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Il était une fois en Cappadoce

Ce récit commence par un rêve. Le rêve de compléter un ultra-trail de plus de 100 kilomètres avant mon trentième anniversaire. Après un échec au Grand Raid des Pyrénées (120km), je me dirige vers ma deuxième tentative en Turquie en participant au Salomon Cappadocia Ultra-Trail avec ces 119 km.

Piau Engaly, Pyrénées, France

L’arrivée en Turquie

Deux  mois après cet abandon, c’est motivé à bloc et avec une envie solide d’en découdre, que je décolle vers la Turquie et plus précisément dans la région de la Cappadoce, située au centre du pays (environ à 600 km d’Istanbul). En Cappadoce, on est tout de suite saisi par la particularité du terrain. Les paysages semblent arides et sans fin. Il fait froid la nuit et chaud en journée à cette période de l’année. Les montagnes sont sculptées et trouées par des caves où certains habitants semblent y vivre. La simplicité de vie semble être d’un autre temps. Cette simplicité que ma vie de citadin m’a fait oublier. On se rend vite compte qu’il ne doit pas exister beaucoup de places comme celle-ci dans le monde.

Durant ma reconnaissance du parcours, je ne peux que laisser mon esprit vagabonder en contemplant cette nature si particulière. Je me prends pour Aladdin (sans son tapis magique) au village d’Agrabah. Les instants sont magiques et je me sens privilégié d’être ici.

Red Rose Valley, Cappadoce, Turquie

Le départ de la course

Samedi 19 octobre 2019, il est 5 h. C’est le jour J. Il est temps de quitter son lit après une nuit agitée. Ce moment est toujours difficile. Mais pas ce jour-là, je suis très content à l’idée de courir sur ces sentiers magiques et de partager ce moment avec d’autres coureurs venus du monde entier. J’avale mon déjeuner et je me lance dans ma routine d’avant course.

6 h 50. Dix min avant le départ, je rejoins un ami turc dans le sas de départ. La journée s’annonce chaude, mais à cette heure de la journée, il fait encore froid. Je me place parmi les 360 participants. Autour de moi, il y a beaucoup d’excitation. Beaucoup de selfies et de Go Pro allumés. Je me rends compte que le monde du trail running s’est beaucoup numérisé ces dernières années.

7 h 00. C’est parti pour 119 km et 3700 m de dénivelé positif. Comme d’habitude sur les courses à l’extérieur du Québec, çà part comme des fusées. Je pense que certains ont oublié qu’ils étaient inscrits à une course de 119 bornes et non pas pour un 10 km sur route.

Pour ma part, je pars sur un rythme très conservateur. Je me retrouve donc rapidement en queue de peloton. Ce n’est pas grave! De toute façon, je ne suis jamais confortable sur les premiers kilomètres, car les jambes ne sont pas encore totalement opérationnelles et j’essaie de me concentrer sur mes ressentis, afin de trouver le bon rythme et les bons réflexes. Malgré tout, les premiers kilomètres s’enchaînent assez vite et les jambes montent en puissance.

La beauté des lieux aide à faire passer le temps rapidement sur ces premiers kilomètres. Je ne peux pas m’empêcher de m’arrêter quelques secondes pour prendre des photos et m’imprégner de l’énergie des paysages.

Gorëme, Cappacode, Turquie

Les 30 premiers kilomètres passent vite. Je me sens pousser des ailes et je commence à doubler des concurrents. Je suis à l’aise dans les relances et les montées. Je suis assez surpris par mon allure. J’en profite donc, il ne fait pas encore trop chaud. Aux ravitos, j’essaie de boire et de manger plus salé que d’habitude, afin de prévenir la température qui montent de plus en plus vite.

Cappadoce, Turquie

Milieu de journée

Ça fait maintenant plus de six heures que je suis parti. Et il fait de plus en plus chaud. Pas un nuage à l’horizon. Le soleil est haut dans le ciel bleu et je commence à vraiment souffrir de la chaleur. Cette section est difficile pour moi. Je bouillonne de l’intérieur. J’essaie de rester à l’écoute de mes ressentis et de ralentir mon rythme. Dans ma tête, je développe une obsession pour la crème glacée. Je m’imagine allongé dans une rivière fraîche accompagnée d’une bonne crème glacée à la pistache. Je reviens vite à la réalité en réalisant qu’il n’y a pas de marchand de glace autour de toi. Juste du sable.

Cappadoce, Turquie

Au ravito du 48e kilomètre à Cavusin, je plonge ma tête dans une bassine d’eau pendant plusieurs minutes. Je suis en surchauffe et je perds beaucoup d’eau en transpirant. Qu’est-ce je fais ici? À ce moment-là, je doute. Je bois de l’eau minérale et deux bonnes soupes bien salées, puis je repars illico vers le prochain point de contrôle en passant par le fameux Red Rose Valley. Ce passage est tellement beau que j’oublie que j’ai chaud. Par chance, quelques nuages viennent nous donner du repris en cachant le soleil pour quelques heures.

Red Rose Valley, Cappadoce, Turquie

Arrivée à la mi-course

Après plus de 9 h de course et 63 km, j’arrive enfin à la base de vie de Ürgüp. Ce point de passage marque aussi la mi-course. Enfin, je vais pouvoir manger quelque chose de solide, me changer et préparer mon équipement pour la nuit. J’avale un plat de riz, une soupe et des cookies au beurre de cacahuètes.

