Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas…[Lao-Tseu]
Quelques mots pour vous parler de notre «balade familiale» lors de l’Ultra Trail de l’île de Madère, de ses 115 km et 7200 m de dénivelés positifs.
Pour ceux qui, comme moi, ne connaissent pas Madère avant d’y mettre les pieds, c’est une petite île au milieu de l’Atlantique qui fait partie du Portugal, bien que plus proche des côtes marocaines, à 600 km et 900km des côtes portugaises, pour être plus précis.
Une île magnifique qui fait fortement penser à la Réunion avec ses reliefs tourmentés d’origine volcanique. C’est simple, sur cette île, c’est comme si le plat n’existait pas. Le paysage est taillé à la hache. Soit vous montez fortement ,soit vous descendez en chute libre. Pas de demie-mesure. Si vous louez une voiture de petite cylindrée, n’oubliez pas les boules Quies, le moteur va souvent hurler. Pas besoin de boîte automatique. Souvent une seule vitesse suffit: la première.
Comme nous ne pouvions pas rester longtemps sur l’île, je serai relativement incapable de vous donner toutes les activités potentielles pour un voyageur égaré, mis à part la randonnée dans les superbes sentiers et les nombreuses boutiques qui vendent de véritables souvenirs fabriqués sur place … en chine. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est très vert, donc, « très louche », comme on dit dans le sud-est de la France.
Bref j’ai l’impression qu’il pleut souvent mais ça ne doit pas beaucoup ennuyer les très nombreux retraités anglais qui semblent constituer la très grande majorité des touristes. Pour caricaturer je dirai que Madère c’est un Ibiza pour les Anglais de 77 à 125 ans. C’est paisible. Très paisible. Paisible, sauf si vous atterrissez par fort vent latéral comme c’était notre cas à l’arrivée. Dans ce cas-là vous aurez la chance de jouer aux montagnes russes à bord d’un Airbus qui bat véritablement des ailes lors de l’approche de la piste. C’est toujours impressionnant. Surtout lors de la première tentative d’atterrissage après un « Touch & Go » quand le pilote se rend compte rapidement que s’il ne remet pas les gaz, ça risque potentiellement d’être son dernier vol.Comme d’habitude je n’ai pas écouté les consignes de sécurité. C’est bien sous le siège les gilets de sauvetage?
Voilà c’était mon intro…
«Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles» [Oscar Wilde]
Comme vous l’avez compris notre principal intérêt était donc concentré sur l’Ultra Trail de Madere (MIUT) comptant pour une manche de l’ULTRA-TRAIL® WORLD TOUR. Cet Ultra est souvent décrit comme étant le « petit frère » de la Diagonale des Fous à la Réunion. Maintenant que j’ai fait les deux je peux dire que c’est un trail excessivement compliqué à gérer. Bien sûr, il est plus court que la Diag mais il y a nettement moins de « temps morts ». En tout cas, c’est ce que j’ai ressenti à mon humble niveau.
Pour moi tout ultra trail est de toute façon une véritable aventure. On sait comment ça commence mais jamais comment ça va finir. Le moindre grain de sable peut anéantir des mois de préparation. Rien de grave. Un ultra c’est comme une vie en condensé. On se prépare au mieux, mais il arrive qu’on soit balloté par des évènements qu’on ne maîtrise pas toujours. On essaye de tout prévoir, de se rassurer mais dans la réalité on est dans le doute permanent. C’est à la fois une gestion physique et mentale de l’épreuve.
On me demande souvent combien de temps je compte mettre pour finir un ultra mais je n’en sais jamais rien. Vraiment! Je ne fais même pas une estimation grossière. C’est pour dire mon manque de maîtrise de mon allure potentielle suivant la topographie du terrain. Je n’ai simplement pas assez de recul et de pratique de ce sport. Pas assez de données à analyser pour obtenir des estimations « crédibles ». Donner des chiffres pour des chiffres ça n’est pas trop mon truc. Mon but est de « survivre » et donc de finir avant les barrières horaires. Tout ce que je sais, c’est que, manifestement, je ne m’étais pas assez préparé psychologiquement pour affronter une telle difficulté. Sur l’île de Madère on a tous pris une véritable claque et le nombre record d’abandons (près de 48%) est là pour en attester.
