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Avec mes chaussures – Maxi Race, Chine 2018

Je suis sortie de la vingtaine assez écorchée. J’ai eu la chance de mettre au monde deux beaux bébés, aujourd’hui devenues de belles jeunes filles.  La première journée où j’ai repris l’entraînement, j’ai couru pendant neuf cent mètres. Neuf cent mètres qui m’ont dit qu’il était temps de reprendre le dessus. Les rêves, les désirs et les objectifs ont toujours été présents, mais difficiles d’accès, même en vitrine. Je n’en menais pas large…

Aujourd’hui, comme je l’écris encore assez fréquemment, il m’arrive d’avoir peur et de douter. Par contre, même si ça se produit, même si je me laisse parfois tenter par de beaux gros maux de tête, j’avance. Parce que j’ai envie de gravir la montagne. Et pas juste une fois. Je l’applique au sens littéral comme au sens figuré. D’ailleurs, une fois là-haut, que la vue soit dégagée ou qu’elle semble brouillée, le sentiment qui se dégage de cet effort est imprenable. Toujours. C’est un peu, je crois, ce qui m’a conduit en Chine, le weekend dernier. Et c’était fabuleux. Je le ressens encore (mes muscles aussi, dois-je dire).

Jiangshang

Des montagnes à perte de vue. Des pans d’histoire : la route du sel, millénaire, des bâtiments élimés, d’anciennes fabriques de poterie et de céramique se dressent sur le passage. Nous venons à peine de débarquer que le vent de la Chine nous enveloppe. Il fait bon ici. Les gens, en campagne, vivent simplement. Je me sens à la fois accueillie et fascinée.

Entourée de locaux et d’autres coureurs, français, nous montons dans un véhicule pour aller explorer un peu le territoire et prendre des photos vouées à être utilisées par les médias et les commanditaires. La route se fait tortueuse et le temps d’arrêt est bienvenu. Les pas qui nous mènent le long d’une portion du parcours de la course nous donnent chaud. La végétation est dense, mais la faune se fait discrète.

Pendant la journée, nous croiserons quelques anciens, marchant le long de la piste rocailleuse, tantôt pour faire une offrande avec pétarades et fumée, tantôt pour y travailler. En groupe, avec les photographes, nous faisons des aller-retour pour capter le mouvement et les couleurs qui en inspireront certainement plus d’un.  On discute, on s’attend et on déguste une collation typique en canette. Le fait de me balader dans ces lieux, avant le jour du départ, me réconforte. De l’autre côté du globe, il fait froid. Ici, on se sent comme en été. La journée se termine autour d’un repas traditionnel et je mange goulûment: j’adore.

Plus qu’une journée avant que le chronomètre ne soit lancé. Curieusement, je dors relativement bien. Sous la couette, je peux entendre les cancans de ceux et celles qui sont installés pour chanter autour d’un karaoké en plein air. Les notes circulent dans tous les sens et le son est prenant, mais le sommeil me gagne comme une plume qui se pose au sol. Lentement et doucement.

Avec la grisaille se lève vendredi. J’éprouve une énorme gratitude pour tous ces instants, pour chacune des personnes que je côtoie ici et pour ceux et celles qui nous aident, qui traduisent sans relâche tous ces sons auxquels je n’associe pas encore de mots (je crois que ça risque de me prendre quelques voyages pour y parvenir, en fait). La différence est aussi riche que ces moments où l’on se retrouve autour de la passion pour le sport, pour la nature et pour mille autres raisons.

Visite de la localité – urbaine – conférence de presse et retour au bercail seront les principales activités de cette journée. La préparation est maintenant de mise, car à 3 h 30 le lendemain matin (samedi), nous prendrons un taxi pour nous rendre sur les lieux de la course. À ce moment-là, je ne sais pas trop si je me sens fébrile ou simplement ultra-concentrée sur ce que j’ai à faire : manger, boire et re-boire, faire mon sac, dormir.

Maintenant

À 2 h 40, je me lève et je commence à me préparer, pour de vrai. Dehors, il pleut.  On annonce la venue du soleil, mais je crois qu’ici, il joue un peu aux pantins derrière le rideau. Et puis, peu importe la température, on y sera. Alors j’avance.  J’utilise mes provisions pour remplir mes poches. Je m’assure d’avoir de l’eau en quantité suffisante. Je mange, assez rapidement et je prépare mon café, que je pourrai boire au vol.

Il fait noir, mais je me sens comme si le jour nous attendait depuis un bon moment déjà. J’enfile mon imperméable, ramasse mes trois sacs, mon passeport et je file au rez-de chaussée. Les gars y sont déjà et on nous dirige vers le véhicule qui nous acheminera vers l’effort. Le vrai.  Celui que chacun porte dans son regard, associé à une volonté qui ne semble même pas vaciller.

