20 juillet 2019 : journée inoubliable dans ma vie de coureur en sentier, car j’ai été un lapin pendant 30 km pour le Lithuanien Gediminas Grinius lors de l’épreuve du 100 miles (160 km) dans le cadre du Vermont 100.
Gediminas a un pédigree fort impressionnant. Voici quelques faits d’armes : 2e au UTMB de 2016; champion du monde de l’Ultra Trail World Tour (UTWT) en 2016; 1er et 2e au classement mondial du UTWT en 2017 et 2018, respectivement.
Comment ai-je fait pour avoir une telle chance ?
Non, ce n’est pas lors d’un tirage au sort, bien que le hasard ait bien fait les choses. Nous nous sommes rencontrés en octobre dernier lors d’un camp de trail en Croatie. Il était le pro invité à conseiller notre petit groupe de coureurs durant nos sorties et lors d’ateliers.
Personne très simple, humble et généreuse en conseils, il a été une source d’inspiration pour moi, ce qui m’a donné le goût d’investir un peu plus de temps dans quelque chose qui me donne beaucoup de plaisir en retour, soit la course en sentier. Nous sommes restés en contact depuis.
Lapin : vraiment ?
Apprenant qu’il allait réaliser sa deuxième épreuve de 160 km, de quatre, du Grand Slam au Vermont, je lui ai indiqué que j’irais l’encourager. À ma grande surprise, il m’a invité à être son lapin pour une portion des 47 derniers kilomètres.
J’ai dit oui d’emblée, mais après coup, je me suis dit que c’était un projet fou : ne faisant même pas partie de l’élite québécoise de course en sentier, comment allais-je garder la cadence d’un champion du monde qui vise à réaliser 160 km entre 15 heures et 15 heures 30 minutes ?
Un lapin nerveux
Une heure avant mon départ, au point de ravitaillement Camp 10 Bear au 113e km, un moment de nervosité me prit lorsque le plus jeune fils de Gediminas me demanda : « Prêt à bien performer pour mon père ? »
Je lui ai répondu très calmement d’un ton rassurant dans la langue de Shakespeare que je me sentais bien et que j’allais faire de mon mieux. Mais à l’intérieur de moi, c’était un peu la panique.
En me réchauffant malgré une chaleur accablante (40 °C en plus d’un taux élevé d’humidité), je me suis souvenu d’une des consignes de Gediminas : « Ne t’inquiète pas et ne sois pas offensé si je te dépasse. », ce qui m’a grandement calmé !
Les premiers pas
Mon objectif initial était de compléter 10 km, soit de tout donner pour le mener jusqu’au prochain poste de ravitaillement, Spirit of 76, où les équipes de soutien y sont autorisées.
Dès notre départ, il m’a indiqué que ses jambes étaient en compote et qu’il souffrait énormément aux bandelettes et aux quadriceps, compensant pour une blessure survenue trois semaines plus tôt à la mythique course Western State.
Cette section de 10 km étant peu technique et ayant un faible niveau de dénivelé, j’ai pu me tenir aisément quelques mètres devant lui tout au long de ce parcours et jouer ainsi mon rôle de meneur, malheureusement pour un coureur blessé.
Au-delà de maintenir la cadence, un lapin a pour tâche de donner du support moral. J’ai essayé dans la mesure du possible de l’encourager lorsqu’il m’a dit qu’il avait des pensées négatives, tout en respectant une autre de ses consignes : ne pas trop parler !
D’un pas plus sûr
Pompé à bloc d’avoir complété 10 km comme lapin, j’ai décidé de continuer et de tenter d’atteindre mon objectif idéal que je m’étais donné, c.-à-d. me rendre au prochain poste de ravitaillement, Bill’s, qui était 20 km plus loin et où l’équipe de soutien de Gediminas (sa conjointe et son fils) nous attendait.
Bien que les choses allaient toujours bien de mon côté, compte tenu que le parcours m’était encore favorable, il en était autrement pour Gediminas qui souffrait davantage.
Après avoir bu et mangé à quelques reprises, il a eu un regain d’énergie dans les descentes et sur le plat. Nous courrions à une bonne allure durant ces moments. Et étais-je toujours quelques mètres devant lui tout ce temps ? Oui à mon grand étonnement.
Étant donné que la Vermont 100 est la dernière course aux États-Unis qui comprend un volet équestre, nous avons rencontré à quelques reprises de beaux chevaux avec leur cavalier. Ces belles rencontres combinées aux paysages bucoliques du Vermont ont réveillé mes esprits un peu ramollis par la chaleur suffocante.
Cette section s’est terminée par une autre rencontre fortuite, soit celle de trois personnes de l’équipe Altra et Vibram, firmes qui commanditent Gediminas. Elles nous photographiaient et filmaient avec un drone. Qui sait, peut-être j’apparaîtrai l’automne prochain dans la vidéo relatant l’expérience de son Grand Slam.
C’est avec une très grande satisfaction du devoir accompli et d’avoir réalisé quelque chose qui m’apparaissait initialement impossible à faire que j’ai laissé ma place à un autre lapin à la fin de mon 30 km. Ma satisfaction était d’autant plus grande après la course puisque Gediminas est arrivé premier.
Ravitaillements
En plus d’avoir été un lapin, j’ai eu la chance d’assister sa conjointe pour quatre points de ravitaillement comme co-pilote et inséreur « officiel » de glace dans le revers de la casquette et le foulard de Gediminas !
Qu’est-ce qu’un champion végétarien boit et mange à un point de ravitaillement ? Rien de bien spécial : eau minérale; jus d’orange bio; Kombucha bio; coca; eau avec de l’électrolyte; gel énergétique; patate bouillie salée; melon d’eau.
Il est important de souligner que l’ensemble de la logistique aux points de ravitaillement (nourriture, vêtements de rechange, temps de passage, etc.) était soigneusement planifiée par sa conjointe.
Deux récompenses importantes après la course
La première fut lorsque Gediminas m’a dit sincèrement à quelques reprises que j’ai été un excellent lapin, jugeant que je l’ai soutenu tout au long du 30 km, notamment dans les moments où il en avait le plus besoin.
La deuxième fut lorsque sa conjointe me remercia chaleureusement pour mon aide.
Nul besoin d’une médaille ou d’un trophée : des mots et des accolades suffirent pour me rendre fort heureux de cette expérience inoubliable.
Photo en-tête : Derrick Lytle. Autres photos : courtoisie.