Ronda dels Cims (Andorra Ultra Trail)
- Distance 170 km
- Dénivelé positif 13 500 m
- Dénivelé négatif 13 500 m
- Altitude moyenne 2 100 m
Samedi soir, c’est ma 2e nuit sur la Ronda dels Cims (la Ronda, le Mordor, le monstre), je dévale le Collada dels Pessons à toute vitesse en me lançant des injures à la tête. Je n’ai jamais descendu aussi vite et je suis persuadé que je fous complètement en l’air ma fin de course. En sortant du refuge de l’Illa, trop occupé à essayer de me réchauffer, j’ai suivi les frontales sans me rendre compte que je prenais le parcours de la Mitic, une autre course de l’AUT, plutôt que de prendre à droite celui de la Ronda. J’ai dû monter 500 ou 600 m de dénivelé et me rendre au col avant de m’apercevoir de mon erreur. Et là, je me détruis les jambes à essayer de retourner sur le bon chemin. Dire qu’une vingtaine de kilomètres plus tôt, je me plaignais de lassitude. Je m’ennuyais et j’avais juste hâte de passer le point où, l’an dernier, l’organisation m’avait arrêté à cause des orages de grêles (récit).
REWIND
En partant d’Ordino vendredi matin, je suis plus nerveux que d’habitude. C’est ma 2e Ronda, je connais les 105 premiers kilomètres, je sais combien ils sont difficiles et il va falloir que je passe à travers une nouvelle fois si je veux me rendre au bout. Au-delà des 3 km à 30% du Comapedrosa « la montagne du destin », et de la descente aux enfers vers la Margineda, je sais que j’ai eu mes hauts et mes bas sur ce parcours et qu’il réserve d’autres surprises.
C’est donc la boule au ventre que je progresse sur ce magnifique début de parcours. Après 30 km et 3000 m de dénivelé, je suis en avance sur mes temps de passage. Malgré cela et même si ma blonde, qui est au ravito d’Arcalis avec ma famille, me dit que j’ai l’air plus en forme, je ne peux m’empêcher d’anticiper le passage à vide, le moment où je vais flancher. Cependant les kilomètres passent, je monte le Comapedrosa, le regard planté sur les roches devant moi ,et j’arrive en haut bien avant la nuit pour profiter de la vue, et avec la satisfaction d’avoir passé un gros morceau.
En 2018, la première nuit m’avait assommé, l’épuisement et le mental qui flanchent m’avaient fait arriver à la Margineda dangereusement proche de la barrière horaire. Cette fois-ci, je négocie plutôt bien la première partie jusque la Botella. En quittant le ravito, je finis par sortir de mon quasi mutisme et entame la conversation avec Xavi, un Andorran qui fait sa première Ronda. On se tient compagnie jusqu’en haut du Bony de la Pica où il décide de se reposer avant de descendre vers la Margineda. Je ne l’attends pas car je veux en finir le plus vite possible avec cette partie de la course et que je n’ai aucune qualité de descendeur. Comme pour le Comapedrosa, je serre les dents en attendant que ça passe. Je suis lent et on pourrait faire une vidéo sur comment ne pas descendre en trail, mais mentalement, je tiens le coup. Même si je commence à sentir un peu de raideur dans les quadriceps, j’arrive à la base de vie pas trop magané juste au moment où le jour se lève. 40 minutes pour me refaire une beauté et c’est reparti.
La section entre la Margineda (km 74) et Roca de Pimes (km 93) est celle que j’aime le moins. C’est la portion la plus basse en altitude, la paysage est moins ouvert et les montées y sont tout aussi dures. J’arrive à Coma Bella (Km 85) avant midi. Les coureurs autour de moi sont certainement ceux que je vais côtoyer pendant les prochaines heures. Xavi est là aussi et même si on ne court pas ensemble, on s’encourage aux ravitos et sur le parcours.
Je ne pensais pas éprouver de l’ennui en course, mais c’est ce que je ressens en ce moment. J’ai juste hâte de passer Claror. Je veux arriver en terrain inconnu, voir des bouts de montagne que je ne connais pas et surtout pas ce maudit Pic Negre qui n’en finit pas d’arriver. Mes jambes sont dures en arrivant à Roca de Pimes. Ma famille y est et je m’arrête un peu plus longtemps pour profiter de leur présence. Je repars en espérant retrouver un peu d’envie dans le val de Madriu.
La météo est belle cette année. En arrivant à Prat Primer, j’aperçois le col où je m’étais fait durement frapper par la grêle l’an dernier avant de basculer vers le refuge de Claror. On est plusieurs coureurs à grimper ensemble, mais j’ai l’impression de n’avoir aucune puissance dans les jambes. Au refuge, Paulo, un concurrent portugais, me passe une huile pour me frotter mes quadriceps qui sont devenus durs. La chaleur fait du bien et je me dis que ça doit bien faire 24 h que je m’attends à ce que mon corps flanche et que ça tient encore le coup : Fuck it et de toute façon, je suis maintenant en terra icognita et ça, je préfère.
J’avale les km comme un métronome surtout en montée, toute cette section est magnifique et j’arrive à l’Illa au moment où la nuit tombe. Le problème à cette période de la journée est qu’un arrêt fait très vite chuter la température du corps. Je frissonne sans contrôle. Je me dépêche à ingérer du bouillon et des pâtes, et à mettre ma veste. Un arrêt aux toilettes et je décolle… vers le Collada dels Pessons en compagnie des concurrents de la Mitic.
