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UTHC125 : deux journées en une

Le récit de la journée du samedi 7 septembre 2019, nous allons l’écrire à deux, Guillaume et moi. Nous avons vécu tous les deux une journée bien différente, mais au final, la victoire est commune.

Marjorie. Guillaume. 

Samedi 7 septembre. 1 h.

Le réveil sonne. Comme nous dormons tous les cinq dans une van, c’est tout le monde qui se réveille. Mais les enfants somnolent au son des derniers préparatifs de Guillaume. Je le vois se marquer sur l’avant-bras les distances entre les ravitaillements. Je me rends compte à cet instant que la journée sera longue. Tous ces kilomètres qu’il s’apprête à avaler, toutes ces heures qu’il s’apprête à voir défiler, seul, sur les sentiers. Depuis des jours que je réfléchis aux derniers mots que je lui dirai avant de le laisser sur la ligne de départ. On reste silencieux jusqu’au moment de quitter la van.

Les bus scolaires commencent à arriver. On retrouve les autres coureurs, Matthieu, Dominic, Jasmin, François, Anne et Josée. Je suis tellement contente que Guillaume soit entouré par cette belle gang. Il ne sera pas seul sur les sentiers. Je sais qu’il est poussé par l’énergie de ses amis. Ils croient en lui plus que lui-même. Il reste quelques minutes avant le départ. Je l’embrasse une dernière fois et les seuls mots qui me viennent à l’esprit finalement : « Tu as le droit d’être premier, tu as le droit d’être dernier aussi, mais tu as le droit d’être premier ».

Je ne sais pas si j’ai dormi. Je sais que je suis resté au moins allongé quelques heures… Je me sens bien. J’imagine que mon corps sait ce qui va arriver et s’est préparé à souffrir. Je mange du yogourt et du granola, les restes du petit déjeuner de Louisa de la veille. Je suis dans une bulle et tout ce qui se passe autour me gêne. J’essaie de rester calme et je ne veux pas être désagréable avec toute ma famille venue me soutenir.

2 h. Le départ est donné. Je crie déjà fort le nom de Guillaume pour le pousser dans la nuit. Je le perds de vue rapidement au milieu des 250 autres coureurs. Je retourne dans la van. Les enfants attendaient mon retour pour savoir si tout allait bien. Ils disent en coeur « go go go papa » et se rendorment. J’essaie tant bien que mal de me rendormir aussi, mais impossible de fermer l’oeil.

C’est parti pour un tour et un gros tour. Je perds rapidement mes potes, il fait noir et je me dis qu’il faut que je me place suffisamment bien pour ne pas être trop ralenti dans la première montée du mont Dufour. Tout va très bien, je discute avec d’autres trailers, on échange quelques mots (Comment tu t’appelles? Tu viens d’où? etc..). C’est la première fois que je participe à un trail de nuit, j’adore ! Je sens cette même énergie émaner de tous les coureurs. C’est magique!

5 h. Mont Morios, tout va toujours bien, je suis troisième à mon étonnement, je me dis que je suis sûrement parti trop vite, mais je ne veux pas trop ralentir, Aurélien Collet est passé devant moi depuis quelques kilomètres. Je discute avec les supers bénévoles avant la montée du mont Morios. Je grimpe, je garde un rythme assez élevé à mon goût mais j’y vais au feeling. J’ai déjà englouti mon wrap sur les conseils de P.M. Arcand. Vue imprenable au sommet, c’est encore magique, tout est rose au loin. J’aperçois le ravito des marmottes en bas. Je redescends et je croise Matthieu Fortin, le pied ! On a le temps de se dire des conneries, le moral toujours au top, mémorable.

6 h. Je n’en peux plus de tourner en rond, il fait froid dans la van. Il n’y a pas de réseau cellulaire. Je ne peux pas vérifier comment ça se passe pour Guillaume. Je dis aux enfants qu’on va rouler jusqu’au Parc des Hautes-Gorges et qu’on déjeunera là-bas. Guillaume m’avait dit qu’il y serait vers 9 h 30, pas avant…

J’arrive au ravito les Marmottes, j’aperçois Aurélien qui repart juste. Je vois les marqueurs au sol qui prennent nos temps. Je me dis que Marjo saura enfin où je suis, je pense à elle et aux enfants. Je prends le temps de bien manger (des patates et du sel), je discute avec Isabelle Bernier. Je repars et j’aperçois le 4e qui arrive ( sûrement Johan Trimaille). J’essaie de maintenir une bonne allure, si jamais j’arrive à rattraper Aurélien…

6  h30. Je ne tiens plus. Je me stationne au bord de la route. J’ai du réseau. J’ouvre l’application Sportstats. Je n’en crois pas mes yeux. Guillaume est 3ème.  Je regarde son temps de course, c’est trop vite. Ce n’est pas ce qu’il a prévu. J’espère pouvoir lui parler lors de son arrêt au ravitaillement. Je veux juste savoir s’il va bien. J’annonce la position de Guillaume aux enfants. Ils sont fous de joie. Wow 3ème !

