Je veux vous partager un événement sportif que vous devez faire si vous êtes tout comme moi un adepte des voyages de course. Vous l’aurez deviné, c’est l’ultra trail d’Angkor, le seul ultra de tout le Cambodge au coeur de son joyau national : Angkor Wat!
Personnellement j’ai opté pour le 128 km, puisque j’adore les longues distances, savoir se gérer pour une longue expédition.
Les deux principales difficultés de ce parcours :
– chaleur de 35 degrés en plein soleil,
– surface souvent sablonneuse.
Mais le dénivelé est très faible (environ 850 m de D+) et souvent on entre dans des villages où nous sommes chaudement encouragés par les enfants cambodgiens.
Je rejoins tous mes collègues coureurs dans le hall de l’hôtel vers 2 h 45 où nous devions prendre l’autobus nous amenant à la terrasse de l’éléphant lieu du départ de cette aventure. Comme la plupart des coureurs, j’ai très mal dormi la veille. Dans mon cas, j’ai sous estimé la poussière dans les rues du Cambodge. J’ai eu les voies respiratoires irritées, accompagnées d’écoulement nasal; mais je ne m’en faisais pas trop avec ça, car je me disais qu’avec une légère déshydratation, je ne devrais plus avoir d’écoulement; en effet ce qui se produit après 10 km. Mais je dois vous avouer que j’ai prié le ciel pour que je me sente bien pour la course.. Dans le hall, j’étais un peu somnolent mais heureusement un new-yorkais m’a crinqué le squelette : «You can do it .» Yeah!
À 4 h 10, la course est lancée avec 60 autres courageux sportifs décidés de braver l’épreuve reine de l’évènement.
À la lueur de ma frontale, nous traversions un temple en pleine nuit au rythme de ma musique entraînante dans les oreilles me faisant presque gambader de bonheur. Ce fut quand même un exploit pour respecter son plan de course conservateur.
Le balisage est respectable. Moi, qui ai une réputation de me perdre dans les courses, j’ai réussi à suivre fidèlement le tracée sans ajouts de km en bonus. Au bout d’une dizaine de km, je me rends compte que j’ai le derrière plein d’eau. Merde! C’est ma poche d’eau dans mon sac qui a une fuite. Sans attendre, je vide cette dernière et je me remets à courir en me disant, well, j’vais utiliser les bouteilles des ravitos en me promettant de remédier à ce problème à mon retour au Québec. Le soleil se lève et c’est absolument magnifique! On se trouve quelque part perdu dans la brousse cambodgienne profitant de ces derniers instants de fraîcheur.
Nous attaquons une première section très sablonneuse, comme une plage sans mer. N’étant pas habitué à ce genre de surface, je décide de marcher pour économiser l’énergie et peut-être éviter une douleur de plus. Mon rythme est relativement lent jusqu’au moment où j’arrive dans un village. C’était le matin et les enfants allaient à l’école, du moins d’après mes déductions puisqu’ils étaient tous en uniformes blancs. Plusieurs d’entre eux nous envoyaient la main en nous criant :« Hello. » Je fais de même et ça me booste d’énergie comme un café extra sucre. Mon rythme redevient convaincant sans être excessif .
Au bout de 30 km, il fallait attaquer la seule montagne du parcours; je me disais heureusement c’est au 30e et non au 90e km. So let’s do it! Il s’agit d’un escalier interminable de 500 marches rien que ça. Mais se cache tout en haut un temple absolument magnifique du moins ce qu’il en reste.
Ensuite, c’est le début de la chaleur. La stratégie que j’ai utilisée, c’est l’intervalle. Je courais jusqu’au moment où je me retrouvais avec beaucoup de sueur (environ 1-2 km), ensuite je marchais environ 15 minutes pour redevenir sec. De cette manière, je pouvais bien gérer l’hydratation et l’apport en électrolytes. Plusieurs coureurs ont adopté ce plan puisque nous n’arrêtions pas de jouer à saute moutons dans les positions.
Partout se cachaient des enfants très enthousiastes et souriants qui nous encourageaient. Je dis un à groupe : « Do you want to run with me? » Nous avons fait une course de rapidité, ensemble, sur quelques mètres.
Lentement mais sûrement, jarrive de peine et de misère avec une vive douleur aux pieds à la mi-course (64 k), à la terrasse de l’éléphant. Il est maintenant 13 h. J’ai pu me changer au complet grâce au drop bag, et engloutir un repas soutenant : une soupe brûlante…Pourquoi tant de haine? Ensuite direction salle de massage pour réparer un peu mes pieds et une bref sieste d’une heure pour attaquer avec énergie la 2e section de la course. Je n’étais pas pressé de repartir avec cette chaleur écrasante et sachant que le temps limite était de 28 h; j’avais du jeu.
