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Une aventure dans l’inconnu

Mont Grand-Fonds, 1h. Le ciel est étoilé, dégagé, sans lune. Au-dessus de ma tête, la voie lactée qui s’étire d’un horizon à l’autre. Il fait froid. Non frette! Le vent s’est levé durant la nuit et septembre est entré en force dans Charlevoix.

La tuque enfoncée sur les oreilles, les gants d’hiver aux mains, j’ai l’impression de m’être assoupi pendant 2 mois tellement le contraste thermique avec les derniers jours est saisissant. Pourtant je n’ai dû dormir que 30 minutes au maximum, fébrilité pré-course (et anxiété intrinsèque à moi-même…) oblige.

Je me dirige vers le chalet du Mont Grand-Fonds afin d’enfourner mon déjeuner préparé la veille. Mes gears sont prêtes, et je monte dans l’autobus qui nous amènera vers le départ, quelques 125 km d’ici. 125 km… une première pour moi. Dans l’autobus, je joue au sauvage : j’écoute ma musique, je somnole, je suis dans ma bulle.

3 h 20, ZEC des Martres, km 0. Le gain d’altitude a été suffisant pour refroidir davantage la température. Le froid est saisissant, tellement que les organisateurs nous demandent de demeurer à l’intérieur de l’autobus avant que le départ soit donné, à 4 h. Qu’est-ce que je fais ici donc?

Quelques minutes avant le départ, tout le monde sort afin de se les geler. On nous prévient que ce n’est que la pointe de l’iceberg (littéralement…) : le sommet du Mont du Lac à l’Empêche nous sera très hostile. C’est là que le l’expression  « matériel obligatoire » prend tout son sens. Visiblement, le néophyte, en short de soccer, t-shirt et sac à dos à côté de moi, n’est pas conscient de ce qui l’attend. C’est écrit « DNF » dans son front.

3 h 58. Dans son costume de circonstance, un joueur de cornemuse qui, visiblement n’a pas peur d’affecter sa future progéniture (la pognes-tu?), entame un air qui nous « émotionne » tous mais me rappelle pratiquement un air funèbre. Un prélude à ce qui nous attend?

4 h. Le départ est donné.  Sur les bons conseils d’à peu près tout le monde, je voulais partir excessivement conservateur. Très basse vitesse, foulée extrêmement économe. Je suis en mode apprentissage. Frontale allumée, je me retrouve pratiquement le dernier.

Sur 4 km, nous suivons un large chemin forestier pour ensuite emprunter un très étroit sentier « single-track » qui nous amènera au Mont du Lac à l’Empêche. Très étroit, comprendre impossible de dépasser. Impossible de courir. On marche. On marche. Et on marche encore. Bon, je voulais partir lentement mais là, je sens que je perds un peu, beaucoup mon temps.

C’est seulement après deux heures de marche que je peux enfin dépasser. Bon, je vais enfin pouvoir courir à mon rythme. Entre temps, le soleil s’est levé. Avec lui, la neige. Quelques flocons, fouettés par le vent dans la descente du Mont du Lac à l’Empêche, nous rappellent que l’été dans Charlevoix, c’est bien relatif.

Km 27. Cette année, le tracé de l’UTHC a été changé. Pratiquement 10 km supplémentaires et les 30 premiers km sont beaucoup plus techniques que par les années précédentes. Là où la portion technique débutait l’an passé, au pied du mont des Morios, cette année, nous en sommes déjà à 31 km de sentier tortueux et rocheux.

Nous débutons  l’ascension du mont par le sentier de l’expert, où les pentes sont particulièrement abruptes. Un coureur qui court avec une cloche à ours, c’est un peu comme le supplice de la goutte. Je dépasse. Je croise les meneurs de la course qui eux dévalent les pentes du Morios.

