Encore plus loin.
Alors que Solène et moi restons tous deux sur un DNF au Canada quatre mois plus tôt à l’occasion du Gaspesia 100 miles, nous voici embarqués dans le second gros projet de la saison, l’Intégrale des Grands Trails d’Auvergne et ses 176k/7000+, en duo. Une inscription en equipe, une premiere pour nous. Quatre équipes seront au depart de cette course parmis les 170 athlètes inscrits. Nous sommes le seul duo ayant une equipière féminine. Cette distance, dans l’éventualité de la reussite de notre objectif, tout comme le denivelé, consitueraient notre nouveau record.
On a changé des choses dans notre préparation. Je me suis personnellement délesté de 8 kg superflus afin de me donner toutes les chances de moins faire souffrir mes genoux capricieux. Des blocs plus denses en suivant à peu près le programme de Soléne, coachée depuis quelques temps, tout en conservant une certaine liberté d’adaptation. Du renforcement musculaire, bien plus sérieusement que d’habitude. Mon corps a changé, pour le meilleur, j’espère. Je déchante malgré tout au bout de la huitième semaine de prépa, qui sera par la force des choses la dernière. Une inflammation du facia du tendon tibial anterieur gauche me contraint à la relâche totale pendant une dizaine de jour où, boiteux, j’aurais dû travailler mon dernier bloc. Les jours suivants ne seront que soins, examens et protocole de reprise de la course a pied, incluant de la marche et du renfo. J’ai la chance d’être bien accompagné par mes potes médecin et ostéo qui me permettent, malgré plusieurs semaines d’incertitude, de tenir ma place au départ sans douleur. Dans quelle forme ? C’est là que le doute persiste, avec la pression supplémentaire d’être responsable d’un echec dans lequel j’entraînerais forcément Solène, dont le destin est lié au mien.
Le lac d’Aubusson d’Auvergne, toute petite bourgade proche de Courpière, dans le Puy-de-Dôme, accueille l’ensemble des courses de l’évènement tout le week-end. Notre grande boucle nous conduit à l’assaut du massif du Livradois-Forez, parc naturel régional. Un massif plus méconnu que ses prestigieux voisins, la chaîne des Puys et le massif du Sancy. L’automne s’installe dans la région et par chance, les conditions sont excellentes cette année. Pas de pluie prévue le week-end et quasi pas d’averses les jours précédents. Les nuits s’annoncent fraîches mais pas glaciales, les journées ensoleillées et agréables. Nos papas respectifs vont s’occuper de nos assistances pendant notre périple, une chance de vivre ça avec leur soutien. Départ prevu vendredi 10 octobre à 18 heures, avec Era en fond sonore.
Solène tient une allure plus soutenue que ce que j’avais anticipé au départ. Tant mieux, autant profiter des deux petites heures diurnes qu’il nous reste avant de mettres les frontales pour affronter la première longue nuit. On aura la chance malgré tout de traverser au crépuscule le parc d’un magnifique château dans la commune de Vollore. On atteint à bonne allure le premier ravitaillement au 19ème kilomètre sans problèmes et on a la bonne surprise de faire face à des ravitaillements qui semblent bien copieux. La nuit est bien fraiche maintenant et il est temps de bien s’équiper contre le froid. On mange beaucoup plus que d’habitude, la thermorégulation nous fait dépenser davantage de calories que chez nous. Je calme une certaine euphorie de Solène, qui vole en ce début de parcours. Mais l’objectif est encore bien loin.

Les ascentions de la Pierre Pamole et ses menhirs arvernes, de Notre Dame de l’Hermitage et du Vimont passent bien. Les montées forestières semblent paisibles et les descentes peu techniques, à l’exception de quelques courtes portions de pierriers où il faut se méfier des pierres roulantes. Le ravitaillement suivant au col de la Loge km 44 négocié, on termine notre nuit en direction du Béal dans un premier temps, puis vers la première base vie à la station de Chalmazel km 57, au lever du jour. La fin de nuit sur les balcons aux airs de tundra, où nous derangeons à peine les moutons dans la nuit brumeuse, est tout de même marquée par un manque évident de balises rétroréflechissantes. Heureusement que l’on a la trace gpx sur la montre de Soso, qui nous remettra par trois fois sur le bon chemin. On atteint cette première base vie au petit jour, après avoir profité du spectacle merveilleux de l’aube et du balcon au dessus d’une mer de nuage, d’où sortent les monts environnants, aux belles couleurs d’automne. C’était à tomber par terre de beauté.
