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Cryo 2022 : un défi sang froid ni loi,

19 février 2022, 18h30. Une paire de raquettes de course à la main, je me presse ainsi qu’une vingtaine d’autres coureurs dans une cabane en plexiglas au milieu d’un Lac St Jean, gelé. Dehors, un froid glacial, le vent souffle avec facilité sur cette immense surface plane. La neige tombe, doucement. Le poêle à bois situé dans un coin de la pièce diffuse une chaleur réconfortante pour tout le monde. Après l’abandon commence la dure attente du rapatriement. Cette situation, jamais souhaitée ni par un coureur ni par un organisateur, n’est pas simple mentalement. Elle peut aussi devenir difficile physiquement quand les conditions météo le décident.

19 février 2022, 15h59 : nous étions une petite gang venue de Montréal au départ de cette course Cryo 2022. Le principe de cette course est simple : récolter $1000 de dons pour l’association « Sur La Pointe Des Pieds » et ainsi avoir le droit de participer à un run épique. Rien de moins qu’une traversée du Lac St Jean gelé, de nuit. Trente-trois kilomètres de plaisir. Des semaines d’entrainement, de test de matériels, de discussions, d’échanges d’opinions et de stratégies. Un entrainement spécifique pour courir avec des raquettes. La recherche des périodes les plus froides de la journée pour tester et se tester, encore et encore. A ce moment, une minute avant le départ, les raquettes étaient maitrisées, l’équipement testé jusque -32 degrés, le minimum qu’il fut possible de trouver à Montréal. Un courriel reçu de l’organisation deux jours auparavant avait jeté un doute sur les conditions climatiques. Les nouvelles parlaient d’un changement de parcours ou d’une annulation. Finalement, tout se déroulerait en accord avec le plan initial. Mais ce serait dur,

19 février 2022, 16h. L’euphorie du départ. On voit clair, le soleil ne se couchera que vers 17h30. On est en forme, il ne fait pas trop froid. L’ambiance est excellente. On se filme et on rigole. Rapidement la surface du lac nous fait réaliser la difficulté qui se dresse devant nous. Une dizaine de centimètres de neige fraîche s’enfonce sous chacun de nos pas. Même avec des raquettes, il faut lever les genoux, raccourcir les foulées, ralentir le rythme pour sauvegarder le cardio. Les kilomètres défilent, le spectacle est splendide. J’admire le lac, immensément plat, couvert de ce blanc venteux qui se perd et se mélange au ciel faisant disparaitre le ligne d’horizon. Le balai des motoneiges autour de nous est parfaitement orchestré, il ne se passe pas deux minutes sans croiser une âme qui veille sur la vôtre. Les minutes passent, et le froid s’installe. Courant vers l’Ouest avec un vent du Nord, tout le côté droit du corps se refroidit profondément. Certains font de la marche arrière pour que le côté gauche prenne le relais contre cette agression. Les extrémités souffrent. Les doigts jouent constamment avec une chaufferette dont la chaleur peine à compenser ce froid qui progresse, lentement. J’avance, le soleil est maintenant couché. L’aventure est fantastique. C’est une expérience à vivre. Le lac, le froid, la nuit, le vent. Un moment unique.

19 février 2022, 17h58. J’avais déjà connu des courses difficiles mais cette fois je me suis retrouvé face à un mur. J’arrive en 21eme position au deuxième ravito après 13km faits en 1h58mns, soit une moyenne de 9.04mns/km, je suis déjà hors délai. On nous avait prévenu que les conditions allaient être très rudes et que les cut off pourraient être ajustés en fonction des temps de passage des premiers coureurs. Personne ne m’arrête, il y a de toute façon encore du monde derrière. Dans ma tête, les questions commencent à se poser. Rien ne se passe comme prévu. Contrôle de mon cardio, j’oscille entre 160 et 170 en plein effort, en augmentation progressive… courir dans 10 centimètres de poudreuse, même avec des raquettes, c’est exigeant. Le froid demande aussi un bel effort cardiaque. Ma vitesse diminue à vue d’œil. Difficile de soutenir un tel effort pendant 4 heures, 5 heures, voir plus. Ma pire hantise étant de ne plus avoir la force de courir, de devoir avancer en marchant et de me refroidir dangereusement, tout en allongeant la durée de la lutte à fournir.

