Vendredi, 10 septembre, j’attends la navette au Motel Chez Laurent à Baie St-Paul. Ma surcharge en glucide des derniers jours est faite. J’ai pas suivi by the book les recommandations qui parlait d’engloutir 1000g de glucide par jour pendant 3 jours. C’était trop. Je sais pas comment j’aurais pu y arriver honnêtement. Je me suis contenté de prendre 600g de glucide par jour.
J’y suis, ce n’est plus une question de jours ou de mois là. C’est dans une heure, tout au plus !! Je monte dans l’autobus scolaire et on se dirige vers le départ. Ça y est, je fais partie du groupe de crinqué. Combien de fois j’ai regardé des vidéos de promotion d’événements qui montrent ces images de coureurs.ses qui se laissent patiemment conduire ? Qui se laissent transporter face au monstre que nous avons délibérément mis sur notre chemin. Je me disais tellement que ça doit être un moment spécial. D’être parmi ces athlètes, de faire partie de la gang. J’y étais, cette fois, moi aussi je me lançais à l’assaut de ce 125 km. Confiant que ma préparation était adéquate.
Départ à 13h30. Un départ ouvert, super casual. Tu es prêt, tu pars. Je suis super conservateur. Je me dis que pour franchir la ligne d’arrivée demain, vaut mieux que je garde mes énergies. Je suis donc sur le pace du bonheur comme on dit. Avec du recul, peut-être un peu trop sur le bonheur. Rapidement… Rapidement dans une ultra on parle d’environ 10 bornes. Une première chose commence à me déranger : la tête. Je calcule, et calcule sans cesse. Je compte, recompte. Je fais des règles de 3. Je découpe en section de 5, 10, 15km. Je tente d’évaluer mon passage au km 30, mon passage au km 45, mon arrivée aux Hautes-Gorges. J’en peux pu de compter, d’autant plus que pour moi le temps est secondaire, totalement. Mais je m’en sors pas. Je veux penser à autre chose. Je veux pas savoir combien de temps ça me prendra, j’ai déjà une bonne idée !! Et ça m’importe pas une seule petite maudite seconde.
J’arrive au pied du Morios. Je sais qu’est-ce qui m’attends. Je l’ai déjà fait 2 fois lors d’aventures précédentes. La stratégie ici c’est lentement mais sûrement. Si je suis le plan, je devrais en avoir pour environ 1h45-2h. L’important c’est de faire cet aller-retour sans y laisser trop de ressources. Si j’y arrive, mes chances de me rendre aux Hautes-Gorges serein et en forme sont excellentes. La montée est abrupte et tout en haut on est loin d’avoir un vent d’été. Mais qu’est-ce qu’il fait froid !! Pas de souci, j’ai tout la matos nécessaire. J’ai pas coupé là dessus. J’ai dans mon sac les gants que j’aime et qui sont chauds, j’ai 2-3 affaires pour ma tête, plus ma super veste de pluie avec capuchon fraîchement acheté, modèle Marmot PreCip de chez Latulippe. Je me choisis une roche tout en haut, légèrement à l’abri du vent et j’enfile les items qui sont maintenant requis pour pas changer de couleur et aussi la frontale car la noirceur arrive rapidement. Je fais la boucle en 1h54, parfait !! Beau ravito qui nous accueil dans le stationnement du Morios !!
Je me sens super bien. Un peu mal aux pieds, mais sans plus. Ça reste tout de même un erreur. J’aurais dû mettre mes souliers les plus confortables. Je les ai gardé pour changer à mon drop bag. J’en suis à 40 bornes ou environ (j’aime ça les chiffres ronds). Je me lance dans la 2e difficulté, la montée de la Noyée. J’avoue que je ne l’ai pas vraiment étudiée celle-là… Pas grave, faut que je la fasse pareil. Encore une fois, l’idée ici est de pas m’hypothéquer. Je cours le plat, les faux plats montants mais les longues montées peuvent me coûter cher sur le long terme si je garde un rythme trop élevé.
