En arrivant au Mont Blanc pour l’UTMB, j’avais le syndrome de l’imposteur. C’est le rendez-vous annuel de l’élite; les gros noms sont tous là. J’ai croisé Anton Kuprika, serré la main de Tim Olson (qui avait plus l’air d’un surfeur), j’ai vu Kilian Jornet et Zack Miller, pour ne nommer que ceux-là… Fou raide!
La semaine s’annonce bien remplie. Vous le savez, pour courir au Mont Blanc, on doit se qualifier; personne ne peut rentrer par la porte de derrière; pas de touriste sur la ligne de départ. En regardant autour de moi la semaine dernière à Orsières en Suisse, voyant ces athlètes avec plein de drapeaux différents sur leur dossard, j’avais solidement le syndrome de l’imposteur. Je viens tripper relax, mais j’ai rapport ici, parmi eux ?
Je cours parce que j’aime ca, point. J’aime ça me pousser en montagne une couple d’heures et revenir vidé, mais rempli. Je suis loin des cinq- -six sorties par semaine. Je me répétais que je n’avais pas volé ma place, que je m’étais qualifié comme eux. Mais quand même…Mon trip à Chamonix, je l’ai fait avec mon ami Bastien, le meilleur partenaire de « voyage sportif » qui soit. Le positivisme sur deux pattes, doublé d’un physio classe à part… idéal! C’est un gars d’Ironman mais il s’est vite mis dans le mood trail et il a adoré. Deux hyperactifs voulant maximiser leur voyage, ça fait tout, sauf se reposer. Pas parfait pour le gars en décalage horaire… Pendant la course, il m’a suivi sur tous les ravitos, m’a souri quand c’était plus tough. Tu es en or mon gars!
Des autobus confortables (pas nos bus jaunes québécois, quoi que je n’aie rien contre, nous ont amené à Orsières pour le départ. J’y arrive malheureusement très tard. Je suis donc loin derrière la mer de coureurs qui étaient là avant moi. Merde, je vais être pris en entonnoir et perdre beaucoup de temps. Pas trop grave, je me rappelle qui je suis, et je me dis que ma place n’est pas dans en tête de peloton. Habituellement, je me classe toujours bien dans les courses locales avec des tops 10, des fois des podiums. Je ne suis pas si pire dans les courses importantes de la province, mais je n’avais pas de grosses attentes pour mon OCC. Enfin, juste m’amuser, me remplir les yeux et la tête et rocker le parcours comme je peux. Départ : ça bouche dans l’entonnoir, mais c’est pas si mal. On traverse la ville, mes yeux vont partout, je me pince, c’est fou! Pendant les premiers km, plein de gens nous encouragent avec les fameuses grosses cloches à vaches : on est littéralement transporté.
Ce qui vient me chercher le plus à ce moment, c’est qu’il y a plein d’enfants sur le bord du chemin qui nous encouragent et qui tendent la main pour des high five. J’ai le « moton », j’ai la gorge serrée, je pense à mon gars qui va avoir 3 ans, et à ma conjointe qui doit tout gérer seule au Québec (et c’est un mauvais timing, vraiment ) pendant que papa s’amuse et court dans les montagnes. On est loin. C’est mon trip d’égoïste.
Quand on aime les formats ultras, on sort rarement courir pour un petit 30 minutes comme la plupart des gens « normaux ». Les gens autour de nous croient que nous faisons de gros sacrifices pour réussir ces distances. Je ne sais pas pour vous, mais dans mon cas, c’est faux. Quand je cours, je m’amuse, je pense à moi, ça me fait du bien, j’en ai besoin. Les sacrifices, ce sont ces deux-là qui les font, qui endurent mes horaires malgré eux, et qui font avec parce que moi, ça me tente de courir longtemps. À la fois je m’en excuse et je les remercie.
On est dans la course? Ah oui! Orsières. Une belle grosse montée où je suis coincé derrière beaucoup trop de monde à mon goût. Je roule donc « pace récup » et je dépasse comme je peux.
Arrivé à Champex, c’est comme une carte postale avec le lac, l’architecture typique et les gens qui crient. Premier ravito rapide et hop. On a traversé ensuite quelques petits villages de montagne, lesquels avaient toujours quelque chose d’un peu stéréotypé, comme des gens habillés « suisse » chantant et jouant de la musique de leur folklore, des grosses vaches dans les champs, à flanc de montagne à presque 45’, et évidement le paysage à couper le souffle. Il n’y a que ça des montagnes, et elles sont hautes.
Les coureurs se distancent, je peux enfin aller chercher une vitesse de croisière potable. Tant mieux si c’était lent au début, j’ai l’habitude de partir trop vite.
J’ai donc fait ma course à mon rythme, divaguant un peu quand j’étais vers les 2000 m d’altitude mais ça allait : fallait seulement lever le pied un peu. Et voir ce que l’altitude faisait à d’autres personnes autour de moi (je vous passe les détails, mais ça rapport avec ce qu’ils avaient mangé avant…) Je me compte chanceux que d’avoir seulement un petit buzz gratuit.
Attention où on met les pieds, on se concentre à bien boire et manger; ça va très bien, je ne suis pas venu ici pour un DNF. Je pense aux gens qui sont derrière moi : Amélie chez Kinatex Sport Physio, Pierre chez Julbo, et les autres voulant rester un peu plus discrets. Je vais la finir, c’est clair, à quatre pattes à terre ou les deux bras dans les airs, comme un ami m’a déjà dit.