Encore une fois, je me sens bien entourée par ces coureurs, expérimentés.  Nous ne nous reverrons pas une fois l’ascension entamée, mais je sais bien que chacun le vivra avec toute son intensité. C’était, je crois, la seule option pour compléter le trajet en entier. On fonce ou on abandonne : ce que quarante pour cent des participants feront, tout au long du trajet. Magnifique, sauvage, gorgé de traditions jusque dans les pierres installées en chemin, au sol, mais aussi terriblement exigeant.

La première portion de la course est un marathon d’ascensions au terme desquelles les cris de victoire – pour avoir réussi à grimper – retentissent ponctuellement. Je n’y fais pas exception. Ça libère. Pendant les dix premiers kilomètres, j’ai cru que mon ventre allait me perdre. Je crois que le stress, peut-être caché, s’est permis de remonter en vagues pour s’assurer de ma conscience (ou de mon inconscience, selon la perception qu’on peut avoir de ce genre d’événement).

Je crie en amorçant ma descente, comme une guerrière qui brandit son bâton (mon bâton de marche, en l’occurence, ou plutôt celui de mon ami Luc, outil indispensable). Encourageant les coureurs au passage, je relance, comme un bolide, avec mes vieux souliers Speedcross, ceux que j’ai osé mettre avant le départ, constatant à quel point la pluie se faisait volubile.  Ces souliers que je n’avais pas vraiment remis depuis quatre ans, sillonnés de déchirures, comme de grosses rides, voulaient beaucoup dire pour moi. Les crampons étaient efficaces, alors je pouvais danser en courant.  C’était fluide.  Jusqu’aux escaliers et aux ponts de pierres.

Ceux-ci font probablement partie du patrimoine naturel et historique de la place.  Il y a quelque chose de particulier dans l’agencement des pierres, dans leur positionnement, dans leur grosseur, quand on parle de petits ponts. Et, tandis qu’il pleut, ces rochers luisent comme une étoile qui brille de mille feux.  J’ai vu plusieurs chinois les enjamber avec une grande confiance.  J’en ai aussi observé quelques uns qui sont revenus, clopin-clopan, étourdis par une chute au sol.

Je me mets à parler avec le sentier – mentalement – et à respirer comme un bouc pour bien me concentrer sur la progression. J’ai alors un peu peur, mais le fait de respirer m’aide à poursuivre. Je tomberai quelques fois, sans trop saigner.

Les montées sont longues et les descentes se présentent comme des bénédictions,  sauf celles avec des roches, qui doivent être inspirées de la Muraille de Chine.  Peut-être que la route du sel s’y rend, mais aujourd’hui, je crois que 109 km feront l’affaire. J’y réfléchirai une autre fois.

Quelques coureurs s’accrochent à mon rythme et me suivent, heureux, je crois, de pouvoir avancer avec quelqu’un.  Je n’en ai pas trop l’habitude, je l’avoue, alors ça me demande un effort de concentration. Je sens bien que certains se sentent réconfortés. Alors je fais preuve de patience. Après tout, il m’est arrivé, dans les heures précédentes, de prendre deux fois le mauvais tournant en suivant des coureurs moi aussi ( et une fois supplémentaire en entrant en mode fusée: j’ai alors raté la signalisation). Je m’en suis voulue, mais j’ai également trouvé bien drôle le fait d’en rire à trois plutôt que seule.

Sur le parcours, on trouve neuf arrêts permettant de s’approvisionner, de se reposer au besoin…et de prendre des photos. Je me sens assez efficace et je fais rapidement le relais de l’un à l’autre. J’ai, avec moi, la potion d’huiles essentielles de mon amie Chantale et je m’en badigeonne comme d’une protection à toute épreuve.

Après le sixième point de contrôle, je sais que les montées se feront un peu moins abruptes, mais les rochers et les bambous, au sol, sont légion. C’est un peu délicat, pour l’équilibre, cependant, on y arrive. Il suffit d’observer et d’écouter les Chinois.  Je ne comprends pas vraiment ce qu’on me dit alors, mais je crois que c’est un encouragement à laisser aller et à ne pas trop chercher la ligne parfaite. Et après tout, c’est bien vrai : de toute façon, ça glisse, alors aussi bien glisser avec le courant.

Alors que le jour commence à tomber, je m’égare dans les herbes hautes. À ce moment, je me dis qu’il faut quand même faire preuve d’inconscience pour se lancer ainsi en territoire inconnu. Heureusement ou malheureusement, c’est une pensée qui me fait sourire. Je me sens ici, maintenant, comme une enfant qui découvre la vie.

Je me rappelle ceci : un GPS est accroché à ma veste (il parle une autre langue que la mienne, mais il fonctionne) et il y a maintenant, devant moi, puis derrière, deux Chinois qui se sont aussi égarés. Nous prendrons donc le temps de communiquer, en signes, pour conclure que le gps des montres avait tord. Je crois que j’ai dû retrouver les balises avec mon intuition. C’est la seule explication. Enfin, heureux, nous avons repris chacun nos rythmes de course pour continuer sur le bon tracé.

