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Ultra Trail Forillon 100 miles 2024

Terminer l’ouvrage 

Je suis assis, encore un peu sonné par ma décision, dans un endroit absolument merveilleux. La pointe à la Renommée, et son phare à l’histoire aussi rocambolesque que touchante. Le rouge vif du phare tranche avec le bleu estival du ciel pour cette très belle journée de Septembre 2023, ici, en Gaspésie. 

J’abandonne mon premier 100 miles. Je pense même à ce moment là abandonner l’ultra et être en paix avec cette décision. Pour la première fois, je me blesse. Je n’avais jamais eu mal au genou. C’est cette fois-ci trop douloureux avec encore 110km à parcourir. Je sens que la structure même de mon articulation n’est pas normale. Je lâche l’affaire sans regrets. Charmé, même, par le romantisme de cette petite fin et le cadre merveilleux dans lequel il a lieu.

Un an plus tard, Solene et moi nous retrouvons pourtant à Petite Vallée, toujours en Gaspésie, pour prendre chacun notre revanche. L’ultra distance à ses raisons que le bon sens ignore, il faut croire. Car avant même la fin de nos précédentes vacances au Québec, nous savions elle et moi que nous y reviendrions pour compléter l’ouvrage. On est un peu têtus par ici. Le lieu de départ est très légèrement délocalisé, d’à peine 300 mètres, et c’est sous ce petit carbet en bord de plage, avec une seule petite lumière, que Jean-François Tapp, directeur et organisateur de l’événement, nous accueille nous et les 9 autres coureurs engagés sur le 100 miles (160km). Quelques bons mots et notre balise de sécurité remise et nous partons, à 5h03, pour notre aventure.

On commence par 4 premiers km de plage de gallets, aux formes et calibres très aléatoires, à la lumières de nos frontales. On a convenu avec Soso de démarrer ensemble sur cette section à peine courable, et on laisse partir le reste de la petite équipe. A la sortie, on prend chacun notre chemin. Pour combien de temps ? Avec moi, difficile à dire, c’est selon le moment de la course où comme d’habitude je m’effondredrai et où Solene, souvent plus économe et endurante, me reprendra. Sauf si j’arrive moi aussi à me canaliser et faire, pour une fois, une course intelligente. Le jour se lève.

Je pars assez tranquillement et commence à reprendre la file des quelques coureurs partis forts, mais je suis rapidement gêné par une « colique » qui m’imposera un arrêt urgent très prématurément dans la course, j’y vois un présage assez mauvais quand à ma capacité du jour à m’alimenter et j’espère alors me tromper. 

On poursuit notre chemin sur le SIA, le sentier international des Appalaches. C’est principalement du single forestier, au milieu des pins qui se dressent fièrement dans cette région depuis toujours. A la différence de l’an passé où de nombreuses averses la semaine précédent la course étaient venues détremper le terrain, on a cette fois-ci un temps radieux sur la Gaspesie depuis plusieurs jours, rendant même les sections marécageuses sèches. Plus facile techniquement donc, même si les racines et quelques petits ponts aménagés au dessus des ruisseaux nous obligent à une certaine vigilance. Quelques courtes ascensions nous mènent au premier et au second ravitaillement, au beau milieu de pistes de quad isolées dans les collines où nous attendent des pick up aménagés en ravitos express. Je partage un petit morceau avec une coureuse du 100k par étape très sympa, qui me dira d’ailleurs que je grimpe « comme une petite chèvre ». Pourvu que ça dure.

Quelques félicitations à 2 récents finishers de l’UTMB qui nous ravitaillent aimablement au second point et on repart vers une section au profil si descendant que je me souviens avoir fait l’erreur l’an passé de me laisser griser par l’élan et la vitesse, me coûtant sans doute la blessure. Je reste sage cette fois-ci, la course est encore longue. La descente nous amène à la seconde traversée de plage de gallets. Une nouvelle longue section de 4.5 km à marcher exclusivement, et à être patient. Dans ce registre, je semble plutôt dans de bonnes dispositions aujourd’hui. Je profite, c’est très beau, il fait très beau, je vais très bien.

