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La fois où j'ai couru 31 jours consécutifs

31 mars 2018.

J’aperçois le quai des Cageux, au loin.

Je suis à quelques centaines de mètres de la fin de cette sortie de course de 31 kilomètres.

Je suis à quelques centaines de mètres de la fin de ce défi de fou. 31 jours consécutifs à courir. Une moyenne de 10 kilomètres par jour. Depuis un mois. Pas de break.

Je suis aux devants d’un peloton de coureurs. Des ami(e)s qui me supportent. Certains sont venus courir les cinq derniers kilomètres avec moi. D’autres 10. Un autre 31 (salut Dom!)

J’ai un regain d’énergie. J’accélère la cadence. Je vois le groupe qui m’attend au quai. Des amis. Des collègues. De la famille. Ma mère. Je me détache du peloton et je survole les derniers mètres comme si c’était les premiers.

Mais pourquoi courir 31 jours consécutifs ? Et pourquoi 31 km le 31 mars ?

Petit retour en arrière.

En décembre 2017, j’entends parler du défi de course que s’est lancée l’animatrice Alexandra Diaz : courir 10 km tous les jours pendant 31 jours. Le coureur d’endurance (en devenir) en moi se pose la question : serais-je capable ? Je me dis qu’en attendant les compétitions estivales, je pourrais essayer. Pour voir. Pour le fun.

En janvier 2018, ma mère est hospitalisée. Je vous épargne les détails, mais c’était grave. Très grave. On a failli la perdre. Mais, c’est une battante à la couenne dure. Elle a sacré une volée à la bactérie menaçant sa vie.

Février 2018, dans sa chambre de l’Hôtel-Dieu de Québec, on discute. On parle des soins exceptionnels qu’elle a reçus du personnel hospitalier. Celles et ceux qui lui ont sauvé la vie. On cherche une manière originale de les remercier.

Puis, l’idée me vient en tête : associer une collecte de fonds au défi de course qui me trotte en tête. Dans la vie, je suis créatif et je tiens ça de ma mère. Deux cerveaux créatifs qui ont du temps à tuer, ça y va aux toasts! On brainstorm et on en vient avec le concept du Défi 31 : courir 310 km en 31 jours au profit de la Fondation du CHU de Québec.

Je venais de trouver la raison qui me manquait pour me lancer dans ce défi.

Quelques semaines plus tard.

Le mois de février me permet de faire deux choses : préparer l’organisation de mon défi et préparer mon corps à un volume moyen de 70 kilomètres par semaine. À l’époque, ça tournait plutôt autour de 40 ou 50. Et l’absence complète de journée de pause m’effraie un peu. Je consulte une amie kiné, question de challenger mon plan de match. Elle me conseille de ne pas courir littéralement 10 kilomètres tous les jours, mais de plutôt viser une moyenne de 10 par jour, question d’arriver à mon chiffre magique de 310 à la fin du mois. Je devrai en faire davantage certaines journées, mais également en faire moins à d’autres. Mes journées de « repos » seront donc des journées à faible kilométrage. J’aime l’idée et j’y adhère!

Je tourne aussi une petite vidéo pour expliquer mon défi. Au final, le but est d’amasser des fonds pour la Fondation du CHU de Québec. Le défi sportif, c’est en second plan. Je fixe un objectif de 2 000$, et je promets que si on atteint ce chiffre magique, je poursuivrai dans la thématique « 31 » et je courrai 31 kilomètres le 31 mars, pour terminer mon mois de course en force.

À quelques jours du début, je publie ça sur mes médias sociaux personnels. Rapidement, ça fait le tour de mon réseau et les dons affluent. À un rythme que je n’anticipais pas. Des amis. De la famille. Des collègues. Des connaissances lointaines. Et des gens que je ne connais pas.

5$. 20$. 31$. 200$. Je trouve les gens généreux. J’ai pas encore couru une journée de mon défi et on fracasse déjà la barre des 1000$. Soit les gens sont touchés par l’histoire, soit les gens veulent vraiment me voir souffrir le 31 mars. Un ou l’autre, j’suis ben content!

1er mars 2018.

Ça commence pour vrai. Le montant déjà amassé me crinque et je pars en force avec une première sortie de 16 kilomètres au beau milieu d’une tempête de neige. Ça part en force! Chaque jour, je termine ma course en prenant une photo avec un petit tableau blanc qui fait état de l’avancement de mon défi. Chaque jour, ça ressemble à ça :

3 mars 2018.

Mon mois de course vient à peine de commencer et on dépasse déjà l’objectif de 2 000$. Je pensais réussir à maintenir le suspense un peu plus longtemps, mais non! J’ai à peine une trentaine de kilomètres de courus sur mon objectif de 310 que je sais déjà que le 31 mars, j’ai rendez-vous avec 31 kilomètres! Ce défi prend une tournure et une envergure à laquelle je ne m’attendais pas.

7 mars 2018.

On vient de fracasser la barre des 3 000$ et mes jambes commencent à me faire sentir l’accumulation de volume. Je ne suis pas sorti du bois! Mais, j’ai la motivation dans le piton et il n’y a rien qui peut m’arrêter. Au même moment, ma mère, tout juste de retour à la maison, entame une période intense de réhabilitation. C’est elle qui relève le vrai défi.