Les magnifiques paysages au sommet nous permettent momentanément d’oublier que nos cuisses chauffent d’avoir accumulé tant de dénivelé positif, en si peu de distance au cours des dernières minutes. Dans la descente, je rejoins mon bon chum Christian. On poursuit ensemble pratiquement jusqu’au prochain ravito, km 34. Entre-temps, je continue de dépasser plein de coureurs.

Km 40. Vous n’êtes probablement pas sans savoir que je « souffre » de problèmes gastriques récurrents durant les courses de longue distance. Donc, un des objectifs principaux de cette course était d’éviter le plus possible les cabrioles stomacales. En prévision, je me suis « traité » au ZANTAC les quelques jours précédents et je m’étais traîné des capsules de Gaviscon. Dès l’ascension de la montagne de la Noyée, ces problèmes surgissent. Insérer ici plein de mots d’église. Crampes, nausées, je peine à courir, je marche plus souvent qu’autrement. Les pensées négatives m’envahissent. Ça y est, j’abandonne au prochain ravito.

Km 51. Ravito station de la Chouette. L’estomac complètement retourné, je m’assois. On me sert du bouillon de poulet avec boulettes de riz, je bois du pepsi. J’y reste une bonne demi-heure. Je repars lentement, un bâton à la main. Tranquillement, l’énergie revient. Et en tabarnac à part de ça! Wow, quel boost!

Je me mets à courir les montées, j’ai des jambes neuves. Je dépasse, je dépasse et je dépasse encore. Toute une motivation que de constater que son corps accumule les km mais réussit, néanmoins, à traiter rapidement le carburant qu’on lui fournit pour se refaire une beauté. Quel revirement de situation. J’arrive pratiquement en trombe à l’entrée du Parc des Hautes Gorges.

Km 61. Parc des Hautes Gorges. Les enfants! Les enfants sont là! Arrivés à peine 5 minutes plus tôt, ma famille m’accueille à l’entrée du Parc qui constitue aussi la station « drop bag ». J’en profite pour recevoir les bons conseils d’un Maël, particulièrement anxieux, IL me suggère, avec grande sagesse, de partir lentement pour finir fort. « Ne mange pas trop papa, sinon tu vas être malade. Pas trop de pepsi ». Merci Maël. Maud aussi est présente et me montre des messages qui m’étaient destinés. Je ne peux retenir un sanglot en voyant tous ces encouragements.

J’en profite pour me changer et enlever une couche. Je répète la formule alimentaire gagnante du dernier ravito et je repars. Je connais les prochains 65 km. Musique à l’oreille, j’ai la motivation dans le tapis. Je vole. Il est déjà pratiquement 14 h.

Km 70, je m’enfarge très gracieusement dans une aspérité du sentier et je m’étale de tout mon long dans le sable. Rien de cassé, quelques points d’orgueil en moins. Dans la chute par contre, ma bouteille s’ouvre et je perds pratiquement tout mon eau. Je viens à peine d’entamer un stretch de 15 km sans ravito, je ne peux pas continuer sans hydratation. Ceux qui me connaissent savent que j’aime jouer avec ma flore bactérienne. Suite à une réflexion douloureuse (…) je décide de plonger ma bouteille dans la rivière. On s’en reparle dans quelques jours.

Les 10 prochains km se font sur le boost de la nourriture du ravito précédent. Jusqu’à maintenant, j’ai pratiquement fait ma course en solitaire. Je ne suis pas le plus sociable dans ces situations. Cependant, j’ai piqué une super jasette avec Brian de Toronto.

Km 85. Ravito du Coyote. Je commençais à manquer de jus, donc l’arrivée à ce ravito est plus que salutaire. Le soleil est maintenant bien bas à l’horizon et la température continue de baisser. Je commence à regretter de n’avoir mis que deux couches au ravito du drop bag. Je me mets à greloter solide. Je suis incapable de tenir une cuiller sans en mettre partout. Je dois manger, les médics me le répètent sans cesse. Ils me servent une grosse assiette de chip, de gnocchis, de tortillas au beurre d’arachide. Avec peine, j’essaie d’avaler cette nourriture qui a la texture d’une semelle d’une vieille godasse. Quelques pepsi aussi me permettent de me prendre quelques couleurs, autour du feu de camp. Je dois y passer au moins 25 minutes.

