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Gaspésia 2019 – 160 km

Il est 4 h. J’ai dormi  2 h., je pense. Je suis habillé. Je suis prêt. Je suis assis pas trop confortablement sur ma chaise de bois, mais ça me dérange pas. Je bois ma tisane.

J’ai peur de sortir de ma chambre. Parce que dehors, ça va être vrai. La vie est une suite de projets et l’accomplissement peut faire peur à cause du vide qui se cache derrière chacun d’eux. Ce coup-ci, je préfèrerais vivre avec les nuages encore un moment.

Éric et Carol-Ann sont encore à moitié endormis dans leur lit.

Je trouve ça pas pire comme idée.

Mathieu est dans la chambre d’à côté. Par chance, peut-être qu’il pense comme moi et qu’on va s’entendre pour dire que « ça dont pas d’allure ces affaires-là ». Qu’on va laisser faire pis qu’on va aller mener le trouble en buvant de la bière chez Pit Caribou à la place.

Bon plan.

Je pars avec ça.

J’arrive dans sa chambre.

Il est prêt.

Je ferme ma yeule.

Je lui fais accroire que je suis pas mal plus prêt que lui.

—-

La marée est basse… disons plus basse que l’année dernière. Le départ est dans 10 secondes et je sais maintenant que dans la prochaine minute, j’aurai les pieds mouillés.

Il y en a qui disent qu’il faut vivre d’inconfort aujourd’hui, pour savourer les plus grandes réussites de demain. Drôle de journée pour ça.

5- J’espère que les fous de Bassan sur la plage sont moins crinkés que la veille, sinon on fera pas long…

4- Faudrait que je pisse.

3- C’est drôle, parce que je suis pas mal sûr que j’ai mal à quelque part présentement.

2- Man… J’ai payé pour ça…

1- Fuck.

Zéro – nom masculin. Point de départ d’une mesure ou d’une évaluation.

C’est vrai.

Je suis bon là-dedans.

Pis, j’aime ça.

Show Time.

Gaspésia, faut qu’on se parle. T’es là avec tes grands airs de madame. Je le sais que t’es indomptable. Mais, quand même…

Permets- moi de te faire de l’attitude.

Permets- moi de te faire de l’attitude…

—-

Il y a quelques choses de grand à courir ces longues distances. Ça nous emmène dans une dimension complètement différente de ce que l’on vit tous les jours. Est-ce que c’est long ? Oui. Est-ce que ça passe vite ? Oui.

Je pars fort et je partage des kilomètres avec des coureurs beaucoup plus accomplis que moi. Je ne veux jamais avoir à me soucier du cut-off. Je sais que celui-ci sera la source de la plupart des abandons et je ne veux pas qu’il entre dans ma tête.

Le temps n’est plus une unité, il devient un symbole de distance et il est de mon côté.

Je ne pense jamais à l’échec.

Carol-Ann fait toute la différence aux ravitos. Elle est toujours là, elle est précise, efficace et nous passe les encouragements des amis qui suivent à distance. Ça fait la différence. C’est aussi très réconfortant de savoir que quelqu’un sera là pour t’accueillir à chaque étape. Pour la première fois dans notre relation d’amitié, JE suis la princesse.

J’hais pas ça…

Pour cela, je lui accorderai, qu’elle soit d’accord ou non, au-delà de la moitié de cette réussite. Dans cette équation de kilomètres et de détermination, elle sera ma constante, mon équilibre. Ma tête est entre bonnes mains. Je ne fournis que l’effort.

À mesure que la course avance, la surface devient de plus en plus difficile et les segments de courses sont de plus en plus courts. Dans les 10 derniers kilomètres, je ne suis pas trop cohérent et je doute des directions qu’on me propose vers Percé.

Je pars alors en sens inverse en quête de vérité. Sur le moment, ça sonne comme la bonne chose à faire… Je reviens donc sur mes pas pendant quelques km et je tombe face à face avec Mathieu qui finit par me faire entendre raison.

Nous finirons ensemble.

Tsé, quand la connerie fait bien les choses…

C’est vraiment bien de finir une course avec quelqu’un qu’on apprécie et j’oublie vite l’anxiété des dernières minutes. Math me tire jusqu’à l’arrivée.

Les lumières ferment.

Tombée du rideau.

Tout le monde capote.

Permettez-moi de vous faire de l’attitude…

—-

La vue de l’arche qui marque l’arrivée au loin est une poésie en soi dont je ne comprendrai jamais toutes les subtilités.

Je savourerai donc cette victoire dans une ignorance apaisante. Je trouve que ça me va bien.

J’aime ça.