Préface
On est le 27 juin. Alors que je suis bien assise à ma table en train de siroter mon café, je reçois une notification. Oh, un courriel! Son titre: Pandora 24 annulée.
KE-OUA ? Je m’étouffe avec ma gorgée.
Pandora, c’était l’occasion idéale de faire une très longue sortie et d’accumuler une belle flotte de kilomètres dans les jambes en prévision de mon prochain défi : le 80 km de la Chute du diable. Parce que mine de rien, ça arrive tout de même assez rapidement. Et on a toujours besoin d’un solide entraînement afin de se mettre en confiance en vue d’une si grosse course, question de voir si la tête et les jambes sont en mesure de suivre.
Je soupire et tapote un peu des doigts sur mon clavier. En guise de soupape, je fais défiler mon fil d’actualité Facebook. Après quelques minutes de vide inter-pixellaire, mes yeux bifurquent vers l’onglet “Évènement”, sur le côté de la page.
Eurékâ.
«J’vais l’organiser mon long entraînement! »
Je me trouve une montagne, une durée, une journée et fais ensuite fuser les invitations à travers les interwebs Facebookiens. Ainsi nait le Fat-Ass de la Station. Le but ? Tourner en rond pendant 12 heures afin d’enchaîner le parcours de la Boucle de la Station autant de fois que possible.
Stoneham, QC • 20 juillet, 7 h55
C’est le départ de la première boucle. Il n’est pas encore 8 h que le soleil nous rappelle déjà son aride présence. Ce sera caniculaire. En même temps, rien de mieux qu’une température ingrate pour tester le mental. Ce matin, on est seulement deux à partir : Luc, mon pacer pour la Chute, et moi-même.
La première boucle se fait sans accroc. C’est fluide, limite facile; c’est chaud, certes, mais pas trop dérangeant pour le moment.
Après un petit arrêt à nos voitures pour nous ravitailler, nous repartons.
Vers la fin de notre deuxième boucle, nous croisons Chantal et Fred, deux bons coureurs avec qui j’ai eu la chance de m’entraîner à quelques reprises lorsque je travaillais à Mont-Saint-Hilaire. Ils m’accompagneront pour de solides blocs de respectivement 4 h et 6 h aujourd’hui.
On parle, on s’esclaffe, on s’essouffle, on focus, on s’insurge, on court, et mine de rien, rapidement, on termine la quatrième boucle. Un bon 38 km avec 2000 m de D+. Il est autour de 15 h. Ça veut dire qu’il me reste 5 heures pour parcourir le petit chiffre magique que j’avais en tête : 6 boucles. No stress.
Je me sens encore robuste. La tête va bien, le corps aussi. Fred repart avec moi pour une quarantaine de minutes. On se laisse sur un fist-bump et un sympathique : « À la r’voyure.» Je continue ensuite ma route seule.
Après quelques pas, je le remarque. Le silence. Il est tangible, imposant. On dirait qu’il m’accompagne, qu’il court avec moi, qu’il m’enveloppe. Plus de voix, plus de rires. Que mon souffle furtif, mes pas feutrés, le subtil bruit des branches d’arbres qui craquent et qui s’entrecroisent dans une guerre de territoire sans fin.
Fin de la cinquième boucle. Je m’écrase sur le banc d’une table à pique-nique défraîchie. Luc est toujours là, fidèle au poste. Il est resté après avoir terminé ses quatre boucles. Je m’empiffre de melon d’eau, de lait de soya, de fromage en grain.
Le corps va toujours bien. La tête commence toutefois à être un brin embêtée de tourner en rond depuis déjà trop longtemps. Mais je ne peux pas m’arrêter là. C’est exactement pour ce dernier tour que toute la journée a été mise en place. Le but était justement celui-là : courir jusqu’à l’atteinte du moment où ça ne me tenterait absolument pas de repartir, afin de défier la petite voix interne qui souhaite me garder dans l’oisiveté. J’y suis enfin, à cet état d’exaspération.
« Allez, c’est ta dernière boucle.» C’est Luc qui me fouette à repartir. « Dans 1 h 45 maximum, tu vas être revenue ici. »
À peine dix minutes plus tard, je sens que ça ne sera pas ma meilleure. Oh bordel ! Je m’assieds sur plusieurs roches qui semblent invitantes pour mes p’tites jambes en quête de repos. J’ai le souffle court et mon coeur bat beaucoup trop vite pour les efforts pourtant anodins auxquels il est soumis. Je marche la majorité du temps. Je cours les descentes en tâchant de ne pas me prendre les pieds dans chaque micro-racine qui cherche à me faire jambette. Je vois littéralement ma jauge d’énergie qui s’abaisse à chaque pas que je fais. Je m’étiole. Coup de chaleur?
Pas impossible.
Je termine finalement ma sixième boucle en 1 h 45. Pile. Je m’écrase, heureuse, vidée, fière, accomplie.
Ça aura été une sacrée journée. Une sacrée belle journée !
Six fois la boucle de la station à Stoneham : un total de 57 km, 3000 m D+. Une idée un peu saugrenue, un peu redondante, mais ô combien gratifiante. Le corps et la tête suivent, j’en suis maintenant certaine.
Je crois que je suis prête pour mon 80.
Photos: Courtoisie