« Better to live one day as a tiger than a thousand years as a sheep »[Tipu Sahib 1750–99, sultan of Mysore in India]
La première difficulté de cet Ultra c’est tout d’abord son exceptionnel ratio km/dénivelé. Le profil de la course fait peur sur le papier. Si vous n’êtes pas grimpeur, ne vous inscrivez pas. Tout simplement.
L’entraînement pour affronter le MIUT c’est de bouffer du D+. Encore et toujours. L’autre point-clef, ce sont les conditions climatiques qui se sont avérées très difficiles cette année. On n’est clairement pas dans les Antilles. La nuit dans les cols, au-delà des 1500 mètres d’altitude, le vent souffle comme lors de tempêtes et le froid est saisissant. Cassant. Le froid humide vous bouffe une énergie incroyable. Aussi bien au niveau physique que mental.
Je ne suis pas adepte des soupes chaudes mais j’ai fait une exception à la quasi-totalité des ravitos. Si vous rajoutez la pluie glaçante, la boue, des montées interminables sur des marches irrégulières et des descentes ultra techniques, très cassantes, vous avez des conditions apocalyptiques.
J’avais souvent entendu parler d’hypothermie, maintenant je sais à quoi ça ressemble. Avec Jack, on est arrivé dans des ravitos où de nombreuses personnes abandonnaient. Malgré de nombreuses couvertures données par les équipes de secours, nombreux étaient ceux qui étaient pris de tremblements incontrôlables, même collés aux poêles à gaz. C’est assez terrifiant à voir. C’est pour dire, quand on sortait de certains ravitos, on croisait parfois des coureurs qui revenaient sur leurs pas pour abandonner. Quand, même en courant, vous n’arrivez plus à vous réchauffer, c’est que vous êtes proches d’une limite dangereuse…
“La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute. » [Confucius]
Avec Jack, on est parti sur un rythme élevé. Comme tout le monde je dirais. Des fous furieux. Un rythme surréaliste, si on considère les pourcentages des premières côtes qui frôlaient les 45% (d’après les données du logiciel Strava).
Quand on commence à avoir des douleurs dans les mollets après 2 km de course, on se pose sérieusement des questions sur la suite des évènements. La première descente de nuit dans la vallée a été réellement magique. La montagne était zébrée des serpentins formés par les lampes frontales et des centaines de personnes nous ont acclamés lors d’un passage au-dessus d’un pont. On se serait cru dans le tour de France : un souvenir incroyable !
On a ensuite effectué la traversée d’une forêt primaire de toute beauté. Jack trouvait que j’avais un rythme trop élevé, alors il a pris le relai à partir du ravito suivant. Le ravito l’a manifestement bien requinqué, car il est reparti sur des bases rapides. Quelles que soient les conditions météorologiques ou topographiques, on a gardé un bon rythme, relançant systématiquement après les nombreuses et interminables côtes. Je l’ai même dit à Jack à de nombreuses reprises : je n’avais jamais eu un rythme aussi soutenu de ma vie sur une telle distance. J’avais un très bon cardio mais au fil des dizaines de kilomètres, je commençais à avoir les jambes lourdes.
J’ai fait de nombreuses chutes dans des descentes techniques. Ça m’a beaucoup interrogé sur mon réel état de fraîcheur, car normalement, je ne suis pas trop mauvais dans les descentes techniques. Jack n’a jamais eu ce problème alors qu’il était équipé des mêmes types de chaussures. J’étais peut-être souvent trop près d’un coureur devant moi pour pouvoir anticiper certains obstacles ou alors je n’avais pas une assez bonne technique dans les descentes boueuses. Ou les deux. C’est vrai qu’à Marseille ça n’est pas trop notre terrain de jeu.
Heureusement mes nombreuses chutes furent sans gravité. C’était déjà ça. C’est l’avantage de la boue. J’avais surtout peur qu’une chute entraîne une extension trop rapide d’un muscle et que ça déclenche une crampe. J’en avais eu lors des nuits précédentes, alors j’appréhendais beaucoup la moindre extension brutale.