Dernière section avant d’atteindre le fameux phare de la pointe à la Renommée et le tiers du parcours. Une section le long de la route 132 et de très jolis lacs dans un premier temps, puis retour dans la forêt toujours sous les hospices du SIA pour une courte ascension et une descente finale vers le phare, ou s’invite étonnamment la brume. Ça fait quelque chose d’être là, dans le même contexte, et de savoir que je vais repartir. Ça sonne déjà comme une revanche. Je plonge ensuite vers l’inconnu. L’inexploré. Et surtout vers la troisième portion de plage de galets après une descente sans histoire. Celle-ci est difficile, dans une purée de pois. La vigilance et la patience, encore, sont de mise. JF nous avait prévenu : c’est une plage de grosses balles de golf. Il avait raison. Tiens ? Un phoque me rend visite. J’ai hâte de revoir ses congénères de Forillon. On n’en est pas encore là. 

On remonte sur la 132 par une petite côte bien pentue depuis l’Anse-a-Vallaud et on traverse la cours d’un motel dans lequel Solene et moi avons séjourné 3 nuits l’année dernière. Puis après une longue portion de pistes et de petits toboggans, vient le ravitaillement suivant. La section suivante, jusqu’au ravitaillement de l’érablière, sera la dernière sous les bonnes ondes du Soleil. Déjà presque la fin de journée et l’heure de ressortir la frontale. Cette section est assez rapide, sur piste peu technique. On domine les petits reliefs boisés de la région, c’est très beau. Une petite Couleuvre vient me saluer au milieu du chemin. Ravito express, je veux rester actif alors que la fraîcheur commence à tomber. On entre cette fois ci dans une section forestière, de crête. Le chemin du SIA se cache parfois bien entre deux troncs, j’essaie de ne pas m’égarer. 

Je ne suis pas vraiment un oiseau de nuit. Souvent, je perds de mon moral et de ma capacité à m’alimenter. En ce tout début de nuit je ne fais pas face à ce problème pour le moment et j’avance, jusqu’à l’orée du bois et une descente vers la base vie numéro une du camping des Appalaches, près de Rivière-au-Renard, km 85. Un raton laveur me fera un coucou à l’entrée du camping. Le genre de base vie dont il est difficile de partir, tellement la chaleur de l’abri n’a rien à envier à celle des quelques humains qui s’y trouvent. Je prends un peu de temps, pour m’alimenter, me recharger, me changer, et enfiler ma célèbre tuque « Canada ». Mais aussi pour profiter de la bonne ambiance mise par JF et ses bénévoles, au petits soins. Je suis rejoins par Kévin, compère du 100 miles. On décide de reprendre la route ensemble.

La section qui s’annonce est assez longue, 14km et plus de 700+ dont une montée très franche et très longue, sur le sentier dit « des lacs », qu’on apercevra plus haut sous le clair de Lune. Je fais le train de notre binôme en montée et Kévin prend le relais dans les quelques relances. On discute un peu, trail et autre. Au beau milieu de la nuit c’est agréable de trouver un bon compagnon. Il court, à 30 ans à peine, son 6ème 100 miles. Excusez du peu. Quelques traces épaisses et fraîches au sol, tout autant que les gros paquets de déjections caractéristiques, nous font dire qu’un copain ours se promène dans ce bois ce soir. On se dit qu’on est bien content d’être deux sur cette section et je pense à Soso, quelque part derrière, en espérant que elle aussi passera ici accompagnée.

Petit stop ravito dans la descente où on se sépare avec Kévin, il se sent en cannes, je le laisse filer. Une courte descente plus tard arrive le 105km et la base vie de portage. S’en vient une section spéciale puisqu’un aller retour avec une petite boucle de 18km nous ramènera à ce même lieu vers le km 124 ou nous auront de nouveau accès à nos sacs.  Il faut le dire, ce n’est pas le moment le plus sympa du parcours. 18 km de route gravillonnée avec environ 7 km de descente quasi exclusive que je cours sans peines avec une souplesse assez étonnante avec plus de 100 bornes dans les pattes. J’y croise l’américain Jake, qui finira deuxième. Ravito express et retour par un petit sentier différent en faux plat montant avant de retrouver la piste initiale qui remonte à la base vie portage.