Je retrouve Aurélien qui ne me reconnait pas, eh! oui la dernière fois qu’on a jasé, il faisait nuit ! Je le suis malgré son allure soutenu. Je ne pense même pas au premier (David Jeker) mais Aurélien est à sa poursuite.

7 h. Arrivés au Parc des Hautes-Gorges. Pas de réseau. On déjeune et je dis aux enfants qu’à 8 h, on se dirigera vers le ravitaillement pour se connecter au wifi. Ils se parent de tatouages de loups. On est tous avec Guillaume.

8 h. On retrouve Amélie qui a fini son bénévolat. On vérifie ensemble la position de Guillaume et des autres amis. Guillaume est toujours 3ème. C’est le temps de partager la nouvelle sur les réseaux sociaux. Nos familles, en France, suivent la course à distance à travers moi et à travers les amis à Québec qui partagent l’information. Ils ont du réseau eux. Tout le monde est derrière Guillaume, je suis sûre qu’il entend leurs voix.

8 h 30. Sur Sportstats, l’arrivée de Guillaume au ravitaillement est prévue pour 9 h 30. On a le temps. On jase. Les enfants restent au chaud dans le pavillon d’accueil. La tente de ravitaillement est à quelques pas dehors, assez loin du réseau wifi malheureusement. Le réseau, le nerf de la guerre cette journée-là. Je fais les 100 pas entre dehors et dedans, je ne veux pas le rater.

Enfin! Je sens le soulagement d’Aurélien à la vue de David, nous rattrapons le premier, cela me redonne un peu de jus. Aurélien accélère la cadence pris d’un énergie folle. David reste à ses côtés; j’ai du mal à tenir ce rythme surtout dans les descentes caillouteuses. Je sens que je suis en sur-régime. Je parviens à garder l’oeil sur les deux premiers qui semblent se faire un sprint. Je réfléchis et j’estime que je n’ai plus de plaisir, je suis les deux premiers par stupidité juste parce qu’il ne faut pas les perdre. Je finis par arriver à leur hauteur. Ma décision est prise, au ravito des Hautes Gorges, j’annoncerai à Marjo que je ralentis et que je ferais ma course en gardant du fun et qu’elle ne s’inquiète pas si je descends dans le classement.

8 h 45. David Jeker arrive. Puis Guillaume quelques minutes après. Il rentre dans la tente du ravitaillement. Il parle avec David qui ne prend que quelques secondes pour remplir ses gourdes. Guillaume dit que ça va trop vite. Aurélien Collet arrive aussi. On attend avec les enfants dans l’aire des équipes de soutien. Je le vois qu’il a poussé fort pour ces 60 premiers kilomètres. Pas besoin de lui dire que ça va trop vite, il le sait et le dit et redit. Je suis admirative de sa lucidité et de son mental. Il ne reste pas aussi longtemps que prévu au ravitaillement mais il se sent bien. Je vois dans son regard qu’il vient de prendre une décision. Les enfants et moi, on le laisse partir poussé par nos encouragements et par tous les encouragements des bénévoles et gens présents au ravitaillement.

C’est le seul moment de la course où on pourra voir Guillaume, la prochaine fois ce sera à l’arrivée et il me tarde déjà.

Me voilà soulagé, je repars à mon rythme sans pression, je sais en plus que la prochaine portion est très longue. Je maintiens tout de même une allure élevée mais je me sens plus léger.

9 h 15. Je rattrape Aurélien à ma grande surprise, le malheureux a des problèmes gastriques. Je le plains et je le trouve très fort malgré ce qui se passe dans son estomac… Je me dis qu’il me rattrapera dans quelques kilo. Nous rentrons dans une section très longue et très technique. J’adore ce genre de sentier mais je commence à avoir des passages à vide où les jambes tirent, les genoux aussi. Je me concentre pour ne pas tomber, j’avale un gel plein de caféine et je me dis que ça ira mieux dans quelques temps, que c’est normal d’avoir des moments durs. 