Je monte tranquillement. C’est une super belle montée. 0 technique. Roulante à souhait. Je suit tout seul, dans le noir, dans le fond du bois. Et bordel, je calcule encore !! Je suis vraiment « à boute » !! Comment faire pour penser à autre chose ? C’est quoi la twist pour occuper mon cerveau ? J’aurais eu besoin de ma musique pour simplement continuer d’avancer sans me poser de question, et surtout de m’amuser. Ce qui, je vous avoue, commençait à faire défaut ici. Ma tête est en train de ma lâcher raide. Je sais pas quoi faire, je veux l’arrêter. Physiquement je suis top shape. Je m’assis sur une roche et je prends quelques jujubes. Déjà, je commence à être écœuré de mes jujubes que j’adore. Comment ça ? Ce sont des vrais bonbons !! D’habitude en tout cas… maudit viarge… Je me dirige clairement pas dans le bon sens mentalement.
Bon, fec là, assis sur ma roche, le moral qui descend à vitesse grand V, un compatriote du 125 est à faire sa montée. On jase un peu et je reprends la route à ses côtés. Les km défilent lentement, mais notre complicité progresse à vue d’œil. Dans des moments comme ça, tout est différent. Nous sommes dans des difficultés opposées toutefois. Il se sait limite physiquement (pour avoir réussi le 125 l’année précédente, il sait), mais il a un moral d’acier. Pour ma part, je suis en pleine forme physiquement, mais j’ai le moral dans les talons. On se tire tous les 2. Mon nouvel ami dont je vais par principe taire le nom tente de me remettre sur le droit chemin mentalement. Il y parvient en me parlant des première lueurs de soleil. Minuit est passé, nous en sommes donc pas si loin des dites lueurs. Je reprends vie, mais demeure tout de même fragile, je le sais.
Arrive au ravito au km 51. On refait le plein sans trop s’y attarder. Et c’est un peu plus loin que je flanche encore une fois. Entre 2 sujets de discussion avec mon complice du moment, je calcule, je compte, c’est long, très long. 10, 12, voir 14 heures de courses, c’est une chose. Selon mon arithmétique de base, et considérant le temps dont je dispose à compter, je suis pas mal confiant, je m’enligne pour approcher de la ligne d’arrivée après 24-25 heures d’effort. J’en suis rendu à 12-13… Donc, grosso-modo, à mi chemin, tant au niveau du parcours qu’au niveau du temps. Je me vois pas, m’imagine pas, courir encore toutes ces heures. C’est juste trop long. Je me sens bien physiquement, je suis loin d’être épuisé, mais la tête y est plus, et alors pas du tout. J’étais déçu de le laisser aller seul, car il m’avait avoué que je l’aidais (sans même le vouloir), et que la fin de son aventure pourrait drôlement se compliquer en étant tout seul (j’étais curieux, le lendemain je suis allé voir, il n’a pas complété non plus malheureusement).
C’est donc après un arrêt en sentier pour gérer un soulagement requis que nos chemins se sont séparés. Mon call était fait, je finirai pas le 125. Je l’écris et je trouve ça difficile. Mais c’était la décision à prendre. Ma préparation était toutefois adéquate. Tous les voyants étaient au vert. J’ai même trainé 2 américains sur 5-6 km pour se rendre jusqu’aux Hautes-Gorges. Mais j’ai clairement sous estimé le mental pour faire ce genre d’épreuve. J’avais beau lutter, j’avais pas cet capacité. Il y en a qui l’avait, d’autres pas, je l’avais pas. Mais bon, y a pire dans vie. Je fais ça pour le fun, pas pour sombrer. Je savais qu’il y avait un risque… en fait non, un risque ça implique un quelconque danger, et y a aucun danger à ne pas compléter une course. Je dirais donc que je savais donc qu’il y avait des chances que je complète pas. Ça s’est produit. Vers 3h30 j’étais au chalet au Mont Grand-Fonds.