A l’intersection j’aperçois d’ailleurs une frontale qui fait l’aller, un petit gabarit avec un short orange que je reconnais. 

 » Soso ! – hein ? – Ben c’est moi ! »

Je croise Solene, qui a l’air de se porter à merveille et qui est environ, à 3h15 du matin, à 8 km de moi. « On se voit à l’arrivée ! ». Il faut dire qu’à présent, même si mon énergie décline avec la nuit, il n’y a plus grand doute sur le fait que l’on réussisse tous les deux. Mais après ce deuxième passage à portage, il reste quand même 35 km !

La section qui suit, celle du sentier des crêtes, toujours dans le cadre du SIA, est exclusivement forestière. On ne va pas s’en plaindre après ces 18 bornes de route. Les ascensions et descentes se succèdent pendant de longs kilomètres aux premières lueurs du jour, que j’attends impatiemment. En effet en cette fin de nuit ça devient un peu plus difficile pour moi, sans surprise. Physiquement je suis plutôt pas mal, mais l’impatience d’entrer définitivement dans le parc national de Forillon, tout proche, me gagne. Je me surprends même, seul, à faire un décompte kilométrique à voix haute à chaque fois que ma montre m’indique un nouveau km franchi. 

C’est après une dernière descente très raide qu’on atteint de nouveau la 132 et l’antépénultième ravitaillement, que je connais bien puisque c’est dans la roulotte qui y est installée pour l’occasion que j’ai dormi la nuit après mon abandon l’année dernière. C’est d’ailleurs le même équipage qui m’y attend, et que je retrouve avec plaisir. Il fait enfin jour, l’heure de définitivement enlever les gants, la tuque, la frontale et l’imper. Ça commence à sentir bon.

C’est parti pour la fin du sentier des crêtes, plutôt facile et avec la motivation qui revient. On remonte ensuite vers la tour d’observation au sommet du mont Saint-Alban, que l’on redescend sans trop de peine ensuite, même si ça commence à bien tirer dans les jambes dans ces escaliers successifs. Qu’importe, j’atteinds assez rapidement l’avant dernier arrêt au Cap Bon-Ami où je ne m’éternise pas. Lorsque la petite bénévole sympa me demande ce qui me ferait plaisir, je lui réponds instinctivement : « arriver », ce qui ne manque pas de tous nous faire sourire.

A partir de là, je ne navigue plus en terrain inconnu, puisque nous avons reconnu avec Solene les 17 derniers kilomètres du parcours l’an passé. Rien de bien méchant, juste prendre son mal, bien plus présent maintenant, en patience. On rebrousse chemin sur quelques centaines de mètres de remontée avant de traverser de part en part le parc et rejoindre…l’arrivée toute proche. Je passe devant le panneau « Grande Grave – 200m », je passe même derrière le parking où est garée la voiture…mais je dois encore faire un aller retour de 15km ! Ça met une tarte au moral, mais on le savait, la bière n’est pas encore pour tout de suite. 

On termine le SIA sur cette succession de petits sentiers faciles et passages de plages. J’y croise d’abord la copine Marie-Eve et Raphaël, deux autres concurents du 100 miles qui en terminent, avec le sourire de ceux qui ont compris que l’objectif allait être atteint. J’ai des souvenirs particuliers avec M-E, qui couvrait l’évènement pour son média « Tout.Trail » lors de mon abandon l’année d’avant et que j’avais accompagné toute l’après midi. S’y retrouver l’année suivante avec un dossard et réussir est un sacré clin d’œil au destin. Je recroise également Kévin, tout heureux d’en terminer lui aussi, et encore bien souple. A mon tour d’atteindre le « bout du monde » au phare du Cap Gaspé, pour enfin faire demi tour et me diriger vers l’arrivée, à 7km de là. 

