me préparer mais je ne pourrai plus dire que ça fait mal courir. Ça peut être inconfortable par moment oui. Faire mal, non. Plus maintenant. Pas depuis que je suis ce qu’on appelle ‘’un grand brûlé’’. Par chance que je n’étais pas seul. Ma femme a sacrifié son été pour devenir  aidante naturelle (lire victime collatérale) et à cause d’elle j’ai guéri mieux. J’ai tellement apprécié tout ce qu’elle a fait. Mais je dois quand même dire que le contenu de Netflix ne se renouvelle pas vite. Je vous conseille d’attendre au moins un an entre deux invalidités si jamais l’envie vous prend…

Chaque jour j’avais la routine du matin. L’infirmière retire les pansements, on regarde l’évolution on prend les photos et le débridage commence. Le débridage c’est l’arrachage de peau sur la plaie pour accélérer la guérison. Je croyais que ça se ferait une fois, ça a duré un mois. Deux heures par jour. Je revenais épuisé et je pleurais. Jamais dans ma vie je n’ai autant pleuré, la douleur ça épuise et ça décourage. Ou c’est peut-être l’effet de la morphine et du dilaudid? Je pensais que ce serait le pire mais non. Lorsque le plâtre a été retiré, l’infirmière avait la mission d’arracher les 35 agrafes bien fixées sur mon pied et mes orteils pour tenir la peau de cuisse nouvellement greffée. La martyre. Tel un soldat à qui on retire des fragments de balle j’essayais de contenir la douleur. Je hurlais, ça ne donnait rien  mais c’est le mieux que j’ai trouvé à faire.

Puis, le corps humain étant une machine formidable, les plaies se sont refermées. Le pied, la main et la cuisse ont recommencé à bouger. Les sensations revenaient lentement.  Le temps a fait son œuvre, le traumatisme de l’accident est passé mais la foutue maladie est revenue. Jamais tranquille avec ça! Les brûlures? En avance sur la guérison. Je joue de la guitare (pas mieux qu’avant) et je marche. J’ai même patiné et bientôt je veux courir. C’est pourquoi j’ai décidé de partager mon histoire peu banale. Cette dernière année m’a appris beaucoup. Sur la résilience mais aussi sur moi. Vivre c’est comme courir et avec les événements que j’ai vécus je crois avoir envie de vivre moins vite et plus longtemps, comme pour les ultras.

Je vais devoir composer avec cette maladie. Elle réduit ma capacité mais pas mon désir. Je ne pourrai plus performer comme je le faisais mais je pourrai sûrement m’amuser autant. Ce texte est le point de départ pour accepter que ce ne sera plus comme avant, mais que la motivation se retrouvera ailleurs. Jamais je n’aurais  pu finir premier d’une course mais maintenant qui sait, je serai peut-être le meilleur coureur de trail greffé à l’Institut des grands brulés! Bref, aussi bien en rire en attendant de me retrouver au départ du Gaspesia 100 en juin si rien d’autre ne m’arrive et ne nous arrive collectivement d’ici là!

Dominique Tremblay ‘’Trailer amateur’’