Passer par Trient et Valorcine est tout simplement dans les plus belles choses qui sont tombées dans mes yeux. Plusieurs m’ont dit de prendre le temps d’arrêter et de profiter du paysage. J’ai même pris des photos et des vidéos. Je me disais au départ que je ne le ferais pas, mais j’ai flanché. Ca m’a fait perdre quelques positions, mais c’est si grave?
Les km s’enchainent, les ravitos se suivent. Bastien est toujours là pour m’encourager et profiter de l’évènement aux premières loges. Il s’est mis chum avec une famille de français qui suit le « frère » qui a pas mal mon pace ; alors ils co-voiturent.
Il y a vraiment un bel esprit trail en général à l’UTMB avec les spectateurs, les gens à Chamonix. Le seul bémol est entre coureurs : j’ai senti un esprit de compétition un peu trop sérieux. On est loin de la tape dans le dos du parfait inconnu que l’on dépasse en course, ici au Québec et qui nous dit « Good job, lâche pas mon gars ! ». On est chaleureux nous.
Bref, dans les ravitos, je m’enfile des saucissons et du fromage comme s’il n’y avait pas de lendemain, pas forcément parce que j’ai faim, plutôt parce que c’est si bon. L’organisation de l’UTMB est peut-être (trop) stricte sur l’équipement obligatoire, mais elle se fait pardonner par la qualité des ravitos.
Vers le dernier quart de la course, tout va bien pour moi : les jambes sont ok, les sentiers sont beaux, techniques, hardcore par moments, mais beaux. Même si j’avais fait un choix de tata le matin-même (mettre les beaux nouveaux souliers Salomon ME:sh avec lesquels je n’avais couru que 10 km la veille), j’avais vraiment de bons feelings.
Bastien m’informe sur mon classement et me dit qu’à mon rythme, il était réaliste de finir dans le top 300 sur les 1500 du début. C’est là que j’ai perdu mon syndrome de l’imposteur. Je visais au mieux du mieux, la mi-peloton. Il restait 13 km seulement sur les 57 total. J’ai clanché comme j’ai pu mais j’ai cassé un peu. Tout le long, j’ai gagné mes positions en montée, un peu sur le plat (quel plat?).
Toutefois, les Européens me passaient en descente. Leur technique est d’une fluidité impressionnante et ça paraît que les Alpes sont leur terrain de jeux. Dans mon cas, ça cognait sérieusement les hanches et tout ce qu’il y a plus bas. C’est là que c’est le plus difficile relativement au terrain technique et abrupte, pas mal plus qu’à ce que je suis habitué de rouler en entraînement.
On ne se doute pas à quel point nos « grosses montagnes techniques » sont parfois, en fait, des petites collines douces. La seule course que je peux comparer à l’UTMB/OCC est ce que j’ai vu à l’UTMA ici au Québec. Mais je n’ai pas tout vu, peut-être y en a-t-il d’autres? Sans doute! Dites-moi où, svp, que je m’y entraine.
Alors ça roule fort en montée, la dernière de ces 3400 m de D+. Les derniers 8 km de ces 57 sont les pires de ma vie. Ça résonne mais je tiens bon. Je vois Chamonix en bas, yeah!
L’arrivée de la course dans la ville était irréelle ; l’avez-vous déjà vue en vidéo ? On vole sur un nuage, tous ces gens qui crient en français, anglais, espagnol, italien, chinois (name it!). L’orgueil fait monter le pace même si ça fait mal, et on sourit.
Chamonix est au trailrun ce que Montréal est (ou était ) pour le hockey. Ça crie fort, les gens débordent de passion pour ce sport, la ville est : course. Je passe la fameuse arche mythique de l’UTMB, celle où la veille je me faisais prendre en photo comme un vrai de vrai touriste. Cette fois je la passe pour les vraies raisons. Le feeling est impossible à décrire. Évidement Bastien m’attendait, mais il y avait aussi mon chum de trail Martin qui est, au moment d’écrire ces lignes, à courir son épreuve UTMB.
Je vais me souvenir de ce moment toute ma vie, tout comme les paysages à couper le souffle. Et la veste! Quelle bizarre d’idée! Cette veste du finisher que l’on met la journée-même, mais pas certain qu’il y ait tant de monde qui « l’use à la corde ». Mais bon! c’est clair que je l’ai ramenée.
Une autre chose irréelle et dont je suis extrêmement fier, c’est mon temps et mon rang. Je visais candidement sous la barre des 10 hrs, pour finalement exploser mon chrono perso à 8 h 42. Ma position : 3e canadien, 299e au total sur les 1500 coureurs s’étant qualifiés à travers le monde pour se mesurer au Mont Blanc, le plus grand rendez-vous annuel des ultras.
Probablement que j’ai couru la course de ma vie cette journée-là. Martin me disait « On s’en fout de la position », et dans le fond, il a vraiment raison. Les souvenirs que mes yeux ont cueillis resteront plus importants que ce que ma tête a à compiler statistiquement. Mais tout de même, quand je mets tout ça en relief, je me dis que même si notre sport est relativement jeune ici au Québec, nous sommes en mesure de sortir du très bon calibre. Nous avons les mêmes noms en tête et oui, ces gars et filles de chez-nous sont terriblement inspirants et nous poussent au delà de nous-mêmes.
J’en reviens encore pas… je crois que je peux maintenant dire que je suis guéri du syndrome de l’imposteur.
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