Départ du QMT 70 : 5 h 15 du matin.
Journée déjà humide qui promet de mettre à l’épreuve ma résistance légendaire, surtout celle de ma basse pression, à la chaleur.
0 à 26 km : bien qu’ayant un important D+, plus de 900 m sur les 10 premiers km, cette section a très bien été. Ma vitesse, bien que conservatrice, me laissait présager une performance bien au-delà de mes prédictions.
26-40 km, entre le 2e et 3e ravito : section de parcours plus sauvage. Impossible de garder le rythme des km précédents. Ceux-ci passent tranquillement, trop. Je me retrouve seule… Le temps est long, très long. Je me sens complètement isolée dans une jungle profonde, grise et sombre. Le 3e ravito semble toujours plus loin. Je ne trouve plus le plaisir dans ma tête et pourtant c’est pour ça que je suis ici.Je commence à me dire que je pourrais toujours me rendre jusqu’au 50e km, 4e ravito, et que je verrais rendue là.
En arrivant au ravito, je sens qu’on atteint un seuil critique pour les coureurs qui sont dans toutes sortes d’états. Je m’asseois pour réfléchir à la suite de ma journée. Plusieurs minutes passent, et alors que je retourne tout ça dans ma tête, Manon, une coureuse que j’ai rencontrée au début de la course et avec qui j’ai fait une bonne partie de la montée de 10 km, arrive à son tour au ravito. Elle me demande ce que je fais. Je lui réponds que je me demande si je me rends au ravito suivant. Elle me dit :« Non, tu repars avec moi.» Je ne réfléchis pas, je remplis mes réserves et me dis qu’au pire des cas, je l’aurai aidée à faire un autre bout du parcours.
Elle a la ferme intention de se rendre à l’arrivée avec moi. Ça deviendra donc mon focus jusqu’au 60e km, où, le passage sur un pont suspendu me donne un regain de moral encore plus fort. J’envisage donc, avec plus de conviction, l’idée de l’accompagner jusqu’au finish. On traverse un ruisseau. L’eau fraîche (très froide) m’attire. J’ai très chaud, ma température corporelle est haute. Je décide de m’asperger de son eau… Choc thermique.
Je m’écrase sur le sol, je suis étourdie et j’ai une forte nausée. Manon tente de me venir en aide. Je dois rester immobilisée de longues minutes pour simplement pouvoir me relever et avancer à nouveau. Je lui dis de repartir seule, mais elle s’inquiète de me laisser seule. J’avance difficilement, très difficilement, dans la seule optique d’atteindre le prochain ravito pour y rester. Ce sera fini pour moi. Plus rien à faire. Il est à 3.6 km sur un sentier très escarpé, rempli de grosses roches et de montées abruptes, que j’adore habituellement, mais me paraissent pénibles et interminables dans mon état. Je devrai souvent m’immobiliser pour reprendre mes esprits et calmer ma nausée, avant de finalement l’atteindre. Je suis soulagée. Enfin, c’est fini!
C’est à ce moment que Steeve apparaît devant moi, avec la ferme intention de faire en sorte que j’aille mieux, et surtout que je reparte. Sur le coup, je ne le reconnais même pas tellement je suis ailleurs dans ma tête. Je me dis qu’il ne comprend pas à quel point je ne vais pas bien, que je ne pourrai jamais me rendre, que ce serait peut-être même dangereux et interminable. Il ne laisse pas tomber. Il me parle, vérifie mes besoins, nourriture, eau, etc. Je n’y crois pas. Peu importe ce qu’il dit, je reste sur ma position. Je continue de l’écouter, de parler avec lui, de prendre ce qu’il me donne, d’assimiler ce qu’il me suggère. Il me parle de ses propres expériences, rationnalise la suite des choses. Aucune pensée magique, aucune pitié, il n’embarque pas dans mon état d’esprit. Il reste sur sa position.
Je vais repartir… Le temps passe, beaucoup de temps, je n’ai pas l’impression que je vais bouger de là. Il se réinstalle devant moi. Il me regarde et me suggère de repartir jusqu’à 3 km plus loin, qu’Alex, un médic-physio, va m’accompagner. De l’essayer et que là je verrai. Une voiture peut aussi venir me chercher là-bas. J’y pense, 3 km… même ça, ça m’apparaît énorme, sur ce sentier difficile.
Soudainement, sans comprendre ce qui se passe, un poids venait de me quitter. Steeve me dit :«Il vient de se passer de quoi là? Tu n’as pas le même regard que tantôt.» Il ne me laisse pas réfléchir. Il me dit de me lever et dit à Alex que je suis prête. Il m’installe ma frontale, puisque la noirceur va finir par nous rejoindre après tout ce temps écoulé.
Je repars avec mon verre d’eau et une poignée de pretzel, sans réfléchir, mais avec l’esprit plus léger et un petit regain d’énergie. Le positif commence à se frayer un chemin jusqu’à ma tête. La nausée y est encore, mais les étourdissements semblent dissipés. Je repars, on discute d’une panoplie de choses, Alex et moi; ça allège mon esprit.
On arrive après les fameux 3 km. On est dans un quartier résidentiel. Je me mets à courir sans réfléchir, en me surprenant à chercher à reprendre le sentier qui nous mènera jusqu’à la fin du parcours. Rendue là, je ne peux même plus penser à abandonner. En fait, avec tous ces gens qui se sont mobilisés pour moi à ce moment précis, et qui ont décidé de faire en sorte que je me rende jusque-là, je ne peux même pas envisager autre chose. Alex informe l’organisation de mon évolution tout au long des 13 derniers km qui restent.
