Mon été se termine ici, sur le quai de la gare Par Dieu, à Lyon. J’enlace tendrement Andréanne avec qui nous venons de passer 6 semaines au paradis, entre cimes et crêtes, tout prêt des nuages. 6 semaines perchés à 1750 m d’altitude, au coeur des 3 Vallées, le plus grand domaine skiable au monde, aux portes du massif de la Vanoise et à quelques vallées du mystique Mont Blanc. À Méribel-Mottaret. Les adieux sont déchirants.
Un dernier coup d’oeil en arrière, sur l’incroyable beauté des mois qui ont suivi notre rencontre, puis un regard en avant et je contemple mon retour auprès de la famille à Royan sur la côte Atlantique. La perspective d’un horizon plat et du tumulte des villes balnéaires ne m’enchante pas vraiment. Je quitte la gare et retourne à ma voiture en traînant les pieds, le coeur lourd, l’esprit embrumé et le regard humide.
Yolo !
Je me remémore maintenant les derniers échanges avec Mathieu Blanchard lors de son départ de Méribel la veille. Ce petit chanceux est en train de se faire une promenade autour du Mont Blanc. Il avait terminé l’UTMB en 2018 à la 13ème place et il partait se remettre en mémoire le parcours.
Bien que, pour lui, l’objectif affiché soit d’ordre compétitif, comme faire un dernier bloc de préparation avant la course et placer ses repères psychologiques sur les différents segments, la motivation sous-jacente, mais bien réelle, est plutôt d’ordre récréative: découvrir l’intégralité du tour du Mont Blanc de jour, ressentir cette osmose avec la nature et vivre une aventure.
Alors si je ne participe pas à l’UTMB, qu’est-ce qui m’empêche de le rejoindre? Ha oui, peut être les 50 km et 4200 mD+ de la dernière course il y a 4 jours… Ha oui aussi peut être le réveil à 3h30 du matin pour emmener Andréanne à la gare et le petit déjeuner que je n’ai pas mangé… peu importe. Après tout, c’est pour ce genre d’aventure que je suis venu passer l’été dans les Alpes.
Alors c’est parti!
Après deux trois appels, 2h30 de route et 30 minutes de course pour atteindre le refuge de Nant Borant depuis le stationnement des Hautes-Gorges, je retrouve Mathieu et son sourire. Il a parcouru la veille les 36 premiers km depuis Chamonix, ce qui sera pour moi ma 4ème et dernière étape.
Entre épreuve physique et quête spirituelle
J’écoute Mathieu me décrire le tour, parcourant du bout du doigt les différents cols et vallées sur une carte à relief accrochée dans la salle-à-manger du refuge. S’il y a autant d’approche du trail que de trailers, malgré tout, on apprend beaucoup sur l’expérience d’un coureur à travers son discours.
De mon expérience, plus le coureur est expérimenté, moins il y a de distinction claire entre l’effort physique et l’état d’esprit du coureur dans son récit. Une forme de sagesse s’en dégage, résultante de la fusion entre le corps et l’esprit. S’ils sont liés, alors course et méditation sont complémentaires selon Sakyong Mipham (coureur et moine bouddhiste): « exercer l’un bénéficie l’autre ».
L’enthousiasme que Mathieu met dans son discours me fait dire que j’ai bien fait de venir. C’est un vrai passionné, il raconte la montagne comme un explorateur, avec amour et curiosité. J’allais maintenant découvrir comment il la vit.
Jour 1: 46 km et 3000 mD+
La première journée est belle et enthousiasmante, survolant la Croix du Bonhomme, le col de la Seigne et les Pyramides calcaires d’une traite jusqu’au long plat qui longe le lac Combal qui se trouve du côté italien. La fatigue accumulée finit par me rattraper dans la dernière ascension du Mont Favre où je me laisse distancer assez rapidement. Si c’était assez prévisible, je ne m’attendais pas à ce que cette sensation de vide arrive aussi vite dans notre périple. J’atteins Courmayeur, laissant la gravité m’emmener jusqu’à l’hôtel, envahie de doutes sur ma capacité à poursuivre.
Je décide de passer outre; ne rien laisser paraitre est le meilleur moyen d’oublier la fatigue… corps et esprit sont liés, je ne l’oublie pas.
Jour 2: 47 km et 2400 mD+
Au départ de la seconde journée, je constate n’avoir aucune séquelle de la première. Les doutes de la veille évacués, nous nous envolons dans la première ascension vers le refuge Bertone. Le sentier en balcon qui nous amène jusqu’au Grand Col Ferret offre une vue impressionnante sur le massif, particulièrement imposant et vertical sous cet angle. Depuis le col jusque’à Champex, nous ne nous sommes pas arrêtés de courir. Cette section du parcours offre clairement un avantage aux athlètes ayant des qualités de marathonien, ce qui est visiblement le cas de Mathieu. Être parvenu à le suivre de près sur cette journée me redonne de la confiance. Je capitalise là-dessus avant d’entamer la dernière journée.
Jour 3: 43 km et 2400 mD+
Trient, Vallorcine puis La Flégère ponctuent les 3 dernières ascensions avant d’atteindre Chamonix. La chaleur accablante dans la dernière montée m’est tombée dessus comme une massue. Outre la vue sur le Mont Blanc et la perspective de l’arrivée à Chamonix qui conduisent mes jambes, je ne trouve aucun subterfuge mental pour passer outre la déshydratation et le vide d’énergie. Mathieu, lui, ne laisse toujours rien paraitre et l’allure à laquelle il entame la dernière descente allait finir de carboniser ce qu’il me restait de quads.
Mathieu en termine, du lactate plein les mollets mais des étoiles plein les yeux. Ce parcours est fait pour lui. Plus que la forme physique, l’état d’esprit avec lequel il aborde ce tracer donne plein d’espoir, l’envie de croire à l’exploit, de le voir crapahuter devant l’armada de machines du trail alignées sur le départ de l’épreuve.
Jour 4: 27 km et 1200 mD+
Cool down. En chemin vers Vallorcine, je prends le temps d’une longue baignade dans le cours d’eau qui incise la longue vallée depuis le col du Bonhomme jusqu’à Saint Gervais.
Je repense à ces 3 derniers jours avec Mathieu…
Lorsqu’on a la chance de le faire, une course se vit en 2 temps: le plaisir de la découverte et l’aventure lors du parcours de reconnaissance, puis l’adrénaline et la compétition le jour J. Sur l’UTMB, j’aurais eu le plaisir de vivre le premier à deux reprise (voir article Distances+). Quand vais-je avoir la chance de vivre le second?
Puis je repense à ces 3 derniers mois avec Andréanne…
Quel chance j’ai de pouvoir partager cette passion avec elle. Quelle tristesse qu’elle ait dû repartir au Canada. Quand vais-je la revoir?