Aprés avoir profité des excellents soins de notre assistance et des nombreux bénévoles, au top niveau sur tout le parcours, on repart droit dans le pentu sous les tire-fesses de la station de ski jusqu’à 1600m d’altitude avant de retrouver les sentiers. Montées et descentes douces se succèdent jusqu’à l’assistance suivante à la station de Prabouré. C’est ensuite une longue section vers le point le plus au sud de la boucle et le trés pittoresque barrage des pradeaux. On retrouve un sentier plus montagneux qui aprés une belle ascention nous conduit sur une longue descente entre pistes carrossables et sentiers forestiers vers Valcivières, km 103 et seconde base vie, que l’on atteint en 18h05. Nous sommes passés au symbolique km 100 en 17h26, de trés loin un nouveau record pour nous.
Un petit plat de pâtes plus tard, c’est une toute autre course qui commence, plus sauvage, plus haute et technique que les 100 premiers kilomètres proposés. Par chance, le temps est une nouvelle fois radieux ce samedi.On apprehendait un peu cette section, quasi 1500 d+ et 1000 d- à accomplir sur 24km. On y passera l’après-midi. Comme d’habitude quand on partage du temps en course avec Solène, je suis plus à l’aise en montée où je fais le rythme et moins à l’aise en descente où mes ennuis commencent. Pas à cause de mes pieds comme d’habitude, ils sont toujours impeccables cette fois-ci, mais à cause de mes tendons fléchisseurs du pied, le droit d’abord, le gauche plus tard dans la course. Peut-être aussi que je commence a atteindre les limites de ma préparation tronquée et qu’il « m’en manque un peu ». Je sens Solène fébrile à l’entamme de cette portion. On s’accordera au pied des deux montées avant de retrouver le col de Béal deux petites pauses pour bien se ravitailler et couper un peu. La première bosse faite, on entamme la montée du mont Chouvé culminant à plus de 1600m. Là-haut, le Panorama est époustouflant. Mes souffrances en descente passées on rejoint quelques coureurs du 130km afin de remonter vers le col du Béal, où nous sommes déjà passés par l’autre versant durant la nuit. Je ne regrette pas d’y remonter de jour, une nouvelle fois la vue là-haut est à couper le souffle, à tel point que s’offre à nous, pourtant distant de plus de 300km, un panorama sur les glacier de la Vanoise et le majestueux Mont Blanc, qui se dresse derrière les monts du Forez. Arrivés au ravitaillement du Beal km 126, c’est l’hécatombe. Il y a de l’attente pour les navettes qui gèrent le rappatriement des abandons. Cette section aura fait beaucoup de casse. J’essaie de soigner mes inflammations avec des straps auprés de la bénévole de la securité civile, ce ne sera pas un grand succés.