En plus je commençais à avoir de plus en plus de mal à suivre le rythme de Jack. Le cardio était excellent mais, musculairement parlant, les jambes répondaient moins bien. De plus en plus souvent, je me disais que j’allais dire à Jack de continuer à son allure et que j’essayerais de le rattraper plus loin dans la course. Rien d’alarmant. Psychologiquement j’étais prêt à ça dès le départ de la course. L’Ultra c’est comme ça. Il y a des hauts et des bas. Il suffit juste d’attendre que l’énergie revienne.
En ultra on fait d’ailleurs continuellement des chassés croisés avec d’autres coureurs qui sont dans le même rythme moyen. On avait accumulé les dénivelés et, au bout de 50 km, on avait déjà atteint les 4500 m de D+. Un ratio démentiel pour un 115km. On allait bientôt attaquer la descente vers le ravito principal de la mi-course, quand Jack commença à fortement baisser de rythme. Ça m’arrangeait beaucoup pour être honnête. Un peu de repos ce n’était pas négligeable après tout ce que l’on avait traversé comme épreuves. Il m’avait demandé de passer devant mais, de plus en plus souvent quand je me retournais, je ne le voyais plus, alors que l’on allait à une allure très modérée. Il m’a dit qu’il n’arrivait plus à garder les yeux ouverts. Je me suis dit que ça n’était pas trop grave, dans le sens où l’on avait assez grappillé de marge de temps sur la barrière horaire, pour qu’il puisse dormir au ravito suivant, une bonne heure.
Les derniers kilomètres ont semblé une éternité. La descente était cassante. Terriblement cassante. On aurait dit la descente du Colorado à la fin de la Diagonale des Fous. On a souffert. Jack avait du mal à avancer. Il était en mode zombie et, pour être honnête, je n’étais pas beaucoup mieux, sur le moment. Mais on arrivait tant bien que mal à la mi-course au ravito de Curral das Freiras, où nous attendaient nos compagnes. Je me suis dit qu’une bonne douche et un bon ravito nous requinqueraient et que mon ami Jack retrouverait la pêche.
« Un oiseau assis sur une branche n’a jamais peur que la branche casse car sa confiance n’est pas dans la branche mais dans ses propres ailes »
Arrivé à Curral das Freiras, Jack m’annonça qu’il avait décidé d’arrêter la course. J’avoue que j’ai eu un peu de mal, sur le moment, à comprendre sa décision. Pendant de nombreuses minutes, je me suis dit qu’il reviendrait sur sa décision au fur et à mesure qu’il reprendrait des forces. Il n’était pas blessé, et comme il avait mené l’allure pendant tellement de temps et avec tellement d’énergie, cette décision m’a semblé surréaliste sur le moment. J’ai pris une douche, changé la totalité de mes vêtements, et quand je suis revenu auprès de lui, il m’a fait comprendre qu’il ne reviendrait pas sur cette décision et qu’il regrettait de ne pas pouvoir m’accompagner jusqu’à la fin de cette aventure. Son corps lui rappelait brutalement qu’Il n’avait pas assez dormi les jours, voir les semaines précédentes, et, dans un ultra aussi éprouvant, ça n’était pas un détail. Jack étant un Ultra-Trailer d’expérience. Je me doutais bien qu’il avait dû tourner le problème dans tous les sens avant de prendre une décision aussi dure. Ça nous arrive à tous, et ça nous arrivera encore et encore. C’est la vie et elle est belle quand même…
J’ai donc repris les sentiers après les supers massages de ma chérie qui m’ont fait un bien fou. Suivant les symptômes, c’était Arnica ou Baume du tigre ou Nok. Merci ma belle!
Pas facile de reprendre en solo alors qu’on avait atteint la moitié de la course, mais c’est la vie. Il allait falloir s’accrocher car ça repartait sur des bases terribles avec plus de 1500 m de D+ en quelques kilomètres. Ma chance c’est que je suis tombé sur un bon groupe qui avait un rythme à peine plus élevé que le mien. Je me suis accroché « au wagon », en me disant que plus vite on en finirait avec ce dénivelé de fou et mieux je me porterai.
