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Tenter le diable | Mon premier 80 km

Ça fait maintenant 5 h 30 que je cours. Un marathon de fait. Le début de la course a été féérique, même si dans les premières heures, mon ventre était plutôt incertain de son état physique. Heureusement, il est désormais calme et coopératif. Tout est nickel jusqu’à présent : la nutrition, l’énergie, les jambes, la tête. Tout se déroule à merveille.

Je suis présentement dans la boucle de 10 km qui marque la fin de l’aller et le début du retour vers l’arrivée. Car oui, le 80 km de la Chute du diable est un tracé linéaire où l’on revient sur nos pas, question de complaire notre esprit dans le plus grand inconfort possible. Il y a deux ans, cette section du sentier m’avait littéralement broyée. J’étais annihilée. C’était d’ailleurs à la fin de cette boucle que j’avais tiré la plug et que je m’étais assise dans une chaise en annonçant mon abandon, vidée.

Pas cette fois-ci.  

Ce sont deux ans d’efforts acharnés qui me ramènent aujourd’hui exactement au même endroit.

Aucune chance que ça s’arrête ici.

La fougue me rattache au sentier. Je suis concentrée. Bizarrement, au 43e kilomètre, une drôle de douleur se manifeste. Mon genou droit. Ça sort d’où, ça ? Jamais, jamais, je n’ai mal aux genoux en courant. Mais là, c’est vif, c’est électrique. Je n’arrive même pas à trottiner. Les plats, les montées, les descentes. Tout fait mal. Je me fais dépasser par des coureurs dont j’avais carrément oublié l’existence. Merde. Et évidemment, c’est lorsque les choses commencent à dérailler que la tête s’emballe, ou plutôt, qu’elle se déballe et se vide. J’essaie d’ignorer les idées fugitives qui nourrissent le bloc d’angoisse grandissant dans mon ventre. Un pas après l’autre. Tranquillement. Je construis là-dessus.

Au 45e km, je croise Fred, un bénévole. Il me demande comment ça va. Débinée, je lui réplique que ça s’est déjà mieux passé et que j’ai une bonne douleur au genou qui me tracasse depuis 2-3 kilos.

« Welcome to the world of ultras qu’ils disent, hein? Allez, continue! »

Je sourisSi vrai. Tout le monde a mal. Ça fait partie d’la game. Ça va assurément passer, comme ma douleur au tendon d’Achille plus tôt. Éventuellement, c’est ce que je me dis, tout finit par passer.

47e kilomètre: Accueil Pins-Rouges

Je m’écrase dans une chaise. Je me sens étourdie, un peu nauséeuse aussi.

C’est ici que la course commence. Le début, c’était de l’acquis. Là, ça commence à être dur. Je change de chaussures, je bois, je mange un peu.  Luc, mon pacer, est là, d’attaque, crinqué à bloc. Il sera avec moi pour les 35 derniers kilomètres.

Il est 11 h 45. On repart. La différence d’énergie est flagrante. Luc sautille comme une gazelle alors que je peine à garder un rythme de course décent. Quelque chose s’est mal déroulé. Quoi cependant ? Je ne sais pas.

On marche pour me permettre de retrouver de l’énergie. Ça ne passe vraiment pas. Je m’accroche donc à l’idée floue qu’éventuellement, ça ira mieux. Je ne sais pas quand ce moment surviendra, mais je sais pertinemment qu’il existe et que dans un futur plus ou moins rapproché, mon corps sera rempli d’endorphines qui couleront à flot.

Après quelques minutes de latence cérébrale, j’entends soudainement une guêpe bourdonnant au-dessus de ma tête. J’ai à peine le temps de châtier la pécheresse que je la reçois directement dans l’oeil. Elle me pique la paupière, la vache! Argh! Bordel! Mes lunettes tombent par terre, je mets ma paume sur ma paupière pour me soulager. Elle s’engourdit un brin. Mais merde. C’était quoi ça ? Sauvagement attaquée par une guêpe mauricienne après 50 km de course.