10 h 45. Matthieu et Dominic viennent de passer au ravitaillement des Hautes-Gorges. Je les admire. Matthieu a une verve incroyable. Je ne connais pas quelqu’un de plus enthousiaste que lui dans toutes les situations qu’un trail peut offrir. Ils sont beaux à voir tous les deux, le sourire aux lèvres comme s’ils venaient de courir un 5 km.

11 h. Je quitte Amélie pour rejoindre le Mont-Grand-Fonds. Mon quart de bénévolat à la remise des médailles commence à 16 h. Quand j’avais reçu mon assignation, j’avais dit à Guillaume qu’il était obligé d’arriver entre 16 h et 20 h car je voulais lui remettre sa médaille de finisseur. On avait calculé ensemble qu’il arriverait sûrement vers 17 h.

Pas de nouvelles d’Aurélien, l’énergie va mieux mais je sens toujours mes jambes lourdes. Je reste concentré, je ne pense qu’à essayer de manger et de boire pour arriver au ravito suivant à vide mais sans jamais manquer d’eau surtout; bref toujours les même  pensées. J’aperçois David, ça me donne un petit regain d’énergie, je ne le dépasse pas, je garde mon rythme et je m’occupe l’esprit à l’entrevoir de temps en temps. Je finis par le rattraper puis le doubler. Je ne pense pas pourtant avoir accéléré. Je suis premier. Mais je me reprends immédiatement, il reste plus de 40 bornes, calme-toi, tu vas te faire rattraper, c’est du gros calibre en arrière, ils vont arriver pleine balle c’est sûr ! Reste concentré sur ton rythme et ne tombe pas. Et surtout n’accélère pas.

12 h 30. J’arrive au Mont Grand-Fonds. Guillaume est 1er depuis le 80ème kilomètre. C’est fou! Je ne tiens plus en place. Je rejoins Clémentine et ses filles. Emmanuel, son conjoint ,va arriver bientôt de son 65 km. René aussi est attendu de son 42 km. Daphnée et ses filles sont là. On est tous fébriles. Les enfants ont faim. On retourne à la van. Je tourne en rond. Je fais la vaisselle pour me calmer les nerfs mais ça ne fonctionne pas vraiment. Je n’ai rien mangé de la journée. Je sais que ce n’est pas intelligent vu que je cours moi aussi le lendemain, mais je pense aux proch aines heures et à la victoire possible de Guillaume. Il est premier du 125 km de Harricana.

13 h 10. On se tient proche de l’arrivée. René arrive en 4ème position. Quelle joie! On célèbre son arrivée tous ensemble.

13 h 25. Je vérifie la position de Guillaume sur Sportstats. Il vient de passer le 100ème kilomètre. Il est toujours 1er et maintenant Aurélien est à 12 minutes derrière lui. Il lui reste 25 kilomètres. J’imagine qu’il doit en avoir marre mais doit être tellement sur un petit nuage de savoir qu’il est premier. Je partage la bonne nouvelle sur les réseaux. Tout le monde le pousse et l’encourage. Tous ces bons mots qu’on reçoit de Québec et de la France, ça me réchauffe le coeur. Il n’est pas seul dans les sentiers de la Montagne Noire, tout le monde est avec lui.

13 h 30. Je passe au 100e kilo environ et je commence à me dire que je pourrais peut-être arriver premier. Je ne veux pas trop me l’imaginer de peur d’être doublé et du coup déçu. Mais j’y pense. Je fais des calculs dans ma tête. Si le deuxième court à une allure de 20 sec plus rapide que moi en 20 km combien de temps il lui faut pour me rattraper? Et puis ça tire de plus en plus, je le sais c’est normal, c’est la fin mais il reste plus de 20 km c’est long. Alors je prends mon mal en patience je pense à Marjo, si je gagne quelle fierté! Je me dis que dans la vie rien n’est facile et qu’il ne faut pas lâcher.

13 h 42. Emmanuel franchit la ligne d’arrivée après 65 km. Ses filles l’accueillent avec une super pancarte remplie de coeur. Encore une fois, on célèbre son arrivée. 65 km, c’est fou! Je suis tellement admirative de tous ces coureurs qui se dépassent.