À 15 h, je me remets à l’aventure avec des applaudissements, ce qui me motive d’autant plus :« Let’s go je suis capable! » Je me suis laissé un peu distraire par des éléphants domestiqués pour faire des balades aux touristes; c’est toujours impressionnant d’en voir si près, et aussi, un peu plus tard, des macaques qui quêtaient de la nourriture aux homos sapiens.
Un peu plus tard, j’ai rencontré un incident : j’ai voulu suivre la trail balisée, quand des amis me bloquaient complètement le chemin…c’était une gang de buffalos qui m’attendaient avec leurs yeux fixés sur moi. Je m’arrête, en riant devant cette absurdité en me demandant kessé je dois faire ? C’est à ce moment que je compris que même s’ils sont gros et nombreux, ce sont des créatures très pissous devant un p’tit mollusque comme moi.
Le soleil descend rapidement, je suis toujours en solitaire. J’enfile de nouveau ma frontale. Habituellement, la 2e nuit m’inquiète par le froid, mais au Cambodge c’est plutôt un soulagement. Je rejoins un Hong Kongais qui semblait en mauvais état; on marche ensemble jusqu’au ravito tout près. J’enlève mes chaussures pour me soulager un peu…Quelle erreur fatale, ma pire erreur de la course! Car au moment où je les remets, je crash.. Je crois que mes pieds ont enflé car mes shoes deviennent incroyablement tight et une douleur paralysante apparaît sur le dessus du pied. Je me mets à boiter et je peine à rejoindre mon ami Hong Kongais qui marchait devant moi.
C’est à ce moment où j’étais le plus en danger de faire un malheureux DNF…Je traverse un ième village, je dois m’arrêter pour m’asseoir par terre…En moins d’une minute, un rassemblement de Cambodgiens compatissants s’attroupe autour de moi. Personne ne parlait anglais, seulement le khmer (langue du pays) et le seul mot appris dans cette langue, c’est akoun (merci), pas très utile dans ces circonstances dramatiques. J’essayais de méditer pour diminuer la douleur (l’esprit est plus fort que la matière). Je leur montrais que j’avais mal, mais pas en danger de mort; j’avais juste besoin de quelques minutes.
Je repartis péniblement, je quittai le village. Je décide de faire un ptit bout en pied de bas dans le sable mou, dans l’obscurité et brusquement, j’ai été surpris par un serpent…Même s’il faisait la grosseur de mon ptit doigt, je restais sur mes gardes devant cette créature exotique et probablement dangereuse. Ma frontale n’émettait qu’une faible luminosité malgré des batteries de rechange; ça m’apprendra à acheter des frontales à 30$.
Je suis quelque part entre le 80 et 90e km. Je décide de prendre un acétaminophène et de me reposer un peu, assis par terre tout seul. Je vois trois marcheurs passer et me demandent si j’allais bien, sans savoir qu’ils allaient devenir plus tard mes meilleurs amis de l’événement. Je remets mes souliers et puis je semble aller beaucoup mieux; je peux maintenant remarcher sans difficulté. Ce fut un moment de résilience qui a sauvé ma course, complètement. J’avais peur que la douleur revienne, alors j’ai décidé d’éviter de courir pour les 40 k restants. J’ai opté pour une marche militaire. Je me suis dit :« Il est 22 h, j’ai en masse le temps avant l’heure limite fixée à 8 h. »
J’arrive au ravito que j’avais voulu abandonner une demi heure plus tôt, mais cette fois j’étais ultra motivé pour poursuivre. Je reste à peine 2-3 minutes le temps de prendre des nouvelles de mon ancien ami d’Hong Kong et je poursuis sur ma lancée. Je rejoins deux des marcheurs croisés plus tôt; c’était deux japonais et d’un commun accord nous décidons de finir la course ensemble, coûte que coûte. Il restait alors 30 km..
Au milieu de la nuit, nous traversions des villages endormis ou les nombreux chiens aboyaient, révélant notre présence à deux kilomètres à la ronde. On marchait péniblement dans un rang, en sable évidemment, et nous arrêtons. Je me couche à terre dans le sable et je regarde les étoiles. Les japonais se sont regardés et m’ont imité. Les trois allongés dans un rang perdu au Cambodge à 3 h, quand soudainement une moto arrive…OUCH! Il fallait se lever rapidement. On rentre dans des sentiers, en cherchant les flags du balisage; avec ma frontale c’était assez difficile. Heureusement, j’avais des guides, et un Français nous rejoint avec un problème de frontale également. Il restait 20 km.
Nous marchions comme 4 petits pingouins alignés, déterminés à remplir notre mission : la médaille du finisher.
Il était 5 h 00. Il ne fallait pas traîner, pour les 10 k restants, les plus longs 10 k de toute ma vie. À chaque virage, j’avais espoir de voir la ligne d’arrivée; mais c’était inutile. Je devais penser à autre chose : des souvenirs d’enfance, whatever, pour me distraire et oublier ce moment pénible.
Et finalement…
Finisher de l’UTA2019 avec 26 h 45 m.