La nuit, à nouveau

Éventuellement, les balises deviendront phosphorescentes et les coureurs se feront plus rares. Je m’arrête, au huitième point de contrôle, pour manger et boire un peu. J’en repars avec, je crois, les cernes aux yeux. Quelques vingt minutes plus tard, la nausée me prend. À ce stade, peut-être est-ce un mélange de fatigue et de courbatures retenues, mais j’ai comme un doute. Doute qui se confirmera le lendemain matin, alors que je me sentirai toujours aussi nauséeuse, jusqu’à ce que je consomme des granules chinoises, éventuellement doublées de charbon activé.  J’espère encore, en ce moment, que les photos de la cérémonie de remise des médailles et des prix ne m’aura pas immortalisée avec un air trop piteux (une petite mine).

La dernière vingtaine de kilomètres est située en zone habitée. On court sur un pavé double, qui fait office de route pour les voitures. J’avoue que je me suis demandée, sur ce tronçon, si j’allais enfin y arriver. Les balises se font rares, alors je ralentis pour m’assurer de me diriger au bon endroit. Les signaleurs, aux intersections, sont endormis avec leur bâton lumineux en main ou posé à leur côté.  Il se fait tard.

Je ne me précipiterai pas à l’arrivée, me demandant, jusqu’aux derniers trois cent mètres, si j’ai emprunté la direction qu’il fallait. En apercevant les lumières, qui se rapprochaient, je prends soin de demander (de gesticuler) à un homme, en voiture, pour savoir si le « Finish«  se trouve bien vers la gauche. Lorsqu’il me pointe cette direction en me répétant « finish« , je me dis que j’ai réussi. Les larmes montent.

J’ai toujours les bâtons de Luc dans les mains et la montre d’Anne au poignet. Je ne sens assurément plus les huiles essentielles, mais ça ne m’empêche pas de sourire. À quelques cent mètres, je vois une grosse banderole, le directeur de course, Martin, qui tient un bouquet de fleurs et une douzaine de photographes. Pas de musique, mais il me semble qu’il se passe quelque chose.

Je traverse au-delà de la banderole, je grimace, puis je crois que mes yeux s’allument.  Martin, adorable et si sérieux à la fois, m’annonce que je suis la première femme rentrée au bercail. Je ris à chaudes larmes (si c’est possible)!  J’ai perdu beaucoup de temps en m’égarant, alors je savoure cet instant. La nausée est toujours présente, mais, rendue là, je me dis que c’est un détail.

Martin et Jack, ami journaliste, me conduisent à la tente de repos. Je ne sais plus quelle heure il est. J’apprécie. On discute un peu, puis Jack et le chauffeur de taxi me reconduisent à l’hôtel, où la douche deviendra rédemptrice. Je n’arriverai pas à dormir. Le lendemain, à l’heure du départ pour Shangaï et l’aéroport, j’écrirai que mon corps est sous le choc. Depuis, j’oscille entre le « wow«  et le « ouch« .  Ça devrait se replacer dans les prochains jours.

Long sentier, long voyage et long retour. Malgré tout, à chaque instant, j’ai été accueillie comme une hôte d’exception. Moi et mes collègues avons été choyés et accompagnés de toutes parts.  Nous avons été reçus comme les membres d’une grande famille. Je me sens encore touchée de toute cette énergie déployée pour faire de notre aventure un lieu magique.

Ce soir, à Orford, mes quadriceps se plaignent. Pourtant, j’y retournerais, là, tout de suite. J’ai le coeur gros. Cent onze kilomètres en Terre chinoise représentent un immense trésor, dans la vie comme en tant que coureuse. J’en veux d’autres.  Des  milliers de kilomètres, aller-retour, pour toucher la nature des gens et la nature dehors. Merci.

Merci à Endurance Aventure et à Huway pour l’invitation. Merci à Christian Etard pour son accompagnement et le partage de sa présence. Merci à Chantale pour avoir lancé l’opération « Expédions Isa en Chine. » Merci à tous mes amis, précieux intervenants dans la réussite de ce projet. Merci encore à mes gardiennes, à mes enfants qui m’ont laissée partir. Merci à Ann et à Simon, qui m’ont accompagnée en énergie. Merci à ma patronne, généreuse de son temps et de ses encouragements. Merci à mes collègues. Merci à mes parents, pour leur présence à leur façon. Merci à Christian et aux autres collègues français, qui ont partagé leur soupe et leurs minutes avec moi.  J’y navigue encore.

Un merci tout spécial à Christine, Martin, Johnson, Jack et aux autres gens dont je ne connais pas le nom encore; vous m’avez ébahie, émue et fait ressentir tellement de gratitude. Je sais que vous travaillez sans relâche pour assurer la réussite de cet événement.  Chapeau!

Nǐ hǎo

À bientôt, avec mes chaussures