La (double) montée s’est faite au mental. Les jambes, ça faisait longtemps que je n’en avais plus beaucoup. Le problème, c’est qu’au fur et à mesure qu’on prenait de l’altitude, il faisait de plus en plus froid : sec, pour une fois, mais très froid. A moins que ça soit dû à la fatigue. C’est possible aussi. De toute façon ça ne change pas le problème. Petit à petit on approchait du toit de l’île, vers la station radar de Pico Ruivo. Des montagnes devenues arides, des milliers d’arbres calcinés dont les branches étaient devenues blanches. Des tunnels creusés dans la montagne pour passer d’un versant à l’autre. C’était très dur physiquement mais pour une fois, l’absence de nuages permettait de profiter un minimum du paysage. Peut-être la première et la dernière fois tellement les conditions méteo avaient été très dures jusqu’à présent.
Les derniers cols et sommets furent une fois de plus très durs. J’ai l’impression de me répéter, mais c’est comme ça… On passait au milieu des nuages, des vents violents, des marches d’escaliers usantes et interminables ,avant d’atteindre le dôme du radar.
« Vous ne pouvez demander à l’obscurité de partir, vous devez allumer la lumière.” [Sogyal Rinpoché]
La nuit était tombée de nouveau et on entamait les 25 derniers kilomètres de la course : en grande partie des descentes. Et des descentes techniques après 90 km de course, ça veut dire des quadriceps en feu, de la fatigue visuelle, une recherche permanente de bons appuis pour ne pas glisser, essayer d’anticiper, à la frontale, la meilleure trajectoire. Essayer de se concentrer sur sa cadence de course. Essayer de. Essayer de. Essayer de. Encore et toujours. Continuellement. Les yeux qui se ferment tout seuls de temps en temps. Essayer de prendre la bonne décision. Prendre le temps de dormir un peu ou essayer d’en finir au plus vit ? Je m’aspergeais les yeux, mais rien n’y faisait.
Le sentier final le long de la cote était super beau, à la pleine lune. Je marchais/courais à réaction, parfois avec l’impression de courir vite (une impression, ma montre m’indiquera plus tard que j’étais à 6 km/h) parfois avec du mal à mettre un pied devant l’autre. Je me tenais parfois avec difficulté à la rambarde de sécurité.
Puis, c’est enfin l’arrivée! Il est presque 4 heures du mat. C’est la seconde nuit. Une dernière descente de goudron qui tue bien les quadriceps. Une dernière chute dans la boue d’un sentier parcouru par une sorte de torrent (il était obligatoire ce dernier passage ? 😉 ) et de nouveau, le goudron, avant la ligne d’arrivée où m’attend Vero, depuis de nombreuses heures. Je cours sur les derniers cents mètres comme si c’était extrêmement important de gagner quelques secondes sur les 28 heures que m’ont pris la traversée de l’île de Madère avec ses 115 km et 7200 m de dénivelés.
Des fois c’est très con un mec ! 😉
Il est temps d’aller dormir…
Merci à tous ceux/celles qui nous ont envoyé des encouragements/félicitations avant/pendant et après la course, que ce soit sous forme de SMS, FB ou autres. C’était très apprécié!
Un gros merci à l’organisation sans faille. Tout sport confondu je n’ai jamais vu une organisation aussi bien ficelée. Chapeau bas. Le balisage était incroyablement précis. Superbe boulot. Les pancartes de sortie de ravito très appréciées car elles permettaient d’évaluer d’un coup d’œil les difficultés à venir. La gentillesse et l’efficacité des bénévoles inoubliables. Vous avez été au top ! Des ravitos bien fournis et plus particulièrement un ravito de mi-course où tout semblait réglé comme du papier à musique. Des douches chaudes, des matelas, de la quantité et de la qualité dans la nourriture. Je suis impressionné. Bravo.
Un gros merci à Jack pour m’avoir entraîné dans cette galère au milieu de l’Atlantique. Enfoiré ! 😉
Et surtout un gros merci à ma chérie qui, une fois de plus, a été une super assistante, toujours disponible et efficace, quelle que soit l’heure de la journée ou de la nuit, et quelles que soient les conditions météo qui ont été particulièrement difficiles sur cet ultra-trail…
« Choisis bien tes mots car ce sont eux qui créent le monde qui t’entoure… » [Proverbe Navajos]
Durée | Distance | Dénivelé |
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