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Harricana plein la tête

Les jours précédents un ultra sont des plus importants pour l’athlète. L’affûtage classique qui précède l’épreuve doit être accompagné de plusieurs heures de sommeil et d’une alimentation adéquate. Durant ces derniers jours, on est à la recherche du contexte parfait pour prendre le départ et se placer dans des conditions gagnantes pour vivre pleinement cette folie dans les sentiers. On ne peut cependant tout contrôler et tout prévenir, il faut savoir s’adapter et faire face aux imprévus. Je voulais partager avec vous dans ce récit la story derrière ma 17e place au 125 km Harricana 2019, que je trouve personnellement invraisemblable.

Jeudi soir 5 septembre

L’excitation est à son comble. À peine plus de 24 h avant le départ d’une longue journée de course dans les sentiers du Parc des Hautes-Gorges. Je jette un œil sur mon matériel, ma bouffe et tout le reste, tourne à gauche, tourne à droite et soudain, des étourdissements et des vertiges commencent à me faire tourner la tête. Ah! non, merde c’est pas vrai, ça va pas me prendre maintenant?

Mis en contexte

Ça fait aujourd’hui 2 ans et demi que je me suis réveillé un matin pour la première fois avec une mega crise de vertiges. Dans ces moments qui durent 2-3 semaines, je me sens mêlé mentalement, j’ai l’oreille bouchée, j’ai des crises de vertiges positionnels de courtes durées qui me clouent au plancher, mais qui passent comme si j’avais rêvé. (Le lendemain, je peux être flambant neuf. Il y a deux semaines j’ai eu une crise qui m’a rendu malade et le lendemain je partais courir un 70 km avec le sourire). Dans les dernières années, j’ai eu environ quatre périodes similaires qui apparaissaient sans vraiment m’avertir, mais qui se dissipaient aussi rapidement. Jamais l’une d’elles ne m’avait empêché de vivre un moment important; ça devait arriver un jour ou l’autre et le destin avait choisi Harricana.

Comment prévoir?

La dernière période de ce genre remontait à novembre dernier; j’avais presque oublié et commencé à croire que c’était derrière moi. Mais pourquoi maintenant? On se calme, comme d’habitude ça va passer… Va te coucher et demain matin tu seras probablement mieux. Mais non…

Vendredi matin 6 septembre

Je n’étais même pas capable d’aller porter ma fille à l’école, pas en état de marcher, conduire mon auto et même regarder la télé. J’ai pris contact avec mon ORL qui accepta de me voir en matinée (Encore merci!) et qui suite à ce rendez-vous, me confirma que j’avais la maladie de Ménière, chose qu’on anticipait depuis deux ans. À la fin de notre entretien, j’ai osé poser la question suivante au médecin:

« Si ce soir je vais mieux, est-ce que vous croyez que je pourrai subir une course de 125 km? »

Je vous laisse deviner la réponse et le regard de mon médecin, mais je vous confirme qu’elle n’a pas pensé possible ce que je venais d’affirmer.

« 125 km? Va te reposer, tu seras meilleur la prochaine fois »

J’ai hâte de vous revoir madame Nadeau, soyez indulgente avec moi, ne me chicanez pas trop. J’ai pourtant fait ce que vous m’aviez dit à notre première rencontre lorsque vous m’expliquiez que le plus gros défi de cette maladie était de ne pas s’empêcher de vivre.

Vendredi midi 6 septembre

De retour à la maison, je m’étends sur le divan, un dodo de 30 minutes me fait du bien. Mon chum Yan me texte qu’il arrive dans cinq min, je ramasse mes affaires sans me rendre malade, j’hésite entre monter là-bas et risquer d’être déçu de ne pouvoir faire partie de l’événement, ou rester à la maison tranquille en gardant loin de mon regard le plaisir des autres loups qui auront la chance de partir cette nuit. Ma réflexion du moment me faisait réaliser que la santé c’était fragile et qu’on réalise jamais assez une fois qu’on l’a à quel point on est chanceux, n’est-ce pas papa? Je dois y aller, prendre la chance… Qui sait si je ne suis pas actuellement plus en forme que je ne le serai l’an prochain et que je regretterai de ne pas l’avoir réalisé aujourd’hui?

