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Je ne suis pas une traileuse

Je crois que tout a commencé sur le Chemin de Compostelle il y a dix ans. Ni randonneuse, ni coureuse, la danseuse prenait un baluchon bien trop lourd pour elle, et s’embarquait avec son papa dans l’une des aventures les plus inoubliables de sa vie. Oui. Je crois que c’est entre Le Puy en Velay et Santiago que tout a vraiment commencé.

Je n’avais jamais marché plus que ces quelques balades en montagne pendant les vacances d’été quand j’étais enfant. À la journée. Mais, en revanche, j’ai toujours eu ce goût de l’itinérance, des roads trips, des voyages sacs à dos, des allers sans retours. Ce chemin fût donc une vraie révélation. Je pouvais parcourir des dizaines, des centaines de kilomètres, à la seule force de mes pieds, de mes jambes. Et peu après, c’est tout naturellement que je me suis mise à courir.

Nous sommes en 2013. Je n’ai jamais couru avant. Si l’on met de côté les foulées traditionnelles des cours de sport du lycée. Je me lance. Avec mes vieilles baskets et mon jogging trop grand. Dans les champs en face de chez moi. Deux minutes sans m’arrêter. Et je suis déjà essoufflée et morte de fatigue. Viendront cinq minutes. Puis dix, trente. Je ne tarderai pas à parler en kilomètres. Trois mois plus tard je fais mon premier semi marathon. Seule. Sur les sentiers autour de la maison. Avec une appli sur mon téléphone pour vérifier chrono et distance. 2 h 30. Un deuxième suivra très rapidement. 2 h 05. Toujours seule. Sans dossard.

Je progresse. Je vais de plus en plus vite et de plus en plus longtemps. Mais je m’ennuie cet hiver-là. C’est alors que je découvre ce qu’on appelle le trail. C’est ce que je fais. Sur les sentiers. Et un monde s’ouvre à moi. On peut courir plus de 24 heures dans les montagnes. Voilà ce que je veux faire! Car ce que j’aime, je l’ai vite compris, c’est grimper les collines autour de chez moi et les redescendre. Tant pis si je marche. J’aime la pente. Je fais donc mes premières courses en 2014. Je les choisis par envie et avec le goût du défi. La Skyrhune par exemple. 21 km et 1700 m D+. Au Pays Basque. Une région que j’aime intensément. Entre océan et montagnes. Et je m’en sors plutôt bien. Pas de doute, c’est mon truc !

Tout s’enchaînera rapidement. Chaque course, chaque saison qui passe est un tremplin pour la suivante, vers mon objectif. Je passe des caps, des étapes. La barrière des 50 km explose en 2015 avec un podium à la clé. À l’époque, je cherche aussi à aller vite. A l’époque, je suis une coureuse, une traileuse. Je m’entraîne. En tous cas, je cours très souvent. Sans programme mais trois à quatre fois par semaine. Je finis l’année par un 60 km de montagne et un 80 km de plaine. Je progresse vite. Et récupère encore plus vite. Et surtout je prends un plaisir fou! Toujours le sourire à l’arrivée, il paraît. Happy Mimi!

L’année suivante, place à l’autre barrière, celle des 100 km. Que je passe trois fois. En Normandie, puis dans les Alpes et au Canada. Aaahh l’Harricana! Là où mon côté sauvage a pu s’exprimer et prendre toute sa place. Là où j’ai compris que la solitude en course me réjouissait.

Est venue la dernière barrière pour un traileur. Celle des 100 miles. Je l’ai vaincue à la Réunion, sur la Diagonale des Fous. Avec cette idée de profond accomplissement. Et cette fierté d’être allée au bout de mon projet de coureuse. Car l’ultra, c’était mon objectif depuis le début. Avec cette question aussi. Que faire après? J’avais déjà coché pas mal de courses sur ma petite liste. Ut4M, MIUT, 80 km du Mont Blanc… Alors maintenant?

Je n’ai jamais eu vraiment le blues du coureur de fond. Ou bien j’ai peut être toujours ce blues qui va et vient au fond de moi. Toujours à chercher un sens. À réfléchir. À tenter de mettre des mots sur l’indicible. À vouloir comprendre le monde, les autres. Alors je me suis demandée pourquoi je faisais ça. La réponse est venue à moi d’elle même. Et j’ai poursuivi mes aventures jusqu’à aujourd’hui. En courant moins, mais en avançant encore plus longtemps. En observant et en partageant toujours plus.

Je ne suis pas une traileuse. Là vous vous dîtes, la p’tite Française, elle ne serait pas un brin provocatrice? OK, j’avoue, il y a un peu de cela, mais apparemment cela a marché puisque vous êtes presque arrivés au bout de mon histoire hi hi! Mais c’est avant tout aussi ce que je pense. Je ne me sens pas (ou plus) traileuse depuis quelque temps. Je suis tantôt une randonneuse qui traverse les Pyrénées par le GR10, tantôt une apprentie alpiniste dans les Alpes italiennes, ou bien une trekkeuse des hautes altitudes au Népal ou sur l’Aconcagua.

Je suis une femme, une fille, une amie, une marraine, une collègue, une tante, une copine. Je vis chaque seconde comme si c’était la dernière. Je m’autorise beaucoup. De plus en plus. Je fais sauter les barrières, comme en course. Aussi bien les barrières psychologiques que les barrières horaires. Et je rêve que tous ceux qui m’entourent fassent de même. Oui vous qui avez envie de faire ceci… faites le !

Alors voilà, c’est à la fois long et court tout ce que je vous raconte là, mais cela vous donne un bon petit aperçu de qui je suis. J’avoue ne pas savoir encore ce que j’écrirai ici sur Ravito, mais j’aurais sûrement plein de choses à dire : ça fuse dans ma tête! Je tenterai de m’autoriser à les partager et de me sentir moins illégitime pour parler de tout ça. Et promis j’arrêterai les titres racoleurs. On parlera trail ensemble, mais pas que. Car pour moi le trail, c’est beaucoup plus que de courir sur les sentiers. Et que je le veuille ou non, je crois bien que cela a changé ma vie.