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La fois où j’ai couru mon premier ultra (dans le désert)

« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? »

Avec du recul, c’est cette phrase qui pourrait résumer mon premier ultra.

Et vous savez quoi? Je recommencerais n’importe quand!

Flashback à l’automne 2018.

J’ai la piqûre de la trail depuis quelques mois, j’ai troqué les courses à obstacles pour les courses en sentier et je ressors tout juste de faire mon premier marathon.

Après quelques expériences en sentier sur des courses d’une vingtaine de kilomètres, j’avais l’ambition de m’attaquer à des ultramarathons. Pour une raison obscure, quelque chose au fond de moi me disait que je ne pouvais pas courir d’ultramarathon, si je n’avais pas couru de marathon.

Je le sais, ce n’est pas comparable.

Mais, à mes yeux, dans le terme « ultramarathon », il y a le mot « marathon ». Je me sentais prêt physiquement, je faisais déjà des longues sorties d’une trentaine de kilomètres, alors sur un coup de tête, je me suis inscrit au Marathon SSQ de Québec. La course s’est bien déroulée, j’ai eu du fun et j’ai surtout fait un gros check sur ma liste de choses à faire avant de m’attaquer à un ultra.

Prochain item sur la liste : m’inscrire à un ultra.

Je commence à penser à ma saison 2019 et je fais des choix : Trail de la Clinique du Coureur, Québec Méga Trail, Ultra Trail Académie, Ultra Trail Harricana…

Seul problème : ces courses sont dans plus de sept mois.

Je regarde mon agenda et je trouve qu’à court terme, ça manque de défis. Après une saison estivale chargée en épreuves sportives, c’est le calme plat. Le désert. Le vent qui souffle un tumbleweed. Le bruit des criquets. Bref, vous comprenez.

Toujours à l’automne 2018.

Je n’entrerai pas dans les détails, mais j’ai eu une année difficile.

Et le temps des fêtes approche.

Le temps-où-ça-te-tente-pas-de-jaser-de-ton-année-difficile.

Le temps-où-t’as-pas-l’goût-de-célébrer-l’année-qui-vient-de-se-terminer.

D’une part, j’ai soif de relever un défi sportif.

D’autre part, j’ai aucune envie de passer le temps des fêtes dans mon quotidien.

De cette drôle de combinaison naît une idée : pourquoi ne pas aller courir un ultra dans le sud ?

En deux temps et trois mouvements, je suis sur le site de l’ITRA et je cherche une course aux dates qui m’intéressent.

Mon histoire serait vraiment parfaite  si j’avais trouvé une course PILE au moment désiré, mais entre vous et moi, aucun directeur de course n’a envie de gérer un ultra entre son réveillon de Noël et son party du Nouvel An.

Je révise mes dates et je jette mon dévolu sur la Coldwater Rumble qui se tient le 19 janvier à Goodyear en Arizona. Une course de 52 km avec un faible dénivelé (800 m D+) dans un environnement totalement nouveau pour moi : le désert.

Mi-janvier 2019.

Vous le savez comme moi, la préparation logistique d’un ultra n’est pas chose simple, même quand la course a lieu à 15 minutes de chez soi. À ce moment, je n’ai pas d’expérience d’ultra, mais j’ai l’expérience des défis d’endurance et j’essaie de tout prévoir. Vêtements, équipements, nutrition, hydratation, etc. Je n’ai jamais couru dans le désert, alors j’opte pour la stratégie « vaut mieux trop que pas assez ». Vous auriez dû voir mes bagages! J’ai plus de choses pour le jour de la course que pour les dix jours qui suivront.

18 janvier 2019.

La veille du jour J.

J’ai fait de la reco dans le désert et sur le parcours du Coldwater Rumble. J’ai trouvé à l’épicerie la nourriture que j’ai l’habitude de manger la veille d’une course. Je me sens bien physiquement. Je me sens prêt mentalement.

19 janvier 2019.

Le taxi appelé la veille ne m’a pas laissé tomber. Je suis à l’heure sur le site du départ.

Janvier dans le coin de Phoenix, c’est frisquet le matin et chaud l’après-midi. Ce matin-là, il fait environ 5 degrés Celsius. Avec du vent. Mais on s’entend, j’arrive tout juste du Québec où mes derniers entraînements se sont faits dans les environs de -20. Ce n’est pas le froid de l’Arizona qui me fait peur.

En arrivant sur le site, je vois les coureurs empilés les uns et sur les autres près des chaufferettes. L’image m’amuse. Il fait 5 degrés et les Arizoniens se comportent comme les touristes sur la Grande-Allée pendant le Carnaval de Québec.

Après une demi-heure d’attente avant le signal de départ, le Québécois auparavant amusé que je suis se mêle au groupe d’Arizoniens congelés. L’image ne m’amuse plus. J’ai froid moi aussi.

Puis, le départ est lancé.