En route pour la Malbaie, je pense à René qui ce matin me faisait penser qu’au pire, un bon week-end dans un chalet dans Charlevoix à me reposer me fera du bien. Mais qui pense que je suis ici pour rester au chalet, j’ai toujours espoir que ça pourrait passer et je veux y croire. Dodo dans l’auto, anyway si j’ouvre les yeux et que je regarde par la fenêtre je vais être malade. Nous voilà arrivés à l’église de La Malbaie pour ramasser nos dossards, j’ai peine à me tenir debout seul… J’ai pas osé demander à Yan de m’aider puisque je me voyais mal expliquer à la bénévole que je venais chercher mon dossard pour le 125 km, mais que je tenais pas debout à moitié.

J’ai quand même opté pour expliquer la situation aux organisateurs afin d’avoir la conscience plus tranquille si je devais abandonner en plein milieu des Morios. S’ils ne m’empêchent pas de prendre ce départ, ce n’est pas moi qui va le faire. Tout le monde et surtout mes amis voyaient bien que j’étais mêlé en me regardant dans les yeux. Mais je sentais qu’ils me jugeaient légèrement, sans mauvaises intentions. (Y’a pas grand monde qui connait ça Ménière, j’avais jamais entendu ça avant, moi).

Les gens semblaient croire que c’était le stress et la nervosité d’avant course que j’avais de la misère à gérer ou contrôler. J’ai moi-même douté durant la journée, ma conclusion s’avérera être que le stress n’aidait justement pas les vertiges à disparaître, mais qu’il n’en était pas la cause initiale. J’en ai pris quand même plus d’une centaine de départs de course en vélo ou à pied dans ma vie, le stress pré course je connais bien, ma condition actuelle est différente.

Ce truc de Ménière m’a vraiment empesté la vie ces dernières années et pas uniquement en lien avec le sport, mais j’ai fait le choix de l’ignorer un peu et de profiter des bons moments au lieu d’avoir peur et de m’empêcher de vivre en me disant que j’étais plus capable de tout ça, que ce n’était plus pour moi. J’aime beaucoup trop le sport, aujourd’hui c’était ma journée, ma course, je suis prêt, excité, j’ai hâte… La vie peut-elle me foutre la paix pour 17 heures 58 minutes le temps de vivre mon moment?

Vendredi soir 6 septembre

Au chalet je garde le focus sur ma préparation, mais je commence à me faire à l’idée qu’il ne serait assurément pas raisonnable et responsable de me pointer le nez au départ dans mon état actuel. Et si ça s’intensifiait en plein milieu de la course, la nuit, que je suis plus capable de tenir debout, l’organisation et le monde entier me trouveraient drôlement con d’avoir pris le départ… Sur cette réflexion à voix haute y’a Matt qui me lance:

–  Tu me fais penser à quelqu’un, quelqu’un que j’aime beaucoup d’ailleurs et un jour je lui ai dit : « Une chose à la fois, regarde pas les problèmes qui pourraient subvenir, concentre-toi sur celui que tu as présentement »

« Tu as bien raison Matt, je vais commencer par aller me coucher et je déciderai de mon sort à 22 h 30 au lever. Sur ce, bon repos, il est 18 h 30, essayons de dormir un peu. »

Mais, qui dort en début de soirée avant le départ d’un 125 km? Moi, j’ai fermé l’œil 2h, trop hâte de voir si tantôt quand je mettrai mes pieds sur le sol, le monde tournera encore sans arrêt autour de moi.

Vendredi tard 22 h 30 Le réveil-matin sonne, je me lève doucement les doigts croisés et je constate que je suis en mesure de faire cette course. Les vertiges sont très légers et je me sens beaucoup mieux, pas top, mais bon, je vais apprécier ce que j’ai et aller m’amuser.

« Les gars! Je vais être ok, je prends le départ! »

Oui, ce qui était supposé être un récit de course a plutôt pris la forme d’un témoignage, mais chaque course comporte des défis différents et ils ne sont pas uniquement ceux qu’on anticipe d’avance. Comme si un ultra c’était pas assez, j’avais besoin d’un handicap supplémentaire que je souhaitais partager. Maintenant, voici quelques high light en rafale qu’on en finisse avec cette histoire.


