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À chacun son Everest

  • Dimanche, 6hoo, c’est TAW….

Le Trail de l’Aber-Wrach. Les Abers sont les fjords finisteriens. Je me suis lancé dans cette aventure avec beaucoup d’appréhension et très peu de confiance. 

Mon frère et moi nous sommes inscrits pour vivre ce moment tous les deux. Il a déjà fait des longs trails, c’est lui qui m’a initié… Un bon collègue de travail, de 19 ans mon cadet, qui débute dans la course à pied mais qui montre déjà un fort potentiel, s’inscrit au même moment.

Sauf que, très vite, en début d’année, mon frère se blesse et m’annonce qu’il ne pourra pas faire l’Extrème Trail de l’Aber Wrach.

Et…

La même semaine mon jeune collègue se blesse également.

Le stress m’envahit et je ne suis pas très loin de chercher un prétexte pour déclarer forfait.                         La préparation s’est poursuivie bon an, mal an, bon an mais lent, sans trop savoir comment s’y prendre. C’est un copain qui faisait aussi le 60km (je ne le savais pas au départ), qui m’a rassuré et qui semblait sincère « Tu peux le faire. Tu en es capable ». Et s’il avait raison ?

Me voilà donc peu avant 6h du matin prenant la ligne de départ : lampe frontale bas de gamme sur la tête. Il fait nuit noire, la tension est forte et se ressent autant que l’air iodé. On est au centre nautique du Curnic de Guisseny.

Mais qu’est-ce que je fais là ?

La musique de Pirates des Caraïbes retentit et a pour effet : frissons, chair de poule et poils qui se dressent.

Le coup de feu marque le début de la course. Et c’est parti pour 60km et 1200m de dénivelé positif jusqu’au Folgoet.

J’aperçois les premiers de cordée qui forment une traînée lumineuse de lampes frontales au loin. Je me retourne. Il y en a aussi derrière. Ouf…

Mais les coureurs derrière moi ont de super lampes frontales à faire pâlir les américains dans leurs pickups armés de projecteurs qui surveillent de nuit la frontière mexicaine.

Ces super lampes ont pour effet de projeter mon ombre. Et je ne vois absolument rien devant moi. Même en réorientant ma lampe frontale tant bien que mal.

Le jour finit par se lever.

C’est encore plus beau.

Prendre du plaisir ! Ne pas aller trop vite.

Les paysages de plages se succèdent puis arrivent rapidement les hauteurs de Guisseny.

Du sable, des sentiers mais aussi des galets, ça glisse. Pourtant que la Bretagne est belle !

Puis… Première barrière horaire à 21km. La marée n’attend pas. C’est donc le premier objectif.

Je suis tellement dans mes pensées que des bénévoles m’indiquent le chemin pourtant très bien indiqué : « C’est par là, non par-là, non par-là ! ». Dans ma bulle. Je pense à ma grand-mère qui me disait « Pennskan » (tête en l’air en breton).

Deuxième barrière à 32km.

Les choses se corsent. Le coup de mou est dur.

Ma femme appelle mais je ne peux pas ou ne veux pas parler. Ou les deux.

Je ne suis certainement pas beau à voir ni à entendre.

Première fois de ma vie que j’ai envie déféquer, vomir et pleurer en même temps.

J’arrive à Paluden à la deuxième barrière horaire. Je rentre dans le fameux bar l’Auberge du Pont, où la serveuse propose la non moins fameuse et traditionnelle bière, que je refuse.

À cet instant, une mise en bière eut été plus adéquate.

Je m’arrête au ravitaillement-eau. Je reremplis mon camel-back. Pour ce faire, avant d’atteindre la poche d’eau à remplir, je dois retirer les 12 compotes, 9 pâtes de fruits et les 7 barres de céréales restantes…

Je repars difficilement.

J’avais réussi jusque-là à ne pas écouter de musique.  Ce moment doit être une récompense comme l’écrit Scott Jurek dans la Bible du runner « Born to run ».

Le rappeur Hugo TSR ouvre le bal… Ça me remotive ! J’écoute. Je chantonne et m’autorise même des signes de gangs américains. Heureusement, il n’y a pas de spectateurs.