Drôle à dire, mais cette barbare agression me remet rapidement sur pied. Quelques minutes plus tard, je suis remplie d’adrénaline et là, tassez-vous d’mon chemin! Lolo is back! Ça tombe bien, car on s’engage dans une section très roulante. Il y a beaucoup de course au menu jusqu’au prochain ravito situé au 61e kilomètre.

Heureusement que Luc est là, car on est seul dans le sentier. Personne devant. Personne derrière. En fait, outre les bénévoles, on ne croisera plus personne jusqu’à l’arrivée. Si j’avais été seule, je n’ose même pas imaginer l’état mental dans lequel on m’aurait accueillie. Déconfite et éreintée, probablement. À deux, on discute, on rit. Souvent, on laisse aussi le silence nous porter. Une étape après l’autre, on progresse tranquillement dans les courbes serpentines du sentier national.

72e kilomètre: Lac-en-Croix

Je m’assieds. Je commence à être écoeurée de sillonner le sentier. Une bénévole me dit que j’ai l’air fraîche comme une rose. Saint-seigneur, merci! Je vais accepter le compliment avec humilité parce qu’honnêtement, je me sens plutôt comme une dame de 118 ans souffrant d’arthrose avancée. Maudit que j’suis raide!

Malgré le bel accueil, je ne tiens pas à m’éterniser là. Après quelques fruits, une grande inspiration et un jovial merci aux bénévoles dévoués, nous repartons. J’ai VRAIMENT hâte de finir. Je grogne, je soupire, je lâche des cris bestiaux : tout ça, c’est pour signifier mon impatience de franchir l’arrivée. Mes pensées alternent. Je songe à mes sandales, à la joie de libérer mes pieds de leur prison textile. Je pense aussi à la bière, à l’effervescence de son corps et à sa douce écume qui m’ornera le visage sous la forme d’une jolie moustache blanche. Ce sera divin.

78e kilomètre: Le Paradis en Enfer.

Ça y est. La descente aux enfers et la montée du purgatoire sont derrière nous. Aucun juron n’a été prononcé. La limonade qui nous attend à la fin de l’ascension est sublime. Mais la chose la plus délectable, c’est de savoir qu’il ne reste que 4 km avant d’arriver.

La distance s’égraine rapidement. J’ai si hâte. Je songe à l’arrivée et j’ai les yeux pleins d’eau. Le souffle me manque même à quelques reprises.

Le sentier ne fait que descendre jusqu’à la fin. Je n’ai pas le jus d’aller rapidement ou d’accomplir des frasques abracadabrantes. Je pose un pied devant l’autre et j’évite les obstacles, simplement.

Après 13 h, c’est l’ultime montée. On tourne à droite et l’arrivée est là, à 200 mètres. Les gens m’encouragent. J’oublie toute la douleur et j’accélère. Je termine cette grosse aventure à coup de longues foulées, accoutrée d’un sourire tiré jusqu’aux oreilles.

Ça y est. C’est fait. J’ai complété le 80 km de la Chute du diable. Moi. J’ai réussi. 13 h 03. 2e femme. 16e overall.

Un mélange tourbillonnant d’allégresse, de fierté et de fatigue m’envahit. J’ai tellement anticipé cette journée.

Ça m’aura pris deux ans avant d’y revenir.

La première fois m’avait brisée en mille miettes. J’ai pris le temps de me reconstruire, de m’introspecter, de comprendre mes failles et de les colmater. J’ai pris le temps de m’entourer adéquatement et de m’entraîner intelligemment avant de retourner sur le parcours.

J’y suis finalement revenue. Et cette fois-ci, chers amis, j’ai réussi.

***

Merci à l’organisation et aux bénévoles pour la mise en place d’un évènement hors-pair; merci à Luc, mon pacer premium pour ton accompagnement et ton soutien indéfectible pendant cette longue journée!

Crédit: Antoine Béland St-Onge

Crédit pour les photos: Antoine Béland St-Onge

Durée Distance Dénivelé
km m
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