Je prends aussi le temps de lire les messages de mes amis. Ce moment me réconforte. Je suis content de franchir ce point. J’ai respecté parfaitement mon plan-match et je sais que la deuxième partie est plus à mon avantage, car elle va se faire principalement de nuit avec des températures plus fraîches. C’est aussi le moment de faire un point sur ma forme. À part quelques échauffements aux pieds et un peu fatigué par la chaleur, mes jambes sont encore bien présentes et la motivation intacte.

Après 30 minutes de pause, je décide de repartir de la base de vie pour attaquer la deuxième partie. Dans ma tête, une deuxième course commence.  Le coucher de soleil est sublime et les lumières sont magnifiques. On dirait que les rayons du soleil transpercent le ciel afin de tuer cette chaude journée qui s’achève.

Cappadoce, Turquie

Début de la nuit

La deuxième partie est plus technique et une grande partie du dénivelé sera fait dans cette seconde section. Trois bosses suivies par trois grosses montées réparties sur 60 kilomètres environ. Après avoir longé un cours d’eau improvisé et franchi les trois bosses, j’arrive au ravitaillement de Dasma au kilomètre 77.

Il fait complètement noir maintenant. Je suis toujours dans un bon rythme. Je peux encore courir dans les faux plats. Le seul hic est une petite douleur sous le pied qui commence à apparaître. Rien de bien gênant pour le moment. À ce ravito, plusieurs coureurs abandonneront. On sent que l’approche des trois grosses montées fait peur à plus d’un. Autour de moi, les regards sont fatigués et quelques fois livides. Il y règne une atmosphère lourde et déchirante ici. Pour ne pas me laisser le temps de douter, je ne m’attarde pas ici. Je remplis vite mes flasques et attrape des gâteaux au beurre de cacahuètes et je relance. Je ne suis pas venu ici pour abandonner. Pas cette fois!

En quittant ce ravito avec les mains pleines de gâteaux, je fais la rencontre d’un chien qui me suivra et guidera jusqu’à l’arrivée. On s’enfonce alors tous les deux dans la noirceur de la nuit en s’imaginant la première montagne qui se dresse devant nous. On aperçoit au loin des lumières de frontal entrain de la gravir. La nuit est toujours un instant magique, car on plonge dans une intense introspection où ton imagination prend le dessus par moment.

Les 3 montées

La première montée se passe sans encombre. Les mains sur les cuisses et le corps légèrement plié, je m’efforce de garder le rythme comme Maxime Cazajous dans la montée du col de Taïbit au Grand Raid de la Réunion. On double des coureurs qui s’étonnent de mon allure et du chien qui m’accompagne.

Contrairement à la montée, la descente est terrible pour mes jambes. J’ai impression d’être dans des sables mouvants. Par moment, le sable m’arrive jusqu’aux mollets et une douleur aiguë s’installe sous mon pied à chaque pas. La sensation est horrible. Je sens que j’entre dans une nouvelle phase de cette course. Je sors de cette descente assez épuisé.

Au ravito du kilomètre 88, fatigué, j’avale une soupe boostée au boulgour et retire tout le sable accumulé dans mes chaussures pour la ième fois. J’aurais dû prendre ces fout*** guêtres. Je repars pour la deuxième grosse montée. Mon chien Pacer m’attend déjà à la sortie du ravito.

La deuxième montée suit le même schéma que la première. Mais en descente, la douleur sous le pied s’intensifie et j’ai une envie de vomir. Je me concentre sur la douleur. J’accepte la douleur, mais pas la souffrance. Je parviens tant bien que mal à rejoindre le ravitaillement du 100e kilomètre, où je vomis direct.

Après ce reset forcé, je repars en traînant des pattes en ayant bu un thé chaud et un peu de soupe. La troisième montée sera moins joyeuse. Je vous épargne les détails. En vrai, j’ai la sensation d’être complètement perdu et confus dans ma tête. Je me contente de suivre les fanions et le chien mécaniquement. Je n’arrive plus à manger, ni à boire et ni à réfléchir.

Après avoir franchi cette ultime montée, je commence à apercevoir le village d’arrivée à 5 kilomètres. Enfin, le retour de la lumière. Et comme l’humain peut être surprenant, j’ai un regain d’énergie venu de nulle part avec un ventre à sec. Je me remets à courir une allure de fou (6″15min/km) après plus de 115 km.

L’arrivée

Vers 3  h00, le village est complément vide. Seuls quelques courageux bénévoles sont là pour m’accueillir sur la ligne d’arrivée, que je franchis avec le chien et mon sourire des grands jours. Je suis soulagé et un sentiment d’émotion m’envahit. Je l’ai fait!

Il m’aura fallu 19 heures et 52 minutes. Au moment où j’écris ces lignes, je ne réalise pas encore que je viens de réaliser mon rêve de courir un ultra-trail de plus de 100 kilomètres avant mes 30 ans. Le temps fera son œuvre comme toujours.

Outre le fait d’avoir réalisé mon rêve, je me rends compte que certains échecs dans nos vies nous poussent à nous remettre en question, afin de développer une meilleure version de nous-mêmes. Et ça, c’est vraiment énorme!

Durée Distance Dénivelé
km m
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