J’arrive au-devant d’une très grande côte annoncée par un panneau « Côte du blaireau ».

Ça me donne le sourire et je lance un « ça mérite une photo ! ». Le bénévole commissaire présent propose de me photographier.

J’attaque cette côte avec le sourire et en profite pour envoyer la photo à ma femme et à mon frère.

La musique et la beauté des paysages rythment ma course.

Dernière barrière horaire avant l’arrivée : les 43. L’endroit ressemble à un camp de base militaire. Les personnes arrêtées ressemblent à des soldats blessés. Certains sont assis ou allongés. D’autres s’étirent péniblement.

Il me reste suffisamment d’eau. Je ne m’arrête pas.

Punaise. Mais je vais vraiment le faire !

Je repense à mon copain qui m’a rassuré pendant la préparation, qui me dit que l’année dernière il avait souffert à partir du 45ème.

Et bingo… Ça redevient très dur.

Mon Spotify se déconnecte à certains endroits.

J’entends certains se plaindre. Je ne veux pas les entendre.

Un gars dit à son partenaire qu’il n’a pas assez dormi, et qu’il aimerait bien dormir là, tout de suite.

Je me dis que moi aussi en fait.

Je décide donc d’accélérer pour m’écarter d’eux.

Je reçois un long message de ma fille. Je souris.

Je continue.

Toujours avancer.

Les paysages boisés sont à couper le souffle si ce n’était pas encore le cas. Je suis seul au monde. Juste le bruit du ruisseau et des endroits qui font penser aux forêts nord-américaines du film « Voyage au bout de l’enfer »…

Puis d’un coup d’un seul, je pense à la ligne d’arrivée, aux mien.n.e.s qui vont m’attendre.

Mes yeux se remplissent de larmes. Un shoot d’émotions très fort. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. C’est de l’émotion aussi pure que spontanée.

Ça se répètera trois fois encore.

Je ne vois jamais la chose arriver. Ça me gagne et me submerge d’une façon totalement inattendue. Ce n’est pas douloureux. C’est même presque agréable.

Très difficile à définir.

Encore une côte. Je marche. Ça devient plus plat mais je continue à marcher. Je n’ai plus la force de courir, ni l’envie.

Je me fais dépasser.

Une fois. Deux fois. Trois fois. Bon je suis quand même là pour courir.

Je me remets à courir.

C’est très dur jusqu’au 50ème.

Mais, mais ! Je vais le faire. Putain. Je suis en train de le faire !

Je continue. Je prends de l’assurance. Et paf la racine. Vol plané. Plus de peur que de mal. De toute façon même si je simule le match ne sera pas arrêté. Pas de brancard, ni de kiné ni de bombe de froid à l’horizon (Allez le Stade Brestois !).

On se relève. On avance.

Les coureurs devant marchent. Ils ont le visage fermé et extrêmement tiré. Ils transpirent la douleur. J’échange quelques mots mais ne veux pas trop entendre leur souffrance.

J’avance.

Les personnes présentes qui encouragent chaque coureur avec de la musique tout le long du chemin… ça fait un bien fou. Oh. Non. Je suis reparti pour un shoot d’émotions.

À un 1km, de l’arrivée, un copain m’attend. Avec qui j’ai déjà fait plusieurs courses (dont les 30 du TAW l’année dernière). Je suis super content de le voir. Ça ne doit pas se voir. J’ai la même tête que les coureurs que j’ai croisés avec qui je ne voulais pas trop échanger.

Il me demande si ça va.

Je réponds juste « c’est un truc de malade ».

Il me félicite et m’encourage.

« Tout le monde t’attend »

Et merde c’est reparti. Vous reprendrez bien un shoot ?

À 300m de la ligne, c’est mon frère qui prend le relais et m’accompagne. Un dernier shoot pour la route.

Je n’arrive pas à parler et à lui demander à combien de mètres se situe l’arrivée. Je bafouille un « c’est à combien de kilomètres l’arrivée ? »…

Ça y est, je les vois.

Ma femme, ma fille, mes parents, mes beaux-parents, mes copains.

Ma fille se joint à moi pour passer la ligne d’arrivée.

FINISHER.