Les kilomètres passent doucement, je double du monde du 42 km et du 65 km; ça fait du bien de voir des gens et d’avoir des encouragements. En passant, un gros merci à tous ceux que j’ai dépassés, ils m’ont tous félicité et encouragé. Le temps passe plus vite mais je reste concentré sur l’alimentation et l’eau. J’arrive toujours à avoir du plaisir dans ces beaux sentiers malgré les jambes et les genoux qui me rappellent à l’ordre perpétuellement.

14 h 18. Guillaume passe le dernier tapis Sportstats au 108ème kilomètre. Toujours premier. On calcule avec ses amis que s’il garde le rythme, il va arriver avant 16 h. Pas possible que je ne lui donne pas sa médaille.

Je sais que maintenant les ravitos sont beaucoup plus proches. Je reste concentré sur mes sensations, j’enfile les verres de soda. je remplis mes gourdes méticuleusement. Je ne veux pas faire d’erreur. 

15 h. Dominic Arpin et son équipe veulent recueillir nos impressions à moi et aux enfants. Ils sont, comme nous, abasourdis par la tournure que prend cette fin de semaine à Harricana. Depuis la veille, on s’est parlé plusieurs fois pour parler de notre aventure en van pendant cette fin de semaine. Dominic réalise une émission sur le #vanlife et ils nous ont suivis tout au long de la journée. Ils ont vu Guillaume au départ de la course, ils l’ont vu au Parc des Hautes-Gorges et ils attendent comme nous son arrivée. Personne ne le dit mais on sait que si tout continue bien pour Guillaume, il va gagner Harricana, une des courses de l’Ultra-Trail World Tour.

Dernier ravito. Le moral va bien mais pas le physique. Je regarde derrière de temps en temps  : pas de coureur en vue. Mais la peur de me faire rattraper persiste et me permet de maintenir une allure soutenue, je souffre. Je croise un pote. Thomas Andrew qui est sur le 42, ça fait un bien fou. Il me dit que David est à 28 minutes derrière moi au dernier point. Je souffle et du coup je marche quel soulagement! J’ai de la marge. Mais ça ne dure que 15 secondes avant de me dire que s’il se trompe je vais le regretter alors je me remets à courir.

15 h 30. On se tient proche de l’arrivée. On assiste avec bonheur au podium de René. D’autres amis nous rejoignent, Isabelle, Amélie et François. Sur Sportstats, on peut voir la position de Guillaume sur la carte. On évalue qu’il lui reste 2-3 kilomètres environ.

C’est long, c’est pénible, mais je commence à prendre conscience que je vais gagner l’UTHC, que c’est incroyable pour moi. Que je vais arriver à la ligne devant Marjorie et mes enfants.

15 h 54. L’animatrice de l’évènement annonce l’arrivée du vainqueur du 125 km. C’est Guillaume! Avec les enfants, on s’approche de la ligne d’arrivée. Nino tient la médaille entre ses mains. Quel instant on s’apprête à vivre tous les cinq! On le voit. Je crie du plus fort que je peux comme s’il avait besoin d’être poussé sur les derniers mètres. Il vient de courir 125 km, c’est pas à 200 mètres de l’arrivée que ses jambes vont flancher. Je ne sais pas pourquoi je crie aussi fort. Je veux qu’il entende qu’on est tous là, qu’il peut être premier à franchir la banderole.

Je n’y crois pas, je capote! Je suis aux anges ! J’ai réalisé une performance dont j’avais rêvée en secret sans vouloir y croire réellement. 

15 h 55:41 C’est fait! Il a gagné! On tombe dans les bras tous les cinq. Il est fort, il est beau, il tient debout. Je pleure de joie pour lui et je pleure de soulagement. Guillaume ne croyait pas qu’il pouvait gagner une telle course. Guillaume c’est un homme, un conjoint, un papa, un entrepreneur et un coureur qui fait des commutes avec les C.U.T.E. pour le plaisir. Et c’est maintenant un heureux gagnant de l’UTHC125.

Tout le monde pleure c’est magnifique! Comme me l’a dit Marjorie au départ de la course : « Tu as le droit d’être premier, tu as le droit d’être dernier aussi, mais tu as le droit d’être premier » Alors si cela donne envie à certains de se dépasser, je suis encore plus fier de moi.

Merci à vous tous et toutes.

Guillaume  et Marjorie

Durée Distance Dénivelé
km m
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