Après une collation, un bouillon et un passage près du poêle à bois, je repars de ce deuxième ravito sans même avoir pensé à l’abandon. Je fais cent mètres, et là, je m’arrête net. Toutes les informations du début de course : vitesse, cardio, froid, vent, hauteur de neige… se rassemblent, le regard se perd dans cette nuit qui s’étant devant moi. Un énorme warning se lève : « Stef, tu vas faire une connerie, arrête ça là ! »

Quelques secondes de réflexion ont suivi. Statique, je savais déjà que la décision était prise. Je voyais un risque à continuer, cela gâchait tout le plaisir. J’adore ce sport car il me permet de jouer avec les limites. J’avais déjà bien joué ce jour- là. Il était hors de question de prendre des risques. Peut-être faut-il parler de peur et se l’avouer ? Oui, j’ai craint de continuer !

J’ai donc fait demi-tour et suis revenu au ravito. Il a fallu ensuite affronter l’attente du rapatriement et le froid qui, puisque tu n’es plus en mouvement, en profite pour attaquer encore plus fort. Il progresse, lentement. Beaucoup d’abandons, plusieurs participants qui ne vont pas bien doivent être rapatriés en priorité. Je trouve finalement une place sur une motoneige qui m’amène jusqu’à la ligne d’arrivée. J’ai dû chevaucher cette machine une vingtaine de minutes, cela n’a fait qu’amplifier la progression du froid (merci Jean de m’avoir ramené safe à bon port !). Une fois au village de glace de Roberval, j’essaye de descendre de la machine mais le corps ne répond pas. Je frissonne sans arrêt, sans aucun contrôle, les dents claquent d’une manière tout aussi incontrôlable. Deux médecins s’approchent en courant et demandent qu’on me porte tout de suite dans la tente de secours numéro 1. Un dernier sursaut d’orgueil me donnera la force de me lever et de marcher jusqu’à cette tente. A peine entré, deux femmes se jettent sur moi pour me déshabiller. Je ne suis pas habitué à ça… déjà désorienté, je ne comprends plus grand-chose. « Il faut se débarrasser des vêtements mouillés, tout de suite ! ».

Une fois la tête, le torse et les pieds nus près d’un gros poêle, une bonne couverture sur les épaules, tout revient rapidement. Les idées reprennent leurs formes, la chaleur se diffuse et ravivent les sensations. « L’orteil noir, c’était déjà là avant ? » me demande-t-on, « Oui, lui, il est mort lors d’une précédente course ».

19 février 2022, 19h51 : j’appelle Linda qui arrive rapidement avec des vêtements secs. Nous prenons le temps de remercier toute l’organisation présente, médecins et bénévoles, puis nous quittons pour aller me plonger dans un bain qui finira de raviver la bête. Le cœur battra encore très vite jusqu’à l’heure du coucher. Trois jours après, je ressens encore un fourmillement bizarre dans les pouces, la dernière phalange de l’index gauche et le pouce du pied gauche. Rien de douloureux, ça va passer.

Cela restera un excellent souvenir. J’ai affronté le Lac St Jean, il a été le plus fort. Ce fut une belle expérience. Toute la préparation de cette course, la collecte de dons, la rencontre de nouveaux camarades, des raquettes de course. Ces deux derniers mois ont été très intéressants et enrichissants. Et nous avons passé une bonne fin de semaine en famille !

Merci à l’organisation, un bel événement pour une belle cause. Une grosse job à mettre en place, j’imagine qu’il y avait plus de bénévoles que de participants,

L’un des premiers finishers a eu des engelures et ne pouvait plus ouvrir un œil, une amie a eu une abrasion de la cornée qui devrait se régler d’ici quelques jours. Derniers exemples, pour la route, de la difficulté de la chose. Pour finir avec les détails pertinents : 85 partants, 28 finishers.

Un immense bravo à Thierry, seul de notre gang a avoir fini cette « petite run hivernale ». Longue vie et respect éternel pour lui et ses descendants !

Un grand merci à Linda, ma chère et tendre. Nous avons fait la stratégie de course ensemble, planifié les changements de vêtements, le matériel, etc… Un soutien logistique et psychologique indispensable du début à la fin. J’associe bien sûr les boys qui eux aussi doivent subir mes bêtises au quotidien. C’est un travail d’équipe, de toute une famille de passionnés, je vous aime,

Durée Distance Dénivelé
km m
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