Ça m’aura donné l’occasion, l’opportunité de pouvoir jaser avec Elliot Cardin. Il était venu pour s’attaquer au record du parcours sur le 125. Il avait une mauvaise journée en lui malheureusement. Après 35-40 bornes, pu grand chose passait. Il a vomis. Il s’est rendu à sa support crew aux Hautes-Gorges. Il arrêtait. Mais son équipe l’a encouragé et convaincu de continuer. Il s’est refait une santé, pris du repos. À son départ, il était toujours 3e !! Mais il le savait, rien allait, aucune sensation. Il s’arrêta finalement au ravito du 84e km. Il a tout de même fait 50 km de trop. Il est tellement accessible, c’est fou. Super sympathique. Je lui demandais comment ça se passait devant, au départ d’une telle distance. Je me dis que la gang des 10 premiers se regardent dans les yeux en sachant très bien que c’est l’un d’eux qui remportera la mise. Probablement qu’ils se disent qu’on va partir tranquille, anyway, la course se joue pas sur les premiers 5km de gravel… Je me disais, 5min du km disons, ben mollo. La gang devant ont fait les 4 premiers sous les 16 minutes !! Bref, tout ça pour dire que ça été un super beau moment que je vais me rappeler probablement toute ma vie.
Est-ce que je ferais des choses différentes ? Oui. Dans ma préparation ? Oui, mais pas tant. Peut-être 3-4 consultations avec un entraîneur. J’ai connu une fin de préparation plus difficile en août. Mais j’étais quand même prêt. J’ai suivi mon plan et j’ai respecté aussi mon mode de vie, mes priorités. C’est important parce que je fais pas juste courir. J’ai des enfants, une vie de couple, une vie de famille. Pas question que je les mette de côté pendant tous ces mois de préparation. Alors j’ai vraiment fait le maximum que j’ai pu. Lors de la course ? Oui. Première chose, j’ai besoin de ma musique. Je dois occuper mon cerveau, mon esprit, sinon, je calcule, je compte. Le fait de jaser, ça aide beaucoup, mais c’est pas évident d’avoir un partenaire de course pour 125km et aussi à jaser pendant toutes ces heures. À un moment ou un autre, on risque d’être séparé ou dans notre bulle. Ensuite, j’étudierais plus les difficultés. J’utiliserais plus la description du parcours, je pense que ça m’aiderait à traverser les différentes étapes. Qu’est-ce que je ferais d’autres ? Des souliers plus confortables. Mieux gérer ma bouffe. Je peux pas seulement prendre des jujubes, je viens écœuré raide. Je séparerais mes ziploc numérotés avec autre chose dedans, ça ferait du bien. Finalement, je me trouverais un support crew. Des gens qui vont m’aider à me ressourcer. Je leur demanderais de me consacrer 24 heures. Je le ferais pour eux sans même hésiter. Je voudrais savoir qu’en continuant je verrai des gens qui me sont chers. Avoir un petit menu comme des fameux ramen lors des ravitos désignés.
Est-ce que je vais re tenter ? À court terme non. Comme je disais, courir 10, 12, voir 14 heures, ça je suis capable. De plus, j’ai la discipline et la volonté de me préparer pour être en mesure de courir plus. Je voudrais tellement traverser un tel sentier de bout en bout. Je me souviens encore comment je me sentais quand j’ai enfilé ma tenue de nuit, avec la lumière, comment j’étais excité, de vivre ça, un 24 heures à bouger, à avancer, à me rapprocher de cette ligne d’arrivée. J’aimerais y arriver. J’ai les capacités physique et la discipline. Est-ce que je vais refaire des distances ultra ? Oui, je suis inscrit au 65. Je vais aller voir la moitié que j’ai pas vu. C’est clairement une distance qui m’est plus accessible pour le moment. Je verrai comment, et si, mon mental progresse. J’ai des barrières à faire tomber avant de retenter le coup pour le 125. Mais il est encore là, dans ma tête…
Alors voilà, ça été mon histoire, du début à la fin, pour arriver à cette ligne de départ d’UTHC-125 que je convoitais, mais sans franchir la ligne d’arrivée que je convoitais encore plus bien sûr. Ça aura été une belle aventure, sans aucun regret. Beaucoup d’apprentissage. J’ai été supporté par mes proches, merci infiniment.
Seb
Pour lire la prémisse et les chapitres précédents :
- En route vers UTHC 125 – Prémisse : Présentation et introduction
- En route vers UTHC 125 – Chapitre #1 : Le plan
- En route vers UTHC 125 – Chapitre #2 : La progression
- En route vers UTHC 125 – Chapitre #3 : Le volume
- En route vers UTHC 125 – Chapitre #4 : Le D+ et la forêt
- En route vers UTHS 125 – Chapitre #5 : La visualisation