C’est ensuite Soso que je croiserai à environ 3km du but, super bien. Des 8km que j’avais d’avance à 3h du matin j’en ai à peine 6 à midi. La suite ne sera qu’une succession de : « Good job man ! » – « allez, lâche pas tu vas le faire ! » – « wouhaou, 160k, t’es incroyable ! » – etc, etc…je suis doublé par les concurrents des différentes courses du dimanche avec lesquels on partage les derniers kilomètres de sentier. Je profite aussi de leur bienveillance.

Puis vient enfin la libération. Grande Grave est toute proche. L’arche aussi. Je profite de cette incroyable auto satisfaction du défi accompli, et surtout de celle du pied de nez à la mauvaise fortune de l’an passé. On dit toujours que la vengeance n’est pas une motivation saine. Ce sont des conneries. Quel doux plaisir que de prendre le risque d’une revanche et de réussir à la décrocher. Tous ces sentiments se mèlent dans ma tête à mon épuisement, mental comme physique. J’ai du mal à contenir quelques larmes en voyant l’arche, à 300 mètres. Le photographe super sympa, déjà croisé 2 ou 3 trois fois sur le chemin, me félicite chaudement et prend le temps de me prendre en photo. Puis vient le moment de descendre sur la plage, laisser passer les enfants qui partent à l’instant pour la « course des moussaillons », taper dans la main de JF…et profiter de l’incroyable ovation que les quelques dizaines de personnes présentes me réservent. Trop de joie pour un seul homme. 

Je marche fièrement jusqu’à l’arche, j’improvise deux « révérences » à gauche et à droite comme pour remercier l’assistance pour ses applaudissements, et je franchis la ligne d’arrivée par un petit saut ridicule après exactement 31 heures, 7 minutes, et 45 secondes d’efforts.

Après avoir reçu l’accolade de M-E et Raphaël et partagé une Pit Caribou, j’ai du mal à ne pas piquer du nez. A tel point que j’ai failli rater l’arrivée de Solene, à peine 1h20 après la mienne. Elle reçoit également l’ovation de sa vie. Elle est émue aux larmes. Je suis hyper fier d’elle. Pile le temps de faire les podiums, et pour les 100 milers de profiter, sous la présentation enflammée de Jean-Francois, d’une nouvelle séquence d’applaudissements. Je me dois ici de vous présenter cette équipe de baroudeurs.

La première place pour l’acadien Éric Girard, de Lamèque – New Brunswick !

The second place for mister Jake Jackson, from Loma Linda, California – USA !

La troisième place pour la québécoise Marie-Eve Pelland de Stoneham et pour Raphaël Marchand, de l’Anse-Saint-Jean !

La cinquième place pour Kévin Vigneault-Chiasson, de Québec ! 

Sixième place pour Jérémie Soufflet, de la Martinique – France !

Septième place pour Solène Alves de Pinho, Martinique – France !

Huitième place pour Kévin Ouellet, de Montréal et Yann Bernier, de Saint-Anaclet ! Yann, qui devient le premier homme à boucler les trois 100 miles gaspésiens sur une seule saison.

L’ultra Trail Forillon marque une vie. Pas seulement pour la beauté évidente de son parcours. Mais aussi par tout ce qui la caractérise. L’accueil. L’ambiance. La chaleur humaine de ces gens. Les moyens mis à disposition dans la réussite de notre défi. L’attitude et l’attention impeccable des bénévoles. Le travail en amont de l’équipe de Jean-Francois chez Gaspésia Évènement. 

Les mots me manquent pour témoigner à tous ces gens ma reconnaissance.

L’ultra dans ce qu’il a de plus pur et authentique. Au contact de la nature. Au contact de soi. 

On a terminé l’ouvrage.

C’était l’ultra Trail Forillon 2024.

Crédit photos : Tanya Cyr, Pierre-Mark Lavoie et Julien Gautrot