Toujours tremblotant, je dois quitter le ravito en power walk. Je me réchauffe tranquillement, le boost revient. Yan v3.0 is back. Je rejoins à la course tous les coureurs qui n’étaient restés que quelques minutes au dernier ravito. Je me demande si je vais trop vite. En même temps, j’ai du boost, j’en profite et je me sens bien. Les km défilent. Je suis maintenant en territoire inconnu, n’ayant jamais couru plus de 82 km. 80, 90, 100 km.

Les changements de dizaines de km me motivent. J’apprends à me surprendre, à être fier de moi. Déjà, peu importe ce qui arrivera, je sais que je terminerai cette course. J’ai le sourire au visage, je vais bien. Le soleil qui j’ai vu se lever, alors que je courrais déjà depuis deux heures, maintenant se couche alors que je suis toujours sur mes deux jambes, à gambader dans les bois. Une situation qui me semble un peu irréaliste.

Km 102. Ravito de l’épervier. Encore une fois, le bouillon de poulet et le pepsi sont salvateurs. Cette fois, pas plus de 10 minutes au ravito à rigoler avec les bénévoles qui veillent toujours à cette heure de la soirée. Au départ du ravito, je cours les montées sous les hurlements un peu glauques des loups de Charlevoix. Je sais que la distance entre les deux prochains et derniers ravitos sont sous les 10 km. Donc, je ne regarde pas la dépense. Ça va vraiment bien. Ma montre me lâche après 104 km.

Km 110. Ravito Split-BMR. Avant dernier ravito, avant l’ascension interminable de la Montagne Noire. Quand tu penses que c’est terminé, il y en a encore. La nuit est bien tombée et je commence à espérer le prochain ravito. C’est long 125 km…

Km 118. Dernier ravito. Je suis le seul coureur. Un petit morceau de sucre à la crème? Cibole oui! Je gèle, il vente. Aller, je re-saute sur mes jambes sachant que le reste de la course est pratiquement tout le temps en descendant. Mais quelles descentes! Ça fait déjà une dizaine de km que mes quads commencent à tirer dans les descentes. Que ce soit arrivé aussi tard me surprend d’ailleurs. Une côte descendante interminable, sur plus de 1 km vers le km 121, me rappelle que je serai sûrement obligé de prendre l’ascenseur dans les prochains jours. Ça, ça fait mal. Mais les derniers km s’égrènent. J’arrive. L’absence de coureurs ou de supporteurs dans cette dernière partie de la course donne une étrange impression. Mais bon, faut dire que ça fait déjà plusieurs minutes que minuit est passé…

Km 126.  20 heures et 41 minutes, 160 000 pas et quelques milliers de calories dépensées plus tard, je traverse le fil d’arrivée sous une annonce grandiose de Pierre-Luc devant une poignée de courageux bénévoles. Je crie mon exultation de réussite dans les bras de mes amis Mel Blanchette, Marie-Eve Desmarais et, évidemment ma douce Maud Ablain qui est accourue à la hâte après avoir essayé de réveiller, en vain, les enfants dans la voiture. Merci de m’avoir soutenu tout le long de cette année. Énormes félicitations et remerciements aux bénévoles, à l’organisation. L’UTHC est vraiment dans la cour des grands.

Ouf ! ça  va me prendre une couple de jours pour digérer ça et récupérer. La suite à tout ça? Aucune idée? C’est long 126 km quand même… Une chose est sûre : si j’ai quelque chose à aller chercher au sous-sol aujourd’hui, ça se peut que je vous demande d’y aller pour moi…