Le coureur de la Mitic me dit que j’ai raté l’intersection en bas a l’air complètement désolé de m’annoncer mon erreur. Ça fait 1 h 30 que je monte, et bien que je me doutais que quelque chose clochait, je n’ai pas eu la présence d’esprit de vérifier le profil. J’imagine ma blonde et mon chum Richard en train de capoter en voyant ma balise GPS sortir du parcours. Je suis en colère. Le reste n’est qu’un gros buzz d’adrénaline. Le cerveau à off, je me lance dans une descente de folie. Moi qui ne sais pas descendre, je dévale la pente à en faire peur aux concurrents de la Mitic qui montent. En 30 min je suis de retour en bas. À l’intersection, un coureur de la Mitic arrive en sens inverse du parcours de la Ronda. On se salue, les deux soulagés de ne pas être le seul idiot sur terre.
J’avais prévu dormir et quitter le Pas de la Casa (Km 130) vers 4 h afin de me laisser un coussin pour arriver à Ordino dans les délais, anticipant une baisse de vitesse à ce stade-ci de la course. J’ai perdu 2 heures, il va falloir revoir ma stratégie. Je vais moins vite que dans la descente du Collada dels Pessons mais je continue mon effort. Je rattrape un concurrent que je laisse sur place après avoir vérifié qu’il faisait bien la Ronda (Sorry!). Ne voyant personne par la suite, j’ai pensé au moins 10 fois ne pas être sur le bon chemin. Je ne suis rassuré qu’en arrivant à un point de contrôle où un bénévole à moitié endormi me confirme que je suis bien sur le parcours de la Ronda et qu’il y a des coureurs devant moi. L’adrénaline coule encore à gros bouillon dans les veines, je ne ressens aucune douleur, ma tête est un gros trou noir et je double 3, 4, 5 coureurs avant d’arriver au Pas de la Casa à 4 h du matin.
Xavi est là à se faire soigner les pieds, ainsi que d’autres coureurs qui étaient avec moi jusque Claror. Je lui raconte mon aventure en me changeant. Je mange et je refais mon sac. Je ne dormirais pas, j’ai peur qu’en restant immobile trop longtemps, mes jambes faiblissent après le violent effort que je viens de faire. Je salue mes compagnons de route et les bénévoles, et je repars bien décidé à ne pas me relâcher. Il me reste 40 km. Trois montées.
Après 48 h de course, le marquage dans la montée d’Incles est moins visible, et je ne peux pas pousser autant que je le veux étant obligé de vérifier le parcours régulièrement. Xavi me rejoint en arrivant au ravito d’Incles. Je n’ai plus envie de m’attarder, j’avale la montée vers le Coms de Jan, je me sens fort. La descente, technique, est une autre histoire, mais j’arrive au Coms de Jan en bonne forme. Ma blonde mon gars et mon père sont là. Je peux prendre une pause un peu plus longue. La chaleur commence à être intense. Il me reste une montée. L’absence de sommeil me rattrape. Je ne suis pas capable de pousser. En fait, mon esprit vagabonde un peu trop dans cette montée et je passe mon temps à chercher les drapeaux de marquage et à me demander où l’esprit tordu des organisateurs a décidé de nous faire passer.
En arrivant au col, il me reste 15 km de descente. Les 3 km qui mènent au refuge de Sorteny ne sont pas particulièrement difficiles mais je ne peux plus me concentrer. Je divague. À certains moments, je me demande ce que je fais là au milieu des herbes, je ne suis plus très lucide. Je finis par m’asseoir sur une roche et je fais un black out de cinq secondes. J’ouvre les yeux. Colin, un autre compagnon de course que j’avais laissé dans la montée, me dépasse. Je m’accroche à lui, la tête est revenue. Au ravito de Sorteny, je ferme les yeux et me vide la tête une nouvelle fois. Je prends 2 morceaux de melon d’eau et je me mets à courir. Mille fois je dois me convaincre que je suis sur le bon chemin malgré les rubans dans ma face aux 50 m. Il y a plus de villages maintenant. Les Ànims! Ànims! des promeneurs que je croise sur ce sentier dans la vallée me font avancer. Un dernier virage, j’entends l’annonceur qui crie mon nom en passant la ligne d’arrivée et je me jette dans les bras de ma blonde.
Je n’aurais jamais été seul pendant cette Ronda : ma famille, ma blonde, mon dernier, mes parents et ma soeur qui m’ont suivi pendant toute la course, Jean l’habitué de la Ronda venu me voir au départ et au Ravito d’Arcalis, mes deux autres enfants et les chums à Gatineau qui suivaient ma balise GPS en ligne et tous les autres coureurs avec qui on partage quelques km. Ils auront tous été dans un coin de ma tête pendant la course.
Xavi sera un des derniers à rentrer dans les délais, heureux comme un roi. La Ronda aura encore fait du carnage avec plus de 53% de DNF. L’autre canadienne engagée, Stephanie Case, a fini 2e femme en 47 h, 10 h après la première, malgré son lot de démons à combattre. John Kelly, un finisher de la Barkley, a abandonné au bout de 50 km. Mais ne n’est rien de nouveau sous le ciel de l’ultra. Qu’un coureur élite abandonne alors qu’un autre de fin de peloton qui n’a qu’une côte de 300 m de dénivelé pour s’entraîner finisse la Ronda sans réelle défaillance, me dit seulement que tout n’est qu’une affaire personnelle entre le coureur et la montagne. Cette année, elle m’aura laissé finir.
Ces aventures intérieures ne seraient pas aussi belles si l’organisation n’était pas hors pair. Après 11 éditions, l’Andorra Ultra Trail a atteint une superbe maturité tout en gardant cette bienveillance envers les coureurs, ce qui fait qu’on s’y sent comme chez soi et en sécurité. Une course à découvrir et à aimer. Moltes gràcies a tots!