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Que se passe-t-il dans la tête quand on court un 80 km?

Le réveil sonne, il est 2 h du matin, une courte nuit mais suffisante je pense. J’ai l’habitude des courtes nuits et le stress d’avant course m’aide à me lever et à engloutir rapidement un bol de céréales. Je bois de l’eau. Un dernier coup d’œil sur mon stock prêt la veille et je pars chercher un ami avec qui je cours souvent et qui va courir également le 80 km. L’année dernière, nous avions fini ensemble à la 3ème place le 50 km du QMT.

Il est maintenant 5 h, le départ est donné. Deux km de route plate, ça court vite et même très vite. Je me dis que ce n’est pas bon, je stresse un peu, j’entame la montée du massif de Charlevoix avec mon acolyte. L’allure est toujours trop rapide à mon goût. Je suis le flot malgré tout, comme si je devais absolument tenir.

Premier ravitaillement, de l’eau et des patates salées pour ma part.

Nous rattrapons un autre coureur dont je connais ses performances, nettement au-dessus des miennes et avec plus d’expérience.

Je commence à me poser des questions sur mon allure.

Est-ce que je ne vais pas trop vite?

Est-ce que je vais tenir?

Je me sens tout de même très à l’aise avec cette allure. Naturellement et sans savoir pourquoi je passe devant. Je n’écoute que moi, je pense aux encouragements de certains amis qui me jugent capable d’aller très vite, alors je continue, je croise les doigts…

Je me retourne…. plus personne derrière, je vais vraiment trop vite!

Je me sens pourtant bien, alors je continue, je prends du plaisir et même beaucoup de plaisir. J’arrive au ravitaillement 2, je garde mon régime salé. Mon acolyte n’arrive pas…

Je doute mais je suis fier aussi.

Bon, je continue, on verra au prochain ravito. En pleine possession de mes moyens, je me dis que je suis comme un enfant qui court dans les bois, je m’amuse.

Je regarde les kilomètres passer et je regarde les paysages quand je peux : c’est magnifique! Je suis aux anges, je continue, je rattrape quelques coureurs qui font le 110 km, je les admire.

On jase un peu et puis je double. Toujours en me disant « on verra au prochain ravito ».

Une longue ligne droite de trois km au soleil m’attend, je reste concentré et pense au ravito. J’écoute mes jambes qui commencent à me donner des signes de fatigue.

J’arrive au ravito 5 (km : 57) on me félicite!

« Vous êtes le premier sur le 80! »

Je discute avec les bénévoles d’une gentillesse exceptionnelle. Ça fait du bien, un sentiment de fierté m’envahit. Je me dis qu’il reste 23 km. Je remplis mes gourdes et enfile trois grill-cheese.

Je garde mes souliers bien crottés (un peu fétichiste sur les bords).

Maintenant, c’est un long sentier en plein soleil (en tout cas c’est ce que je ressens) et puis je réalise que je n’ai qu’un litre d’eau et qu’il n’y a pas d’autres ravito avant la fin…. panique à bord !

Je réfléchis :

  • j’économise ?
  • Je bois à ma soif ?

Les jambes sont de plus en plus lourdes.

Je me fixe un objectif de tenir jusqu’au 70ème km pour prendre une pause (un ravito fictif) et je remplis ma gourde dans un ruisseau…

Je regarde derrière moi de temps en temps. Ça commence à tirer derrière le genou gauche.

Alléluia ! Un ravito au 70 km ! Je ne l’avais pas anticipé celui-là, quel soulagement!

Je repars, la douleur est là et j’en ai marre mais je continue. Les derniers kilomètres sont longs, je pense à ma famille qui est venue m’accueillir à l’arrivée. Un photographe m’encourage et me dit qu’il me reste que 3 km.

J’aperçois la fin, me voilà rempli de fierté personnelle, les larmes me montent mais je préfère rester discret. Une sensation identique à mon premier marathon il y a maintenant plus de 10 ans.

J’arrive main dans la main avec mes enfants, quelle fierté d’avoir fini et de leur montrer cet aboutissement.

Le trail devient pour moi une magnifique aventure de vie et de rencontre.