À la Zec des Martes

L’atmosphère était hors catégorie, il est 2 h, la fraîcheur de la nuit nous fait vapoter et sautiller. L’avant-poste n’est pas pour moi aujourd’hui, je n’avais jamais autant apprécié le privilège de pouvoir faire partie de la meute. Malgré la tentation de Speedy Barry de démarrer cette journée au front, je me concentre uniquement à apprécier la chance que j’ai de pouvoir être en état de courir. J’ai peine à y croire, mais il y a 8 h, je marchais encore tout croche, je suis ici pour finir et rien d’autre.

Mont du lac à l’Empêche

Rapidement je dois m’avouer que je suis pas moi même aujourd’hui : regarder trop à gauche ou à droite rapidement, me demande un certain moment d’adaptation pour retrouver le focus vers l’avant. (Même prendre une gorgée d’eau dans mes bidons me donne le tournis.)

Morios

Le crépuscule n’est pas loin, pour ma part le lever du soleil a été synchronisé avec mon arrivée en haut du sommet. L’énergie que cela procure chez moi à chaque fois me donne un air d’aller significatif.

Marmotte

C’est l’heure du déjeuner, mais ce matin on va manger des patates et des jujubes. La lumière du jour m’aide à courir un peu plus droit, je suis en solo, dans mes pensées.

Chouette

Je traîne un peu les pieds, la distinction entre la fatigue et les étourdissements est difficile à faire. J’ai besoin d’une chaise pour m’asseoir cinq min; je me doutais bien que ma santé allait possiblement me rattraper. Ça m’a quand même donné la chance de rencontrer une bénévole spéciale qui s’est souciée de moi et qui m’a donné le sourire pour continuer.

Hautes-Gorges

Matt m’a rattrapé, enfin de la compagnie. D’une grande générosité, il m’accompagne depuis le coyote, ce qui me permet de défocusser sur mes étourdissements un peu et de m’amuser. On peut-tu en dire des conneries deux gars seuls dans le bois!

Geai bleu

J’ai bien apprécié le tour de magie que m’a fait Matt dans le sentier. Je vous épargne les détails.

Coyote

Je sais que si je passe cette section, il ne restera qu’à rentrer. Je sers les dents et un kilomètre à la fois je m’approche de la fin, fier d’y être, fier d’avoir pris la bonne décision de me présenter au départ. Je vais finir cette course, maintenant plusieurs autres problèmes autres que les étourdissements prennent le dessus.

L’Épervier

On va se dire les vraies affaires, il est faux que les distances de descentes sont plus faciles que celles en montées. Descendre plusieurs kilomètres de chemin forestier ça te brise les jambes comme si tu te faisais battre à coup de bat de baseball par des bandits. (J’ai vu ça dans un film)

Split

Matt disparaît dans le retour de la nuit. Il a été emporté par l’annonce officielle de la victoire de Speedy Barry, les C.U.T.E. ont hâte de se retrouver!

Montagne Noire

« Je pensais jamais que tu terminerais cette course toi » « Moi non plus, mais tu me connais mal. »

Finish Mont Grand-Fond

Entendre l’animation du finish au loin, savoir que des amis t’attendent, réaliser que tu as réussi quelque chose de grand pour toi, ça fait du bien! Y’a Édouard, le garçon de mes amis qui veut venir terminer les derniers mètres de course avec moi, c’est un honneur. Un honneur dont par des moments comme ceux-là, tu apprends par l’exemple sur le courage et la détermination mon Ed. Cette petite côte devant toi n’est que le début des moments de dénivelé que la vie va t’apporter. Allez, fonce!

On a tout ce qu’il faut pour terminer les multiples épreuves que nous apporte le quotidien et ce moment précis en est pour moi la preuve. Aujourd’hui, j’en ai botté des roches avec mes pauvres orteils, manqué des racines et j’ai perdu l’équilibre, beaucoup plus qu’à l’habitude. C’était un pied de nez à la maladie, un beau moment de prise de conscience. Ceux qui se demandent pourquoi on fait ça des ultras? Je répondrais simplement pour les choses basiques que la vie peut nous apporter, mais qu’on a tendance à oublier : les amis, le bonheur et la santé.