Je me lance aux côtés d’une centaine de coureurs dans ce parcours de deux boucles de type « washing machine » (une boucle dans le sens horaire, puis une seconde dans le sens antihoraire).

En l’espace d’une heure, la température est grimpée à 20 degrés, les nuages sont complètement absents et le soleil tape fort.

Ma première boucle se déroule extrêmement bien. J’ai l’impression de voler sur le parcours, les paysages sont exceptionnels, j’ai du plaisir à discuter avec d’autres coureurs, bref, tout roule.

Revenu au site du départ, je passe à mon dropbag et je troque les vêtements longs pour quelque chose de plus léger. Le soleil n’a pas encore atteint son zénith et déjà, la chaleur intense se fait sentir. J’avale quelques chips, je fais le plein de gels et je repars.

Au km 35, mon estomac commence à faire des siennes. La grande quantité de gels et les écarts de température commencent à m’atteindre. Et rapidement, ma tête entre dans le même mood que mon estomac. Je me demande sérieusement ce que je fais ici. Le mur que je viens de frapper, d’abord dans le ventre, puis dans la tête, descend jusque dans mes jambes. Si je me sentais comme un poisson dans l’eau lors de la première boucle, là, je me sens comme un poisson dans le sable.

Le parcours n’a pas de grande montée ni de descente rapide. Mais, le parcours est un faux plat éternel qui finit par brûler mes jambes. Et parlant de brûler, le soleil tape de plus en plus fort. Et juste pour bien faire, le vent est tombé. Je n’avais pas frappé le célèbre « mur » du 30e km lors de mon marathon. Là, au beau milieu du désert, j’en ai frappé un.

Ce qui est l’fun d’un parcours « washing machine », c’est qu’on croise continuellement des gens. Nous sommes plus de 500 coureurs sur le parcours, que ce soit pour l’épreuve de 100 miles, de 52 miles, de 52 km, de 20 miles ou de 20 km. Tous les traileurs empruntent la même boucle à répétition, dans tous les sens.

Mais, pour une raison obscure, au moment même où j’aurais besoin de croiser un coureur souriant qui m’envoie la main, ça n’arrive pas. Je vous le jure, je n’ai pas croisé UN SEUL être humain entre le 35e et le 44e kilomètre. J’ai l’impression d’être seul au monde. Comme Tom Hanks. Mais sans Wilson.

Mon cerveau surchauffe et de drôles d’images se bousculent dans ma tête. Soudainement, j’observe l’un des milliers de cactus qui m’entourent et je trouve qu’il a l’air d’avoir les bras dans les airs, comme s’il m’encourageait. Mais avec quatre bras. « Appelons-le Timmy-Quatre-Bras ». Ça me fait rire. Et j’oublie que j’ai mal au ventre et aux jambes.

S’en suit une période de temps indéterminé où j’observe les cactus en tentant de trouver à quoi ils ressemblent. Et quand j’ai trouvé, je les baptise. Comme lorsqu’on observe des nuages. En l’absence de cumulus dans le ciel, je me rabats sur les plantes vertes et piquantes. Croyez-moi, j’ai eu du fun dans ma tête. Pendant que je donne libre cours à mon imagination (ou à ma folie), je ne pense pas à mes douleurs et je me rends tranquillement, mais sûrement, jusqu’au ravito suivant. J’avale un antiacide, je bois un verre de Coke et je repars sur la dernière portion du parcours.

Crédit photo : Yannick Vézina

Au km 46, je remarque sur ma montre que j’en suis à 5 h 20 de course. Avant le départ, un coureur racontait qu’il voulait descendre sous la barre des six heures, une marque qui semblait significative pour les habitués de l’épreuve. Avec six kilomètres à parcourir, j’ai soudainement une motivation : terminer en moins de six heures. C’est tout ce dont j’ai besoin pour retrouver le moral, arrêter de baptiser des cactus, oublier mes maux d’estomac et prendre mes jambes à mon cou jusqu’au fil d’arrivée.

J’ai finalement passé sous l’arche en 5 h 54.

J’ai complété mon premier ultra.

J’ai terminé 15e.

J’ai vécu une expérience unique et mémorable.

J’ai ensuite chillé pendant 10 jours en Arizona.

J’ai notamment découvert Flagstaff et je suis tombé en amour avec l’endroit.

Mon premier ultra est arrivé à un moment charnière de ma vie. Dans un voyage déterminant. Au pays des cactus.

Était-ce la façon la plus simple de courir un premier ultra? Non.

Était-ce une bonne idée de briser la glace dans un environnement et un climat qui m’était inconnu? Clairement pas.

Est-ce que je referais la même chose. Définitivement.

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Merci à l’organisation d’Aravaipa Running pour un superbe évènement.

Merci au directeur de course Noah Dougherty avec qui j’ai eu le plaisir de jaser.

Merci à la gentille bénévole qui faisait cuire des pizzas sur feu de bois à la ligne d’arrivée.

Merci à Timmy-Quatre-Bras pour le fou rire.

Crédit photo : mon iPhone