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Laisser la nuit s’écouler en courant

La fois où j’ai choisi de courir toute la nuit au lieu de dormir…

Il y a un mois, Matthieu m’envoie une invitation pour son événement : courir 12 h la nuit, de 19 h à 7 h, dans le Parc national de la Jacques-Cartier.

L’idée, qui semble un peu folle, m’accroche immédiatement. J’aime les plans de fous et j’adore l’ambiance qui se dégage la nuit. Toutefois, l’ensemble des sept coureurs  qui y participent sont d’excellents coureurs, beaucoup plus forts et expérimentés que moi et pas qu’un peu… C’était la première fois que j’avais l’occasion de partager une sortie de course avec des gens d’autant d’expérience et de calibre.

Matthieu me rassure, de nombreuses fois, l’idée est de courir 12 h la nuit, vivre l’expérience d’une nuit complète, et non de faire un objectif de distance. On va demeurer tous ensemble me dit-il. Il me relance plusieurs fois d’ailleurs, sentant probablement ma crainte…

Je décide finalement de m’y joindre, en me disant que de toute façon je vais rapidement les perdre de vue sur le parcours et que je n’aurai qu’à faire mon bout de chemin seule pendant la nuit; ce sera un beau défi personnel.

Je n’ai jamais fait ça… Courir 12 heures pendant la nuit complète, avant même le coucher du soleil et au-delà de son lever. Je me garde même une ouverture de pouvoir dormir quelques heures pendant la nuit.

En route vers le départ qui se donne samedi à 19 h 00, la météo se déchaîne. C’est le déluge et le vent est fort, je dois ralentir pour garder le contrôle de ma voiture, je ne vois plus rien. Je me dis alors :«Ça commence bien»… Puis, tout ça cesse complètement une quinzaine de minutes avant le départ. Il ne tombera plus rien par la suite.

Le plan : nos voitures demeurent toujours au même endroit. Elles nous serviront de ravitos, et nous effectuerons différentes boucles, dont le point de départ est cet endroit. Ça implique parfois d’avoir à courir sur l’asphalte ou des chemins de terre très ferme avec nos souliers cramponnés, ce que je trouve très difficile mentalement et physiquement.

Matthieu nous donne ses règles : on reste toujours ensemble,c e que je crains le plus, car j’ai peur que les coureurs s’impatientent. Je n’ai pas leur force, je ne veux surtout pas être un boulet pour eux. Deuxièmement : ne pas chialer/se plaindre,ce à quoi tout le monde, ou presque, a rapidement contrevenu .

19 :10 : la départ est donné. Nous nous sommes élancés sur une première boucle. La température était magnifique. On profitait d’un superbe coucher de soleil, mais on s’est vite rendus compte que c’était très humide et qu’on aurait besoin de beaucoup d’eau. Après cette boucle, je me sentais déjà mieux, constatant la cohésion dans le groupe.

Je conservais toujours un petit stress que les coureurs finissent par se tanner et veuillent partir à leur propre rythme, mais non on finissait toujours par se regrouper régulièrement. Matthieu jouait au fermeur la plupart du temps. Il me questionnait sur une base régulière pour voir si tout allait bien, s’il pouvait m’aider à quelque chose et ne me laissait d’autres options que d’entrevoir les prochains km… Il avait en tête que je, et la plupart des coureurs, fassent toute la nuit.

Plus les km avançaient, plus je me surprenais à ne pas ressentir de baisse d’énergie ou de fatigue mentale. L’envie d’arrêter dormir ne venait pas. Alors je repartais avec le groupe. L’effet de groupe et le fait que je me sentais bien parmi eux y étaient sans doute pour beaucoup. J’étais beaucoup moins dans la prospection mentale qu’à l’habitude.

Un coureur a dû quitter rapidement pendant la deuxième boucle à cause d’une blessure. Puis un autre après cette deuxième boucle parce qu’il devait retourner chez lui. Un autre s’est joint à nous à partir de la troisième boucle. Après une cinquantaine de km, deux autres coureurs ont quitté. Nous avons fait une plus petite boucle, puis celui qui nous avait rejoints à minuit a à son tour quitté. Nous nous retrouvions Jasmin, Matthieu et moi. 

Matthieu avait la très ferme intention de rejoindre le sentier des Loups pour le lever du soleil. Il me donna l’option, comme je ressentais le besoin de faire une petite pause, de prendre ma voiture pour aller à l’entrée du sentier, les y rejoindre plutôt que de courir les 6 km aller-retour pour accéder au sentier. J’ai décidé de prendre un repos à ce moment et de réfléchir à ce que j’allais faire ensuite. Hors de question que j’arrête cette aventure ici, non!

Il restait seulement un peu plus de deux heures à cette nuit, et mis à part cette petite fatigue, je n’avais aucun problème qui justifiait d’arrêter et le plus important j’avais beaucoup de plaisir à y  être. Toutefois, je voulais choisir un parcours qui allait convenir à mon niveau de fatigue, histoire de ne pas finir péniblement.

J’ai dormi 15 minutes. Je me suis réveillée beaucoup mieux qu’avant cette sieste. Toutefois, je me suis réveillée frigorifiée. Je ne pouvais pas rester dans cet état encore longtemps. J’avais deux choix : partir le chauffage de ma voiture ou je repartais courir pour me réchauffer. J’ai regardé l’heure et j’ai vu qu’il me restait environ 1 h 40 avant 7 h 00. J’avais donc suffisamment de temps, si je partais tout de suite, pour refaire une boucle d’environ 11 km.