Je franchis finalement la ligne d’arrivée sans trop comprendre que j’ai finalement complété cette course que ma tête avait abandonnée deux fois plus tôt dans cette longue journée. Plusieurs personnes s’y trouvent, mes parents, Carole et Claude, ma sœur Audrey, Anne, Catherine et Guillaume, mon précieux physio Samuel. D’autres gens m’aperçoivent et viennent me saluer, me demander comment ça a été. Je suis encore déboussolée, je reviens tellement de loin que je peine à réaliser tout ce qui se passe.
À ce moment, personne ne sait tout ce que j’ai traversé pour arriver là, dans un temps beaucoup trop long avec mes longs arrêts, et mon rythme très ralenti pendant plusieurs km, mais qui n’ont plus aucune importance maintenant. Cette journée, c’est beaucoup plus qu’un chrono, qui a été beaucoup plus long que ce dont je suis capable, et pour lequel je m’étais préparée et qui était «prévu». Mais les prévisions en trail, c’est un peu comme celles de Météo média : c’est rendu au moment de le vivre qu’on voit ce qui se passe réellement! D’ailleurs, je n’ai même pas été voir les résultats et je ne le ferai pas.
On m’apprend que j’ai tout de même franchi la ligne des 74-76 ou 77 km. Je ne sais plus, personne n’a le même chiffre, et rendue là, ce n’est pas ça qui importe, en dessous du cut-off… Je me mérite donc tout de même le statut de finisher. Je m’en fou complètement de ce statut. Cette journée m’a apporté beaucoup plus que ça. Avec ou sans ça, j’en sors grandie, plus forte et transformée.
Malgré que ma course m’ait fait vivre des montagnes russes mentales et que je n’avais envisagé rien de ce qui m’attendait pendant cette longue journée, ça reste une meilleure réussite pour moi que si je l’avais terminée sans traverser tout ça et/ou en 4-5 heures de moins.
Quand j’écris ces mots, ça me rend fière, bien, heureuse et émotive. C’est une de mes meilleures expériences de course, même s’il s’agit d’une bien moins bonne performance sur le plan purement sportif. Revenir de si loin m’a portée complètement ailleurs et m’a amené un bagage riche d’apprentissages qui m’aura fait gagner des pas de géants pour l’avenir et les prochains défis ambitieux qui m’attendent. Je sais maintenant que même si tout me semble fini et impossible, on peut creuser, longtemps, et trouver ce morceau de diamant resté caché à l’abri, et prêt à briller pour ce moment où j’en ai le plus besoin, ce vrai moment crucial, pas celui où je l’aurais gaspillé. On piétine la fierté, on met l’orgueil de côté et on avance.
Cette réussite et cette expérience incroyables, je les dois à ces gens qui ont fait une différence énorme dans ma journée. D’abord, Manon qui m’a fait repartir au 40e km, qui m’aura accompagnée, divertie et portée jusqu’au dernier ravito, où je l’ai laissée repartir, lui ayant déjà fait perdre suffisamment de temps et puisqu’elle me savait maintenant en sécurité. Ensuite, Alex, qui malgré toute sa journée de travail bénévole, a complété les 13 derniers km avec moi, avec un positivisme et une patience en or, sans me laisser partir dans mes pensées et me garder focus sur la seule option possible, franchir cette ligne d’arrivée.
Puis, Steeve, celui qui, quand il m’a vue arriver à ce dernier ravito mal en point, a entrepris de me ramener sur l’objectif de cette journée. Même si je m’obstinais contre lui, même si je ne semblais pas y croire, il a persisté, jusqu’à y parvenir. Je pense que je ne pourrais suffisamment te remercier d’avoir focuser sur moi à ce moment précis et d’avoir persisté, de m’avoir aidée à grandir. Tu voulais que je reparte et n’acceptais pas de me sortir de cette course. Tu as changé ma journée et m’a amenée à faire un pas de géant dans ma vie et mon expérience. Tu en avais bien suffisamment sur les bras avec tout cette fin de semaine de course, pour ne pas avoir à donner autant de temps et d’énergie à une seule coureuse, que tu connais, oui, mais pas tant que ça, qui ne voulait plus continuer. Ça aurait été facile et sûrement plus simple pour toi et ton équipe qui attendait à ce ravito de dire : elle ne veut plus, alors on la ramène et c’est tout.
Aujourd’hui, j’ai croisé plusieurs de ceux qui étaient à ce ravito la veille, mais que je n’avais pas nécessairement remarqués dans ma torpeur et qui prenaient de mes nouvelles avec réel intérêt. Je n’étais qu’une coureuse parmi tous les autres. Mais malgré tout ça, tous ces gens y croyaient. Personne ne croyait que je ne m’étais pas rendue, même sans savoir, ou que je n’allais pas m’y rendre quand ils m’ont vue à ce ravito. La seule personne qui n’y croyait pas en fait… c’était moi. Comme quoi on est souvent notre plus grand obstacle.
Cette attitude et ce souci que l’organisation donne aux coureurs, c’est ce qui fait de leur équipe des gens de cœur et une équipe humaine, qui a à cœur la réussite de chacun des coureurs qui leur fait l’honneur de choisir leur événement. Ils contribuent à ajouter une valeur importante à notre expérience. Je peux sans aucun doute dire que cette course, qui se voulait pour moi initialement qu’une simple course, aura été une expérience humaine marquante dans ma vie et mon parcours. Elle me permettra de réaliser beaucoup d’autres choses dans l’avenir. Ça aurait été beaucoup plus facile d’abandonner que de faire preuve de ténacité.
Crédit photo : Québec Méga Trail