Il est 14 h 08, je viens de compléter ma troisième boucle. Je passe à la table des «maîtres du temps» pour y consigner mon arrivée. Je remplis mes gourdes systématiquement : celle de droite avec de l’eau et celle de gauche avec l’excellente boisson hydratante maison disponible au ravito. Melons d’eau, oranges, bretzels, patates salées, wraps à l’humus, tout est excellent. Je cache 2 patates dans mon sac pour la route et c’est reparti pour une autre boucle de 10 km sur le magnifique sentier que j’apprécie d’avantage à chaque passage.
La montagne
L’ultratrail Pandora 24 sillonne les sentiers du Parc des Falaises à Prévost, au nord de Montréal. Le défi est de taille : compléter le plus grand nombre de fois en 24 h une boucle de 10 km comptant 450 m de dénivelé positif. Multipliez ça le nombre de fois que vous voulez, c’est de la peau!
J’ai adoré parcourir ce sentier. Chaque passage nous permet de l’apprivoiser, de connaître ses racines, ses roches saillantes et celles cachées sous les feuilles, les zones exposées, les sections rapides et celles où ça ne donne rien de courir. Les différents paysages et types de terrains nous font voyager au-delà du Parc.
Les escaliers de pierres m’ont fait penser au sentier de la Statue à Rivière-Éternité, les sections larges sur terre battue, parsemées de racines, ressemblaient à la Boucle de la station à Stoneham. La longue montée, qui n’en finit plus, me rappelait mes entraînements au Mont-Sainte-Anne Le single track roulant m’a fait revivre la descente du sentier la Gentiane au Lac-Beauport, et j’en passe. Mais cette montagne révèle aussi des sections bien à elle qui méritent d’être courues…plus d’une fois!
La chaleur
J’ai chaud, tout le monde a chaud. Il fait 31°C au thermomètre et il n’y a pas de vent. Cependant, la forêt nous apporte un peu de fraîcheur jusqu’en milieu d’après-midi. Ma principale crainte avant de prendre le départ était de savoir comment gérer l’hydratation au fil de la course. Il est rare de s’entraîner plus de 3-4 heures dans ces conditions, alors je devais miser sur la bonne stratégie dès le début et essayer de la maintenir assidûment.
À chaque boucle, qui durait environ 1 h 30, je m’efforçais de boire 1 litre d’eau pendant que je courais et environ ½ litre au ravito avant de repartir. Je prenais aussi une capsule d’électrolytes par boucle pour contrebalancer la perte de sel. Je ne sais pas si c’est grâce aux électrolytes que j’ingérais régulièrement mais je n’ai jamais vraiment ressenti de soif extrême. Je me sentais toujours bien hydraté. Je buvais de petites gorgées dans les montées, en marchant. J’ai aussi adoré le lait de soya froid que je buvais en passant par mon ravito perso. C’est l’avantage qu’offre cette course : tu as accès à ton matériel et à ta nourriture à chaque boucle.
Le ravito du 5e km était près d’un ruisseau et j’en profitais pour me rafraîchir la tête et le haut du corps. J’utilisais aussi l’arrosoir d’eau glaciale au site principal juste avant de repartir sur le sentier.
La chaleur s’est dissipée seulement vers 18 h. J’en ai profité pour faire une boucle rapide avant ma longue pause repas. Mon crew familial m’attendait pour m’encourager, s’occuper de moi et faire chauffer mon couscous végé que j’ai avalé sans retenue.
Le repos
Avant d’entreprendre ce défi, j’avais convenu de prendre des pauses de 5 à 10 minutes entre chaque boucle, une pause plus longue après 40 km pour manger et une autre longue vers 80 km pour dormir quelques minutes. La chaleur m’a entièrement fait réviser ma planification. Les longues pausent furent plus fréquentes. Je n’avais pas faim aux moments où j’avais prévu manger, et je n’ai pas été capable de dormir une seule minute. J’ai donc décidé d’écouter mon corps (tu vois maman, je suis sage) et de me reposer quand j’en ressentais le besoin.
Pour conserver mon énergie, j’ai marché toutes les côtes sur le parcours d’un pas assez dynamique et soutenu. Cela me permettait de récupérer des segments courus.
Contrairement à tous mes déplacements actifs où j’ai ma montre GPS donnant le pace actuel et moyen, j’ai choisi de faire cette course sans suivi. Pas de cadence à maintenir, pas de cumul de kilomètres à suivre, juste courir au feeling et avancer un pas devant l’autre jusqu’à la prochaine étape. Cet élément technologique en moins m’a permis d’être dans un état d’esprit plus libre, sans pression.
Il y avait des moments de course intenses où la concentration était de mise et d’autres, où les discussions avec les coureurs nous forçaient de prendre notre temps. Un temps unique qui nous permettait de faire connaissance avec eux.
Les gens
Nous étions environ 140 participants à prendre le départ. Certains en solo comme moi, d’autres en équipe. Il y avait aussi de jeunes coureurs téméraires (volet jeunesse) qui s’élançaient sur un circuit de 4 km autour du lac Paradis. Après avoir volontairement fait ma première boucle seul pour me « calibrer » sur le parcours, j’ai complété les suivantes avec d’autres coureurs. D’où viens-tu? Quel est ton terrain de jeu favori? Première fois sur la Pandora? On aurait dit du trail-dating pour trouver un coureur à sa pointure!