Je ne me sentais pas du tout d’attaque pour la boucle que Jasmin et Matthieu avaient attaquée et de toute façon je dépassais probablement de quelques minutes le moment où ils avaient rejoint l’entrée du sentier. J’en ai donc choisi une autre qui me donnerait une vue au sommet pour profiter du lever du soleil. Je suis donc partie seule…

J’ai l’habitude de courir seule, j’aime ça même, mais à ce moment, ça m’apparaissait étrange, parce que toutes les heures précédentes j’avais bénéficié du soutien et de l’accompagnement des autres coureurs et de leur divertissement…

Par ailleurs, c’est une aventure que l’on avait parcourue tous ensemble jusque-là. Je partais seule dans le moment où j’étais le plus fatiguée. J’ai tout de même décidé de foncer et d’y aller pour atteindre l’objectif d’aller jusqu’au bout de cette nuit complète de course. Il y avait tout de même une petite excitation, fébrilité même, à entreprendre cette boucle, avec cette limite de temps qui me guettait et devoir manœuvrer avec mon état pour y parvenir. Dans les faits, c’était un événement amical, il n’y aurait eu aucune conséquence à ce que je dépasse le temps prévu, et je ne m’étais mis aucune pression de km ou de temps que j’accomplirais pendant cette nuit. Mais, j’en faisais mon défi personnel et j’avais en tête un échange que j’avais eu avec Matthieu plus tôt. Je me disais je suis encore capable d’avancer alors je dois continuer. Je n’avais aucun problème physique ou même de motivation.

Note : j’avais en fait 10 minutes de plus que ce que je m’imposais comme contrainte, puisque l’on avait commencé avec 10 minutes de retard.

Je me suis élancée dans cette boucle et, dès les premiers pas de course, j’ai compris que ce ne serait pas facile… Je sentais la fatigue du corps, mon corps s’était réchauffé très (trop) vite, ce qui me causait une nausée latente. J’ai décidé d’avancer et au pire, je reviendrais sur mes pas pour entrer dans le temps. Arrivée au sommet, il ne me restait qu’à redescendre et longer la rivière. J’ai alors réalisé que j’avais une marge de manœuvre, pas énorme mais assez grande pour pouvoir y arriver si je maintenais le cap. J’ai même eu le temps de m’arrêter prendre quelques clichés du jour qui se levait sur le parc.

Pendant que je courrais, je pensais à Jasmin et Matthieu qui étaient sur leur longue boucle et je me demandais comment ça allait pour eux. Je n’avais aucun autre moyen de le savoir que de terminer ma boucle et retourner à l’auto. Et eux, à ce moment, ignoraient complètement que j’étais en train de courir. Comme je ne les avais pas rejoints à l’entrée du sentier, ils pensaient probablement que je m’étais simplement arrêtée.

Finalement, j’ai réussi à maintenir un rythme constant sur les 6 derniers km et à arriver à la voiture à 6 h 59, ce que je croyais être une minute avant la fin qui était finalement 7 h 10.

Finalement, c’est 63.1 km et 2000m de D+ que j’aurai parcourus en 8 h 47  pendant cette nuit.

J’ai fait bien au-delà de ce que je croyais, tant en km que le fait que je ne croyais pas passer toute la nuit dans les sentiers. Par ailleurs, je ne m’étais pas du tout préparée physiquement pour cet événement. Je n’ai pas réduit mon volume de courses dans la semaine, j’ai même couru le matin de ce défi. J’accumule une fatigue liée à mon travail depuis un certain temps. J’étais simplement heureuse de prendre part à cette aventure et c’est l’esprit léger que je m’y lançais.

Mon incroyable expérience lors de ce défi, je la dois à ces sept coureurs qui ont une énergie incroyable et un bel esprit de coureur, des gens vrais, et avec qui j’ai partagé toutes ces heures. Ils prenaient part à cet événement pour vivre quelque chose de particulier et pour s’amuser. Pas de pression. Je dois aussi les remercier de leur patience, car jamais ils ne m’ont fait sentir que je nuisais à leur expérience. Je me sentais à ma place parmi eux. Il y avait un bel esprit d’équipe et d’entraide. Je pouvais courir l’esprit léger, sans me stresser. Par ailleurs, ils m’ont permis de me surpasser en termes de performance, car je m’efforçais tout de même d’essayer de maintenir un effort constant, supérieur à ce que j’aurais fait si j’avais été seule.

Tout au long de ce défi, Matthieu a contribué à garder mon mindset sur l’objectif simple : continuer d’avancer sans se poser de questions qui n’ont pas lieu d’être. Sa façon de faire le point, de ramener les choses en perspective, la confiance qu’il semblait avoir en ma capacité de poursuivre avec eux, sans jamais me remettre en question, et de mettre l’objectif sur la prochaine étape m’ont beaucoup aidée à garder mon focus. Notre directeur de course prenait soin de ses coureurs.

Ce défi aura eu un impact important sur ma confiance, mon mental, ma perspective et je lui en suis très reconnaissante.  C’est fou comme je réalise l’impact que peuvent avoir les gens avec qui on court! J’ai vraiment adoré mon expérience unique pendant cette nuit! Je me suis amusée! Je me surprends moi-même de la légèreté d’esprit avec laquelle je suis passé au travers de cette nuit. J’ai juste hâte de revivre une autre expérience comme celle-là. Chacun des coureurs qui a pris part à ce défi a accompli de grandes choses, en repoussant ses limites.

C’est souvent quand on lâche prise et qu’on se laisse porter par le moment présent que la magie opère.