J’en viens à développer un horaire optimal de course qui me permet le maximum de repos. Le lundi, je cours tard en soirée. Le mardi, je cours tôt en matinée. Le mercredi, je cours tard en soirée. Le jeudi, retour aux petites heures du matin pour courir. Le vendredi, je cours OK VOUS COMPRENNEZ. De cette manière, je bénéficie d’un repos de plus de 36 heures entre mes sorties du mardi et du mercredi. Une petite victoire pour mes jambes qui commencent réellement à se demander qui est l’idiot qui leur impose cette rude épreuve.

9 mars 2018.

Je découvre les bienfaits du rouleau et ça change ma vie. Je sais que je m’impose un rythme d’entraînement qui n’est pas optimal pour la prévention des blessures, mais je ne dérogerai pas de mon but alors je trouve des solutions. Et le rouleau en est une. Ce genre de défi demande une discipline de vie. Du sommeil de qualité pour la récupération. Une alimentation complète pour supporter les efforts. Des exercices pour détendre les muscles. Pas trop d’alcool… (je ne deviendrai quand même pas plus catholique que le pape, n’est-ce pas?)

15 mars 2018.

Chose promise, chose due. Je vais courir 31 km le 31 mars. Mais, j’ai envie de transformer ce défi personnel en défi de groupe. Je publie la carte de mon parcours, qui commencera au Lac-Beauport et qui se terminera au Quai des Cageux, en bordure du fleuve. J’établis des temps de passage approximatif et j’invite les gens à venir courir des portions du parcours avec moi. Ça va être tout un party! 

30 mars 2018.

Mon défi a fait du chemin, si bien que je me rends dans les studios de Radio-Canada pour parler de mon passe-temps du mois avec l’équipe en studio. Je parle de mes motivations, je parle de ma mère, je parle des 31 derniers kilomètres qui m’attendent le lendemain et je parle des généreux donateurs. À ce moment, ils sont une centaine. 130, très exactement! Et nous avons fracassé la barre des 5 000$. C’est complètement fou.

31 mars 2018.

J’arrive au Quai des Cageux. En plus de la dizaine de coureurs qui m’accompagnent à la ligne d’arrivée et de ceux qui sont venus plus tôt sur le parcours, j’ai de la famille, des amis et des collègues qui m’accueillent. L’ambiance est à la fête. Les conducteurs qui passent sur la Promenade Champlain doivent vraiment se demander ce qu’une vingtaine de personnes célèbrent un samedi matin de mars sur le bord du fleuve… On s’en fout, nous, on vit quelque chose de beau. Un défi personnel devenu un trip de gang. Un petit geste de remerciements devenu une grande collecte de fonds.

Quelque chose de spécial s’est passé au cours de ce mois de mars 2018. Quelque chose de vraiment spécial. Une page qui s’est tournée. Le début d’un nouveau chapitre. Plein de métaphores de livre pour cacher le fait que j’ai encore de la difficulté, dix-huit mois plus tard, à comprendre tout ce que ce mois de mars représente.

15 août 2019.

C’est la première fois que je repense réellement à ce mois de fou. À ce Défi 31. À tous ces gens qui ont donné. Aux 5 528$ qu’on a remis à la Fondation du CHU de Québec. À toutes les personnes qui m’ont supporté là-dedans. À celles et ceux qui sont venus courir avec moi. À ma mère qui est maintenant complètement rétablie. Imaginez-vous donc que cet été, dix-huit mois après ce cauchemar, elle s’est mise au seul sport qu’elle n’avait pas encore pratiqué : la course à pied!

Certains liront ce texte et diront que je me suis exposé à des risques élevés de blessures. (Dont mon amie kiné qui m’a accompagné dans ce défi)

D’autres se demanderont où est le défi. (Je peux comprendre, j’ai augmenté mon volume d’entraînement depuis ce temps et j’ai couru pas mal plus que 310 kilomètres en mars 2019)

Mais le Défi 31, aussi insouciant (ou facile) qu’il puisse paraître, a été une expérience humaine incroyable. Une autre preuve que le sport rassemble. Qu’en gang, on peut accomplir de grandes choses.

Et personnellement, ce défi d’endurance m’a donné la piqûre. Je courais depuis longtemps. Je participais déjà à des compétitions sportives. Je m’étais lancé dans des courses d’endurance. Mais, en mars 2018, j’ai compris que je n’étais jamais allé au bout de mes capacités. Et avec le Défi 31, j’y suis arrivé. Et j’ai pris goût à cette quête de repousser mes limites. Au fond, c’est ça l’ultra-trail. La majorité des coureurs qui participent à des courses le font pour se dépasser. Être en compétition avec eux-mêmes. Un face à face brutal qui oppose leurs aptitudes physiques et leur conscience. Les coureurs avec qui j’ai la chance de jaser lors de courses semblent tous en quête de leur limite physique. Et quand ils la trouvent, ils cherchent à la dépasser. Et quand cette limite devient « normale », ils augmentent le niveau. Visent de nouveaux défis.

Personnellement, c’est là où j’en suis. 80 km ? 100 ? 125 ? 160, peut-être? Qui sait.

Et pour ce qui est du Défi 31, j’ai le feeling que je le ressortirai des boules à mite. Dans une formule différente. Repensée. Plus collaborative. Et encore plus ambitieuse. À suivre!