Malgré tout, on repart bien remotivés à l’assaut des 50 derniers kilomètres, alors que la nuit va tomber dans moins de deux heures. On sait qu’on va finir. Je me questionne quand même sur ce qu’il me reste de marge pour pouvoir trottiner les descentes où Solène semble très à l’aise comparé à mes difficultés. Le profil des deux dernières sections, bien qu’entrecoupées de quelques côtes, est globalement descendant, ce qui ne fait pas mes affaires. La section proposée ici jusqu’au dernier ravitaillement assisté est trés longue, 30km. Ce sera principalement composé de pistes forestières plus ou moins grasses et techniques, avec montées courtes et descentes souvent plus longues, où j’essaie de faire bonne figure malgré la douleur. A defaut de ne plus pouvoir les courir je parviens a tenir une cadence de marche rapide qui limite un peu la casse mais ralenti probablement la progression que Solène aurait eu seule, elle qui semble dans de meilleures dispositions dans cette deuxième nuit, bien tombée et fraiche désormais. Je profite d’un petit point d’eau dans un village pour tenter de re-strapper mes chevilles grace à l’aide d’un autre coureur qui disposait d’un couteau dans son sac. Je sais que ca ne changera pas grand chose, mais je tente le coup. J’arrive vraiment à la peine à La Renaudie, le dernier ravitaillement assisté. Je suis dans un très mauvais mood, je n’arrive plus a discerner le sens de ce que je suis en train de faire et les descentes usent mon moral. Au ravitaillement Manu tentera le tout pour le tout en appuyant fort sur mes grosses chevilles. L’inflammation gagne aussi mes tendons rotuliens, pour lesquels nos genouillères ne sont d’aucun secours. Mon corps est en train de démissionner, mon cerveau est tenté mais refuse. Il nous reste 20 km. Un supplice rien que d’y penser. Pour me rassurer des bénévoles nous disent « Ne vous inquiétez pas, ca ne monte plus beaucoup, c’est surtout de la descente ! »…ce sera mon purgatoire.
La suite jusqu’au dernier ravitaillement est comparable au début de nuit. Pistes forestières qui se ressemblent toutes, avec quelques portions de route, parfois. Rien de difficile sans la douleur, mais le plaisir n’y est plus. J’en suis détestable, Solène fera preuve d’une grande patience à mon égard. On arrive tant bien que mal au dernier poste de ravitaillement, dans une brume bien épaisse. Les bénévoles présents pour nous dans la nuit sont très sympas. On sait que dans le pire des cas il nous reste une heure de marche, un peu moins si je me bouge. Je repars au trot, pour tenter au moins 9 jolis derniers kilomètres. Ce sera un feu de paille, mais j’aurai essayé. Une petit côte comme pour me consoler, où pour quelques minutes la douleur disparait. Puis l’interminable descente vers le lac d’Aubusson, dont nous sommes partis il y a plus de 36 heures. C’est pas dur, c’est même a vrai dire plutôt offert ces derniers kilomètres. De la route, du petit chemin propre…mais l’absence de la joie habituelle de ceux qui en terminent avec un long travail de patience. Je devrais être heureux, à quelques encablures d’un but si long à atteindre. Mais rien ne se passe dans ma tête. Je ne fais que pester face à la descente. « Ils ne font que descendre dans ce pays ».Je n’en peux plus, mais tant bien que mal on arrive enfin en bas, il n’y a plus qu’à rejoindre cette arche. On la passe tout les deux après 36h51 minutes de patience et 176.6 km d’effort pour 7070 mètres de dénivelé. Il m’en manquait vraiment, mais c’est allé au bout. Je suis triste de ne pas ressentir la joie habituelle. Sans elle je ne trouve aucun sens à ce qu’on a fait. Pire, je me dit même que je n’ai pas été bon, un frein pour Solène, qui aurait probablement fini sous les 36 heures et 3ème femme au général sans moi. Je suis déçu du niveau que j’ai eu et de la rupture morale assez grotesque dont j’ai fais preuve. J’attends mieux de moi. Mais on ne maîtrise pas tout. Pas même ses émotions.
Quelques jours plus tard, l’amertume a tout de même laissé place à la satisfaction d’être allés au bout ensemble d’une course dont 80 des participants au départ n’auront pas vu l’arrivée. Deux équipes seulement sur les quatre ont passé l’arche. Dont nous, la seule mixte. Un sacré couple quand même, ça ne doit pas être commun. Je suis fier de nous parce qu’on a tenu à finir pour l’autre. Je me remémore aussi ces paysages fantastiques, notre assistance dévouée qu’on remercie une nouvelle fois, et tous ces bénévoles incroyables venant de partout en France pour nous aider. Le sport le plus stylé de l’univers…même avec un mauvaise fin de course. Qui nous aura emmené…encore plus loin. Ensemble.