J’ai couru avec un facteur vegan, un autre qui visait de faire 160 km en profitant de l’extension de 8 h accordée à ceux et celles voulant relever le défi, deux ados de 15 et 16 ans en sport-étude pour qui la Pandora était déjà un classique, un coureur grisonnant, mais franchement en forme qui devait arrêter après son objectif de 50 km. Je l’ai revu en faire 20 autres à l’aube, et deux futurs ultra-marathoniens de 8 ans qui n’étaient «même pas fatigués» après 34 km (c’est ce qu’ils m’ont dit). Des gens qui courent pour le plaisir, pour performer, pour se libérer, pour la distance ou pour simplement être entre amis.
La Pandora 24, c’est aussi les bénévoles. Ceux et celles qui organisent, balisent, préparent les ravitos et interviennent en cas de blessure ou de malaise. L’événement a été mis sur pied afin d’amasser des fonds pour la préservation du Parc des Falaises. Les frais d’inscription vont entièrement à cette cause. C’est donc dire que tout le reste est basé sur l’apport des commanditaires et des bénévoles.
Il y a même certains bénévoles qui restent en service pendant 24 h sans dormir. Ça, c’est de l’ultra-bénévolat!
La nuit
La nuit s’installe tranquillement. Il est 20 h 30 et je débute ma 7e boucle. La fatigue commence à apparaître mais j’aurai la chance d’être accompagné par Matthieu jusqu’au matin. Il est venu de Québec avec sa petite famille, simplement pour le bonheur de courir toute la nuit et de me supporter pendant ce défi. On traverse les premiers 5 km aux dernières lueurs du jour. Le sentier est magnifique sous cette lumière.
Matthieu est devant moi pour cette première boucle en duo. C’est la première fois que quelqu’un me pace, et c’est la première fois qu’il pace un coureur. Nous avons l’habitude de courir ensemble lors des entraînements de fin de semaine et lors de nos nombreux commutes avec détours. La fatigue, accentuée par la chaleur et l’heure tardive, me limite dans mes paroles et ma concentration. Matthieu me parle sans arrêt tellement il est enjoué d’être ici. Mes réponses se limitent à des « ouais », « ok » et « hum hum »… pas très bavard et je m’en excuse. Mais sa présence me fait vraiment du bien, ça me change les idées et ça marque le début d’une nouvelle étape de l’aventure.
Le sentier se referme dans la noirceur, on sort la frontale. Je talonne Matthieu qui avance à un bon rythme mais tout de même conservateur. De retour au site principal, il y a encore plusieurs personnes présentes pour nous encourager. Assises sur la terrasse de la gare, je me demande jusqu’à quelle heure dans la nuit elles y resteront. Matthieu s’occupe de moi comme un roi et je lui explique ma routine : eau, boisson hydratante, fruits, patates, lait de soya, électrolytes, etc.
On repart vers 22h30, mais cette fois, je prends les devants. Je crois que ce sera plus facile pour moi d’aller au rythme adopté au cours des 12 dernières heures. Je commence à bien le connaître, ce sentier. Même la nuit, j’anticipe les sections techniques, les petits passages plus faciles, les obstacles dissimulés. Mon cerveau est programmé. Mais j’ai besoin de beaucoup de concentration, surtout lors des descentes où je me suis surpris à les dévaler sans retenue. De la vitesse en sentier, c’est dangereux #JasminGillFortin. Encore plus la nuit (désolé maman…).
À l’approche du ravito en milieu de parcours, on entendait le rythme frénétique de tam-tam que Louis jouait. Seul à son poste, il accueillait les quelques coureurs nocturnes avec des histoires à réveiller les plus endormis. Il m’a fait un café tellement fort que je lui ai demandé s’il avait oublié d’y mettre de l’eau. On repartait de là crinqué à bloc, merci mon gars!
Alors que la nuit s’estompe, j’entame ma 11e boucle. J’ai maintenant 100 km et 4500 m D+ dans les jambes et, malgré mes yeux petits, l’énergie y est encore. Cette nuit m’a fait vivre des expériences inoubliables et je suis motivé plus que jamais à compléter ce 24 h.
L’arrivée
Il est 8 h 27, je termine ma 12e boucle, 120 km. Matthieu m’a accompagné sur les 60 derniers kilomètres. Je regarde le tableau de classement en mangeant un savoureux grilled cheese et je constate que je suis en 2e position over-all. Le coureur en tête de liste exécute présentement sa 13e et dernière boucle.
Il n’était pas réaliste de me lancer dans un dernier tour de 10 km à cette heure. Il m’aurait fallu le compléter en moins de 1 h 15, le temps que j’ai pris pour faire ma première boucle, les jambes bien fraîches. Toutefois, il était envisageable de faire la petite boucle de 4 km du volet jeunesse sans trop me presser. Rien n’allait changer l’issue de la course à partir de maintenant. Matthieu et moi repartons pour une dernière ronde en prenant soin d’apprécier le moment présent avant de rentrer au bercai,l définitivement.